ASSEMBLÉE NATIONALE
RAPPORT D’INFORMATION no 2747/2015
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2747.asp
RAPPORT D’INFORMATION no 2747/2015
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2747.asp
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 mai 2015
PROJET
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 11 décembre 2013 (1),
sur « les nouvelles données de la géopolitique de l'énergie : pétrole et gaz naturel »
et présenté par
MM. Christian Bataille et André Schneider,
Députés
La mission d’information sur les nouvelles données de la géopolitique de l'énergie : pétrole et gaz naturel est composée de : M. Christian Bataille, co-rapporteur et de M. André Schneider, co-rapporteur.
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION 15
PREMIÈRE PARTIE 21
LA PRODUCTION ET LES ÉCHANGES INTERNATIONAUX D’HYDROCARBURES : ÉLÉMENTS CLEFS DES RELATIONS DE PUISSANCES 21
I. LA MONTÉE EN PUISSANCE DES NON-CONVENTIONNELS DEPUIS 2005 21
A.
DES HYDROCARBURES NON-CONVENTIONNELS QUI NE DIFFÈRENT -DES GAZ ET
PÉTROLES CONVENTIONNELS QUE PAR LA GÉOLOGIE ET LES MODES D’EXTRACTION 21
B. UNE PRODUCTION ACTUELLEMENT LIMITÉE AUX ETATS-UNIS ET AU CANADA, MAIS QUI N’EST PAS POUR AUTANT NÉGLIGEABLE AU NIVEAU MONDIAL 24
1. Le pétrole : 4 à 5 % de la production mondiale 24
2. Le gaz naturel : un peu plus de 8 % de la production mondiale en 2013 26
C. UNE PRODUCTION À L’ÉCHELLE COMMERCIALE MAIS MARGINALE DANS DEUX AUTRES PAYS : LA CHINE ET L’ARGENTINE 27
II.
LA CONCENTRATION DES EXPORTATIONS DE PÉTROLE ET DE GAZ NATUREL SUR
QUELQUES ETATS : LES INCIDENCES POLITIQUES D’INÉGALITÉS GÉOLOGIQUES AU
DÉTRIMENT DES GRANDS PAYS CONSOMMATEURS, NOTAMMENT POUR LE GAZ NATUREL 29
A. LE PÉTROLE : UN RISQUE ATTÉNUÉ PAR L’EXISTENCE D’UN MARCHÉ MONDIAL 29
1. Un petit nombre de très grands exportateurs, dont la Russie, l’Arabie saoudite et les pays du Moyen-Orient 29
a. Trois grands producteurs : l’Arabie Saoudite, la Russie et les Etats-Unis 29
b.
Deux très grands exportateurs : l’Arabie saoudite et la Russie, suivis
par trois Etats clefs du Moyen-Orient, l’Irak, les Emirats arabes unis
et le Koweït 29
c.
La dépendance de quelques grandes puissances économiques : l’Union
européenne et les grands pays d’Asie, Chine, Japon et Corée du Sud 30
d. Des réserves conventionnelles très concentrées sur quelques Etats, notamment ceux du Moyen-Orient 31
2. Une cartellisation importante dont le poids reste limité dans la production, mais pas dans les réserves : l’OPEP 33
3. Le poids majeur des compagnies nationales des Etats producteurs face aux supermajors 35
4. Un marché mondial dont le prix est le même, sous réserve des différences de qualité de brut et de particularités locales 38
5. L’ajustement du marché par l’Arabie saoudite, producteur d’appoint 39
B. UNE GÉOPOLITIQUE DU GAZ NATUREL CONTRAINTE PAR LA GÉOGRAPHIE DES TUBES 41
1.
Une très forte concentration de la production et des réserves, avec
quatre acteurs majeurs : les Etats-Unis, devenus le premier producteur
mondial, la Russie, le Qatar et l’Iran 41
2. Une consommation elle aussi très concentrée, mais aux Etats-Unis, en Europe et en Extrême-Orient 43
3.
Des échanges clefs entre les quelques grands importateurs, dont l’Union
européenne et le Japon, et le petit nombre de très gros exportateurs :
la Russie, traditionnellement producteur d’appoint, et le Qatar 43
4. La domination des tubes pour l’approvisionnement de l’Europe et du GNL pour l’Asie 45
a. Le réseau de desserte européen par gazoduc 45
b.
Le rôle des contrats « take or pay » de long terme avec des quantités
prévues à l’avance et une clause d’indexation sur le prix du pétrole 46
c. Les échanges de GNL par navires 47
d. L’offre de GNL : le rôle dominant du Qatar 48
e. Le coût du GNL : un supplément dû aux opérations de liquéfaction et de regazéification qui s’ajoutent au fret 49
5.
Trois grands compartiments de marché avec des prix différents en
l’absence de marché mondial : l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie 49
C. UNE DÉPENDANCE RÉCIPROQUE ENTRE PAYS EXPORTATEURS ET CLIENTS, MÊME SI MOINS IMMÉDIATE POUR LES PREMIERS 50
1. Les équilibres commercial et budgétaire des pays producteurs 50
a. La dépendance vis-à-vis des recettes d’exportation 51
b. La part des ressources budgétaires provenant des hydrocarbures 51
c. Le cours du pétrole nécessaire à l’équilibre budgétaire 52
d. Les réserves financières accumulées 53
2. Une dépendance sociale des populations : les subventions pour l’accès des populations à une énergie à bas prix 54
D.
UNE GEOPOLITIQUE DE L’ÉNERGIE QUI POURRAIT S’ETENDRE, À L’AVENIR,
AU-DELÀ DES HYDROCARBURES, AU NUCLÉAIRE ET AUX ÉQUIPEMENTS DE PRODUCTION
DES RENOUVELABLES 55
III. DES ENJEUX DIPLOMATIQUES ET DE SÉCURITÉ BIEN IDENTIFIÉS 59
A.
DEUX SUJETS DE VIGILANCE CONSTANTE DEPUIS 1945 POUR
L’APPROVISIONNEMENT DES MARCHÉ INTERNATIONAUX : LA SÉCURITÉ DES RÉGIONS
CLEFS DU MOYEN-ORIENT ET LA SÉCURITÉ DU TRANSPORT MARITIME 59
1. L’implication américaine et occidentale au Proche-Orient et dans le Golfe 59
2. Les détroits et points de passage névralgiques : Ormuz, Malacca, Bab el Mandeb, Suez 60
a. Sept points clefs par lesquels transitent chaque jour plus de 56 millions de barils de pétrole 60
b.
Ormuz : véritable « veine jugulaire » avec 30 % du pétrole mondial, 100
milliards de mètres cubes de GNL et des voies de contournement encore
très limitées 62
c. Le détroit de Malacca : le lien entre le Golfe persique, l’Afrique et l’Extrême-Orient 65
d. Le détroit de Bab el Mandeb : l’accès à la Mer rouge 65
e. Le Canal de Suez et l’oléoduc SUMED : 8 % du trafic pétrolier mondial 67
f. Le Canal de Panama et l’oléoduc Trans-Panama : un intérêt pour l’accès au Pacifique du GNL américain 68
B.
UN ENJEU ÉPISODIQUE MAIS RÉCURRENT : L’UTILISATION DES
HYDROCARBURES COMME ARME POLITIQUE DANS LE CADRE DES EMBARGOS ET DES
SANCTIONS INTERNATIONALES 68
1. Des embargos unilatéraux rares mais significatifs 68
a. Le Japon en 1941 68
b. Suez en 1956 69
c. Les embargos des pays arabes : 1967 et la Guerre des Six jours ; 1973 et la Guerre du Kippour 70
d. La prise en compte d’un risque d’embargo dans les réflexions stratégiques chinoises 70
2. Plusieurs exemples de recours à la sanction du pétrole pour les Etats en rupture avec la société internationale 71
a. Les atteintes aux droits de l’Homme des régimes ségrégationnistes : Afrique du Sud et Rhodésie 71
b. L’Irak : le régime « Pétrole contre nourriture » 72
c. Les sanctions contre la dimension militaire du programme nucléaire de l’Iran 73
3. Les embargos unilatéraux de certains pays 74
C.
DEUX ILLUSTRATIONS TRÈS DIFFÉRENTES DE LA CAPACITÉ DES ETATS PÉTROLIERS
ET GAZIERS À JOUER UN ROLE INTERNATIONAL MAJEUR SANS COMMUNE MESURE
AVEC LEUR POIDS DÉMOGRAPHIQUE OU POLITIQUE 75
1.
La Russie : le maintien d’une grande politique de puissance et
d’influence grâce au gaz, mais la vulnérabilité face aux sanctions 75
a. Une économie dont les ressorts sont très liés aux hydrocarbures et aux richesses naturelles 75
b. Un élément crucial pour le budget et donc pour les dépenses militaires 77
c. Un secteur partiellement sous sanctions depuis l’annexion de la Crimée et la crise ukrainienne de 2014 77
d. La proximité des entreprises du secteur des hydrocarbures, notamment de Gazprom, et de l’Etat russe 78
e. La politique de l’accès préférentiel au gaz pour les pays voisins qui adhèrent au projet eurasiatique 79
f. Le conflit avec l’Ukraine : les trois crises gazières de 2006, 2009 et 2014-2015 80
g. Un nouveau « grand jeu » autour des exportations des pays d’Asie centrale et de la Caspienne 82
2. Le Qatar : une visibilité politique, économique et même sportive et culturelle grâce aux recettes du GNL 86
DEUXIÈME PARTIE : TROIS EFFETS DE LA RÉVOLUTION AMÉRICAINE DU GAZ ET DU PÉTROLE DE SCHISTE 89
I.
UNE OFFRE PÉTROLIÈRE ET GAZIÈRE SUFFISANTE QUI A PERMIS D’ALIMENTER LE
MARCHÉ ET DE SURMONTER CES DERNIÈRES ANNÉES PLUSIEURS CHOCS
GÉOPOLITIQUES ET ÉCONOMIQUES MAJEURS 89
1. Une augmentation des prix contenue 90
2.
Plusieurs événements géopolitiques majeurs, aisément surmontés, dans la
zone stratégique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord 91
3. Un marché pétrolier alimenté de manière plus que marginale grâce au pétrole de schiste nord-américain 92
a. Le constat 92
b. Le rétablissement d’une marge de capacité de production au niveau mondial 94
c.
Un indicateur structurel intéressant : l’évolution, favorable, du
rapport entre la production américaine de pétrole et la consommation
chinoise 95
C.
UN MARCHÉ GAZIER LUI AUSSI ASSEZ PEU TENDU, MALGRÉ LA FORTE
AUGMENTATION DE LA CONSOMMATION ET LES CONSÉQUENCES DE L’ACCIDENT DE
FUKUSHIMA, GRÂCE AU GAZ DE SCHISTE AMÉRICAIN 96
II. UN RETOUR DE LA PUISSANCE ÉCONOMIQUE AMÉRICAINE ET UN DÉMENTI AU PRONOSTIC, D’AILLEURS RÉCURRENT, SUR SON DÉCLIN 98
1. Le résultat d’une politique publique de recherche publique ancienne 98
2. Le rétablissement de la parité avec la Russie et l’Arabie saoudite dans la production pétrolière 99
a.
Une production abondante notamment grâce à six gisements majeurs : les
Etats-Unis premiers producteurs mondial de gaz, voire de pétrole 99
b. Le rétablissement de l’équivalence de la production avec l’Arabie saoudite et la Russie 102
3.
Un impact essentiel non seulement sectoriel, mais aussi
macroéconomique : une véritable révolution économique que ne doit pas
occulter le dépassement probable de l’économie américaine par l’économie
chinoise en 2014 103
a. Un prix du gaz maintenu bas, grâce à la rentabilisation des puits par le seul pétrole 103
b. Une énergie très compétitive pour les industries américaines 104
c. Des secteurs de la pétrochimie et du raffinage revigorés et faisant notamment concurrence au raffinage européen 106
d.
L’inutile controverse sur l’ampleur du phénomène, puisqu’il touche
l’essentiel du territoire américain, à des degrés divers, et de son
économie 108
e. Une réduction du déficit commercial 111
f. Un effet, purement économique, de réduction de la production d’électricité d’origine nucléaire aux Etats-Unis 113
g.
Un impact indirect sur le renforcement de l’utilisation du charbon dans
le reste du monde, notamment en Europe, et plus particulièrement en
Allemagne 114
4. Une ressource durable et non éphémère 115
5. Une capacité d’exportation de gaz naturel et la perspective d’une large autonomie en pétrole 117
a. Une autosuffisance déjà acquise pour le gaz qui débouche sur des possibilités d’exportation 117
b. Une réduction de la dépendance extérieure en pétrole brut, avec en perspective une très large autonomie 118
c.
Le maintien d’un courant d’importation en raison non seulement de
l’inertie des contrats, mais aussi des contraintes techniques du
raffinage 119
d. Une balance commerciale déjà excédentaire pour les produits pétroliers raffinés 120
6. Des facteurs de succès propres aux Etats-Unis 121
a. Des structures économiques, notamment des petites entreprises, tournées vers l’initiative 121
b. Un droit qui reconnaît la propriété du sous-sol au propriétaire du sol 122
III.
DEUX ÉLÉMENTS ESSENTIELS POUR UNE RÉVOLUTION MAJEURE DANS LES ÉCHANGES
MONDIAUX D’ÉNERGIE : LA PRODUCTION D’HYDROCARBURES HORS DES ZONES
TRADITIONNELLES ; L’UNION EUROPÉENNE ET LES GRANDS ÉMERGENTS D’ASIE,
SEULS IMPORTATEURS NETS À LONG TERME 123
A. DES PERSPECTIVES, NOUVELLES, DE PRODUCTION D’HYDROCARBURES DANS DE NOMBREUX PAYS HORS DES ZONES D’EXTRACTION TRADITIONNELLES 123
1.
Une nouvelle géographie des gisements et des perspectives de production
très différentes de celle des gisements conventionnels 123
a. Les régions et pays concernés 123
b.
Les quantités estimées : une concentration des ressources dans les
grandes puissances, les Etats-Unis, mais aussi la Chine et la Russie 124
2. Un intérêt marqué hors de l’Union européenne : cinq exemples significatifs 125
a. L’Argentine : l’exploration pour confirmer l’ampleur éventuelle de la ressource 125
b. La Chine : une ressource possible, mais d’appoint 127
c. L’Australie : la pérennité de la production d’abord sur le gaz de houille, et ensuite sur le gaz de schiste 128
d. Et même la Russie… 130
e. Les annonces récentes de l’Arabie saoudite 131
f. La recherche en Algérie 131
g. Un délai de dix ans entre le début des forages exploratoires et les retombées industrielles de la production 132
3.
Les conséquences de l’absence dans les autres pays des conditions, de
succès, spécifiques aux Etats-Unis : un coût de production probablement
plus élevé 132
B.
LA PERSPECTIVE DE LONG TERME D’UN FACE-À-FACE TRÈS DIRECT DE L’EUROPE
ET DES GRANDS CONSOMMATEURS DE L’ASIE VIS-À-VIS DES GRANDS EXPORTATEURS
DE PÉTROLE ET DE GAZ AUX CAPACITÉS PARFOIS INCERTAINES 132
1. Une consommation d’énergie stabilisée dans l’OCDE mais encore croissante dans le reste du Monde 132
a. Une consommation totale d’énergie tirée par la Chine et l’Inde 132
b. La part croissante des renouvelables et du gaz naturel dans le bouquet énergétique mondial 133
c. Une augmentation de la demande mondiale de pétrole, en dépit de sa diminution dans la zone OCDE 134
i. Le scénario de référence de l’Agence internationale de l’énergie 134
ii. L’impact éventuel, en définitive assez limité, d’un accord climatique 135
d. Une augmentation de la consommation de gaz naturel poussée par la Chine et le Moyen-Orient 136
2.
Trois facteurs d’incertitude sur l’alimentation future du marché par
les grands exportateurs d’hydrocarbures : l’importance des
investissements nécessaires au maintien de capacités de production ; le
poids de la démographie ; les réformes nécessaires à leur mode de
consommation énergétique 137
3. Une concentration avérée des besoins d’importation d’hydrocarbures sur l’Asie, notamment la Chine et l’Inde, et l’Europe 139
a.
Les perspectives du marché global de l’énergie à l’horizon 2040 :
déficits européens et asiatiques ; excédents ou équilibres ailleurs 139
b.
Les échanges de pétrole : une forte pression de l’Asie émergente dont
les besoins excéderont arithmétiquement la capacité exportatrice du
Moyen-Orient 140
c. Une nouvelle géographie des échanges de gaz naturel : l’Europe et la Chine en face de la Russie et du Moyen-Orient 141
TROISIÈME PARTIE : TROIS CONSÉQUENCES OU ENSEIGNEMENTS GÉOPOLITIQUES MAJEURS POUR LES PAYS EUROPEENS 145
I. UN MAINTIEN, SUR D’AUTRES BASES, DE L’IMPLICATION DES ETATS-UNIS DANS LE RESTE DU MONDE 145
A. UNE MODIFICATION DES TERMES DE L’IMPLICATION AMÉRICAINE AU PROCHE-ORIENT, SANS DÉSENGAGEMENT 145
1. Une implication pétrolière originelle maintenant dépassée 145
a. Le rôle historique de la relation avec l’Arabie saoudite établie en 1945 145
b. La substitution des Etats-Unis au Royaume-Uni pendant la Guerre froide 146
2. La faible dépendance des Etats-Unis vis-à-vis du pétrole du Moyen-Orient 147
3. Plusieurs motifs d’ordre politique ou économique pour un maintien de la présence américaine au Moyen-Orient 149
a. Le motif économique : le bon fonctionnement du marché international du pétrole 149
b.
Les motifs d’ordre politique : le rôle des Etats-Unis comme première
puissance mondiale ; la stabilité régionale ; la sécurité d’Israël ; la
lutte contre le terrorisme 150
c. Une relation cependant plus compliquée avec l’allié saoudien traditionnel 152
4.
Une question encore en suspens malgré l’accord-cadre conclu le 2 avril
dernier et pleine de tensions entre le Président Obama et le Congrès :
une possibilité de première normalisation des relations avec l’Iran et,
dans l’affirmative, ses conséquences pour les relations avec les pays du
Golfe 154
B.
UNE CAPACITÉ D’INTERVENTION SUR LE MARCHÉ TRÈS POLITIQUE DU GAZ NATUREL
GRÂCE AUX EXPORTATIONS DE GAZ DE SCHISTE, AU BÉNÉFICE, LE CAS ÉCHEANT,
DU LIEN TRANSATLANTIQUE 156
1. La capacité pour les Etats-Unis d’exporter GNL dans quelques années 156
a.
Une ressource suffisante pour des volumes de l’ordre de 90 à
100 milliards de mètres cube par an, dans le scénario le plus probable 156
b. La construction, en cours, des infrastructures d’exportation 157
c. Quelques reports en raison de la baisse actuelle des prix du pétrole 158
2. La question juridique : quel régime pour l’exportation ? 159
a. Les régimes actuels de contrôle des exportations d’hydrocarbures issus du premier choc pétrolier 159
i. L’interdiction d’exporter du pétrole brut américain : une mesure maintenue, mais en débat 159
ii.
Pour le gaz naturel, un double régime d’autorisation et un régime de
faveur pour les pays ayant conclu un accord de libre-échange avec les
Etats-Unis 160
b. Le rôle éventuel du TTIP 161
3.
Quelle stratégie américaine d’exportation du GNL ? : le choix en faveur
de l’approvisionnement des marchés mondiaux plutôt que de l’utilisation
des exportations comme levier politique, à ce stade 161
a. Des optiques possibles : l’alimentation du marché mondial ; un instrument politique 161
b. Le discours de Bruxelles du Président Obama 161
c. L’inscription de la sécurité énergétique dans les priorités de l’OTAN 162
d.
Les conditions de livraison de GNL à l’Europe : la prévalence de
l’approche économique sur l’approche politique, qui présente plusieurs
avantages pour les Etats-Unis 162
C. UN RISQUE POLITIQUE MAJEUR TRÈS PEU PROBABLE, MAIS À NE PAS MÉCONNAITRE POUR AUTANT : LE RETOUR D’UN CERTAIN ISOLATIONNISME 163
II. UNE INTERPRÉTATION DÉLICATE DES CONSÉQUENCES DE LA BAISSE DE PRESQUE 50 % ET DE L’ACTUEL NIVEAU DES COURS DU PÉTROLE 165
A. UNE SURPRISE POUR LES MARCHÉS 165
1. Un mouvement de prix rapide et important sur le pétrole avec un effet d’entraînement sur le gaz naturel 165
2. Un excès d’offre et une demande moins dynamique 166
3. Des stocks au plus haut 168
B. DES TRANSFERTS AUSSI RAPIDES QU’IMPORTANTS ET BIENVENUS AU PROFIT DES PAYS CONSOMMATEURS, DONT LA FRANCE 168
1. Les effets d’ensemble 168
2. Les effets sectoriels 169
a. Un répit pour le raffinage et des secteurs industriels européens 169
b. Des effets contrastés sur les autres secteurs selon leur positionnement dans la chaîne pétrolière 172
C. LA SITUATION INTERMÉDIAIRE DES ETATS-UNIS 173
D.
DES DIFFICULTÉS POUR UNE GRANDE PARTIE DES PAYS PRODUCTEURS, AVEC DES
RISQUES D’INSTABILITÉ POUR LES PLUS VULNÉRABLES D’ENTRE EUX 174
1.
Une perte de ressources et des conséquences budgétaires importantes :
l’essentiel des pays producteurs sous le seuil de l’équilibre budgétaire 174
2. Un effet amplificateur des sanctions pour la Russie et l’Iran 176
3. Une capacité de résistance dépendante du niveau des réserves financières 177
4. Une augmentation du risque politique dans certains des pays concernés 177
E.
UNE DURÉE INCERTAINE, MAIS EN TOUT ÉTAT DE CAUSE TEMPORAIRE AVEC UNE
REMONTÉE D’ICI LA FIN DE LA DÉCENNIE SOUS RÉSERVE QUE LES CAPACITÉS DE
PRODUCTION SOIENT AU RENDEZ-VOUS 178
1.
Le diagnostic de l’AIE sur la possibilité d’un réajustement de la
demande et de l’offre à moyen terme, mais une grande incertitude sur les
cours à très court terme, tant que la production et les stocks
augmentent 178
2.
Des capacités de production à moyen terme cependant incertaines en
raison des annulations et reports des décisions d’investissement 179
a. Un effet différé pour le conventionnel 180
b.
Un impact en principe beaucoup plus rapide pour l’huile de schiste,
sous réserve du délai entre la réduction du nombre de forages et son
effet sur la production 182
F.
LE PRIMAT, EN L’ÉTAT, DE L’HYPOTHÈSE ÉCONOMIQUE, SUR L’HYPOTHÈSE
POLITIQUE POUR INTERPRÉTER AVEC CERTITUDE DU REFUS DE L’ARABIE SAOUDITE
DE RÉDUIRE SA PRODUCTION LORS DU SOMMET DE L’OPEP LE 27 NOVEMBRE DERNIER 184
G.
L’HYPOTHÈSE D’UN ÉVENTUEL CHANGEMENT DU MODE D’AJUSTEMENT DU MARCHÉ
MONDIAL : D’UNE RÉGULATION PAR L’OPEP À UN RÉÉQUILIBRAGE SELON LE COÛT
MARGINAL ? 186
III.
LA NÉCESSITE POUR L’UNION EUROPÉENNE ET SES ETATS MEMBRES D’UNE
STRATÉGIE DE SÉCURITÉ D’ACCÈS AUX HYDROCARBURES : DIVERSIFICATION DES
FOURNISSEURS ET DES ROUTES ; EXPLORATION, VOIRE EXPLOITATION, DES
RESSOURCES PROPRES ET DU SOUS-SOL JUSQU'AU GAZ ET AU PÉTROLE DE SCHISTE 189
A. QUATRE ÉLÉMENTS À BIEN PRENDRE EN COMPTE 189
1.
La dépendance énergétique de l’Union européenne ira croissant dans les
années futures avec, en l’état, la perspective de l’épuisement du
pétrole de la Mer du Nord comme des gisements de gaz de Norvège et de
Groningue 189
2. La relation de l’Union européenne avec son premier fournisseur de pétrole et de gaz, la Russie, est de plus en plus complexe 190
a. Un héritage de la Détente et de l’ouverture à l’Est, mais fondé sur une complémentarité réelle 190
b. La Russie premier fournisseur d’un client européen, incontournable, pour elle, avec l’Allemagne au premier rang 191
c.
Une relation difficile en raison de la divergence entre l’approche
économique de l’Union européenne et l’approche politique de la Russie et
de Gazprom : la crainte de la « coupure du robinet » ; le sentiment
d’une instrumentalisation possible de l’énergie dans le conflit
ukrainien ; la difficulté russe à se plier aux règles du marché
intérieur ; la mise en avant récente par la Russie des alternatives
chinoise et turque 195
i. La divergence sur la nature des échanges d’hydrocarbures 195
ii.
Les livraisons de gaz aux Etats membres de l’Union européenne : la
crainte d’une instrumentalisation politique au prisme des crises
ukrainiennes 195
iii. La difficulté réitérée et encore récemment confirmée de Gazprom à respecter les règles du marché intérieur 197
d. La grande stratégie russe de la bascule entre l’Europe et la Chine : chantage ou réalisme ? 200
e.
La tentative de jouer la carte de la Turquie, présentée comme le
nouveau point d’accès au gaz russe pour l’Union européenne, contre la
position, équilibrée, du Gouvernement turc 203
3.
L’abondance mondiale des ressources énergétiques reporte toute menace
d’un pic pétrolier, mais n’élimine pas pour autant le risque politique
croissant d’instabilité et donc d’interruption des approvisionnements,
notamment venant d’Afrique, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient 204
a.
Des réserves énergétiques suffisantes pour démentir les tenants du pic
de ressources, notamment du pic pétrolier, et les craintes de pénurie
exprimées il y a dix ans 204
b. Des réserves totales d’hydrocarbures et de matières premières énergétiques pour plus d’un siècle ? 208
c. Un positionnement intermédiaire du gaz et du pétrole de roche mère en ce qui concerne les coûts d’exploitation 209
d. Les risques croissants d’instabilité autour de l’Arc de crise de l’Atlantique à l’Océan indien 210
4.
La recherche de ressources alternatives d’hydrocarbures est
indépendante des objectifs climatiques : une démarche qui ne concerne
pas le niveau de la consommation, mais uniquement l’origine géographique
des produits correspondants 212
B.
L’IMPÉRATIF D’UNE STRATÉGIE DE SÉCURITÉ ÉNERGÉTIQUE EUROPÉENNE ET D’UNE
UNION DE L’ÉNERGIE FONDÉES TANT SUR LA DIVERSIFICATION DES FOURNISSEURS
ET DES VOIES D’ACCÈS AU GAZ NATUREL QUE SUR LA MOBILISATION DE
NOUVELLES RESSOURCES INTERNES 214
1.
Deux objectifs majeurs : réduire le plus possible à leur dimension
commerciale les relations gazières avec la Russie ; disposer du plus
grand nombre d’éléments de négociation pour les relations fournisseur
client pour une plus grande efficacité des politiques de l’Union 214
a. Un fournisseur russe qui restera incontournable, mais avec lequel la relation doit donc se banaliser le plus possible 214
b.
L’intérêt renforcé de la stratégie de sécurité énergétique de l’Union
européenne et de l’Union de l’énergie, grâce à une large gamme de
solutions alternatives dans la négociation énergétique 216
2. Un premier moyen : renforcer la fluidité du marché intérieur 218
a. Des prix d’autant plus élevés que le niveau de l’approvisionnement russe est important 218
b. L’importance des interconnexions et des flux rebours ou inversés 220
c. Faire évoluer encore davantage les clauses d’indexation des contrats à long terme ? 220
3. Un deuxième point d’appui : la diversification des pays fournisseurs et des voies d’approvisionnement en gaz 222
a. Suivre l’exemple de la Chine ? 222
b. L’accès aux gisements d’Asie centrale et de Méditerranée orientale par le corridor Sud 223
c. Accueillir davantage de GNL, notamment américain 227
d. Développer davantage le stockage gazier dans le cadre de la future stratégie européenne de stockage de l’énergie 229
4.
Un levier essentiel : mettre fin à la frilosité ou au refus paradoxal
des Etats en Europe, compte-tenu de sa dépendance, comme de la France,
de valoriser leurs ressources propres notamment en gaz et en pétrole non
conventionnels 231
a.
Un moyen de réduire la facture énergétique et de défendre l’industrie
européenne menacée par la concurrence américaine et la prochaine
concurrence asiatique 231
b. Trois voies techniquement possibles : le gaz et l’huile de schiste ; le gaz de houille ; le biogaz 232
i. Une question de choix politique 232
ii. Un certain intérêt au niveau européen, et aussi en France, pour le biogaz 232
c. Des réserves jugées substantielles dans le sous-sol européen pour une production de gaz et de pétrole non conventionnels 233
d.
Des engagements trop frileux des Etats membres de l’Union européenne
pour l’instant, vis-à-vis du gaz et du pétrole non conventionnels 234
i. La Pologne : une exploration qui se poursuit avec les compagnies nationales 234
ii. Le Danemark : un moyen de la transition énergétique 235
iii.
Le Royaume Uni : une pièce essentielle d’une stratégie énergétique
d’ensemble, dont la portée vient d’être récemment restreinte 236
iv. L’Allemagne : une longue hésitation avant d’opter très récemment pour un encadrement très strict 237
v. La recommandation de la Commission européenne 238
e.
Un élément qui serait pourtant aussi essentiel que décisif dans les
négociations énergétiques avec les grands pays fournisseurs dès le stade
de l’exploration 239
5.
Pour la France, trois raisons supplémentaires d’explorer voire même
d’exploiter gaz et pétrole non conventionnels, sans avoir même à
insister sur l’impératif géopolitique de conserver à la première
puissance militaire du continent ses capacités d’action 239
a. Les interdictions actuelles : des mesures incompréhensibles pour le reste du monde 239
b. L’exploration : une mesure de bon sens pour s’assurer au moins de la ressource et négocier en meilleure position 240
c.
L’exploitation : une mesure probablement indispensable pour le
rétablissement économique de notre pays, au-delà de l’intérêt
géopolitique évident d’une France sans fragilité 241
i.
L’impératif commercial : résorber en partie le déficit extérieur
(65 milliards en 2013 de déficit sur les produits énergétiques) 241
ii.
L’impératif de compétitivité : sauver l’industrie chimique et le
raffinage et assurer le renouveau des activités et des emplois sur le
territoire 242
iii.
L’impératif budgétaire : garantir la crédibilité et la solvabilité de
la France vis-à-vis de ses créanciers internationaux alors que la dette
publique pourrait bientôt atteindre 100 % du PIB 242
CONCLUSION 245
EXAMEN EN COMMISSION 247
ANNEXES 267
ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 267
Mesdames, Messieurs,
Depuis la Révolution industrielle, l’énergie est au cœur des relations de puissances.
Y
avoir accès est le ressort essentiel de la capacité internationale des
Etats, et donc de leur influence sur leur environnement géopolitique et
sur la maîtrise de leur destin. Dès le début du XIXe siècle, la
géographie du charbon commande la diffusion de de l’industrie. En
étroite association avec la démographie, elle dessine les nouveaux
contours de la puissance. Les grands pays en 1914 sont des Etats
charbonniers : le Royaume-Uni, la France, les Etats-Unis, l’Allemagne,
la Russie, l’Autriche-Hongrie aussi.
Ensuite, même si le charbon domine le bouquet énergétique mondial jusqu’en 1965, l’accès au pétrole devient essentiel.
Les
Etats-Unis sont le premier pays d’exploitation massive de la ressource à
partir de 1859. Ils deviennent la première puissance économique
mondiale dans les années 1870, et le resteront jusqu’en 2014. Ils sont
aussi le pays où se développent les grandes compagnies pétrolières qui
deviendront l’essentiel des Majors ou des Sept Sœurs
jusqu’aux grandes fusions de la fin des années 1990 et des années 2000.
Ils sont jusqu’à la fin des années 1940 un exportateur net de pétrole.
Ils deviennent ensuite importateur net. Le Royaume-Uni accorde au
pétrole une grande attention après le passage de l’instrument de sa
suprématie, la Royal Navy, du charbon au fioul avant la Première guerre mondiale et veille à ce que Shell et surtout l’Anglo-Persian,
nationalisée juste avant la guerre de 1914 et qui détient le monopole
sur l’Iran, ne tombent sous la coupe d’intérêts étrangers. Il veille
aussi sur ses intérêts au Proche-Orient, à l’Est de Suez.
La
Seconde guerre mondiale a montré l’importance de l’énergie, puisque les
puissances sans pétrole (Allemagne, Italie, Japon) ont été défaites par
les puissances pétrolières (Etats-Unis, Union soviétique) ou ayant un
libre accès aux océans (Royaume-Uni, France).
Les
années 1950 et 1960 sont donc marquées par une montée en puissance des
régions pétrolières dans la politique internationale dans le contexte du
développement économique des pays occidentaux, aussi spectaculaire que
fondé sur un usage croissant du pétrole, et aussi du gaz naturel, comme
sources d’énergie et matières premières.
La
sécurité du Moyen-Orient, dont la production devient stratégique pour
les Etats-Unis et leurs alliés européens, passe ainsi sous protection
américaine, en parallèle au déclin de la puissance et de la présence
anglaises, pour freiner l’expansion soviétique.
Néanmoins,
les besoins énergétiques des pays occidentaux les rendent dépendants
des approvisionnements extérieurs, et les implications de cette
vulnérabilité dépassent le seul domaine économique.
Leurs
relations avec les pays exportateurs de pétrole sont aussi marquées par
des rapports de forces, qui se nouent d’abord pour améliorer le partage
des bénéfices en leur faveur : des sociétés nationales sont créées soit
ex nihilo soit par nationalisation ; les pays exportateurs de
pétrole décident de créer leur propre organisation, l’OPEP, en septembre
1960.
De même, la dimension politique des échanges s’affirme.
D’abord,
l’URSS joue son propre jeu en exportant du pétrole vers l’Ouest,
notamment en Italie, dès les années 1960 et, ensuite, en développant
dans le contexte de la Détente et de l’Ostpolitik allemande, les
exportations de gaz vers l’Europe. Certains à l’Ouest y voient un futur
instrument de pression politique, ce qui en définitive ne sera pas le
cas.
Ensuite,
les précédents de 1956 et de 1967 ayant montré leur efficacité, les
pays arabes exportateurs de pétrole placent la question énergétique au
plus haut de l’agenda international avec l’embargo sur les exportations
et le quadruplement des prix du pétrole décidés à l’automne 1973, en
protestation au soutien occidental à Israël lors de la guerre du
Kippour. C’est l’élément déclencheur d’une crise économique majeure et
même d’une rupture : le chômage devient dans les pays occidentaux un
problème constant ; les taux de croissance des années 1950 et 1960 qui
ont permis le développement en Europe d’un modèle social performant ne
seront plus jamais retrouvées.
La
mise en exploitation de l’énergie nucléaire ne débouchant pas sur une
nouvelle révolution énergétique, en raison du haut niveau de technicité
et de sécurité que requiert son exploitation, ni même par la suite,
celle des énergies renouvelables, en raison des limites inhérentes à
leur intermittence, le pétrole et le gaz naturel sont restés depuis des
préoccupations majeures pour les Etats.
Après le premier choc pétrolier, la prospection et l’exploitation de gisements hors OPEP, notamment au Canada et offshore,
en Mer du Nord, se développent donc en parallèle aux programmes
électro-nucléaires, aux économies d’énergie et aux premières recherches
sur les renouvelables, pour modérer le poids et donc l’influence des
exportateurs traditionnels.
Plusieurs
éléments d’ordre politique maintiennent l’attention sur la
vulnérabilité de nos économies vis-à-vis du pétrole et du gaz.
D’abord,
la Révolution iranienne de 1979 s’accompagne du second choc pétrolier
et la Guerre entre l’Irak et l’Iran, à la fin de l’année 1980, inquiète
par sa proximité avec les grandes zones de production du Proche-Orient.
Ensuite,
le contre-choc pétrolier de 1985, imputable à la volonté de l’Arabie
saoudite, soutenue par les Etats-Unis, de maintenir ses parts de marché
et de faire baisser les prix, a des effets politiques majeurs : les
recettes d’exportation de l’URSS s’effondrent, ce qui conduit ensuite
par étapes à la chute du Mur de Berlin en 1989 et à la fin de la Guerre
froide ; celles de l’Irak et de l’Iran aussi, ce qui facilite la
conclusion d’une paix blanche.
Enfin,
en 1989-1990, la communauté internationale se mobilise, sous la
conduite des Etats-Unis, pour rétablir la souveraineté du Koweït, envahi
par Saddam Hussein qui cherche à s’assurer une part majeure des
réserves pétrolières d’alors pour rembourser ses dettes de guerre dans
les conditions les plus favorables.
La
fin de la Guerre froide et la généralisation de l’économie de marché,
ainsi que la mondialisation, ne conduisent pas à la banalisation des
hydrocarbures comme matières premières.
D’abord,
la mondialisation repose sur le développement de la production et des
échanges internationaux. La consommation d’énergie s’accroît très
fortement dans le contexte, qui plus est, d’une forte augmentation de la
population mondiale. Les pays de l’ancien Tiers monde deviennent ainsi
des pays émergents. Les plus importants d’entre eux changent de statut.
La Chine, notamment qui devient cette année la première puissance
économique mondiale, déploie progressivement une politique étrangère
fondée sur l’accès aux matières premières agricoles et non agricoles,
notamment en Afrique et au Moyen-Orient. La Russie se repositionne en
grande puissance exportatrice de pétrole et de gaz. L’Inde et le Brésil
se positionnent progressivement comme des acteurs majeurs.
Ensuite,
les tensions croissantes dans la zone Afrique du Nord-Moyen Orient font
que les approvisionnements en pétrole et en gaz doivent faire l’objet
d’une grande attention. Contrairement aux ambitions américaines, la
guerre en Irak de 2003 ne stabilise pas la région. Le printemps arabe ne
répond pas aux attentes des peuples et débouche sur l’instabilité comme
en Libye, ou la guerre civile, comme en Syrie. Après son expulsion
d’Afghanistan, Al Qaeda s’établit dans le monde arabo-musulman. L’Iran
cherche à se doter d’une capacité nucléaire civile dans des conditions
d’une telle ambiguïté qu’il est soupçonné d’avoir aussi un programme
nucléaire militaire. Cette perspective inquiète l’ensemble de la région,
notamment l’Arabie saoudite et la Turquie.
Enfin,
au cours des années 2000, l’augmentation de la consommation pétrolière
s’accompagne d’une telle augmentation des prix, qui frôlent les
150 dollars le baril, qu’elle nourrit les inquiétudes récurrentes sur la
fin du pétrole et celles, plus fondées, sur les risques d’un pétrole
hors de prix.
La
Révolution du gaz de schiste, et du pétrole ou plus exactement de
l’huile de schiste, aux Etats-Unis, et aussi au Canada, a démenti ces
pronostics économiques. Elle est même d’une telle ampleur que
l’économie des Etats-Unis retrouve un dynamisme d’ensemble et des
perspectives qui vont influer sur les rapports de puissance dans les
années qui viennent.
Tel
sera d’autant plus le cas que la présence de gaz et de pétrole de roche
mère, selon la terminologie appropriée, en-dehors du Moyen-Orient rebat
les cartes de la géographie future de l’énergie.
C’est
aussi cette exploitation d’une réserve nouvelle d’hydrocarbures qui
donne au monde une abondance nouvelle, qui repousse à longue échéance
l’éventualité d’un pic pétrolier, maximum absolu de la production
mondiale de pétrole, alors même que la question du niveau de la
consommation des énergies fossiles est examinée dans le cadre de la
lutte contre le changement climatique, et qui explique la surprise de la
forte chute du prix du pétrole au second semestre 2014.
Le
présent rapport est fondé sur des auditions de personnalités et
d’experts, à Paris, dont l’essentiel des procès-verbaux figure en
annexe, ainsi que sur un déplacement aux Etats-Unis, où la mission a été
fort bien accueillie et s’est vue communiquer des éléments fort
intéressants, pour y rencontrer notamment des représentants du
Département d’Etat, du Département de l’énergie, et du Département de la
Défense, et un autre déplacement à Bruxelles pour y rencontrer les
services de la Commission européenne.
Il est également fondé sur les éléments publiés par Eurostat, par l’Agence internationale de l’énergie, l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA, USEIA ou US Energy Information Administration)
et les entreprises pétrolières qui ont toutes un service économique.
Parfois, leurs chiffres diffèrent pour des raisons de convention qui
exigeraient des développements qui n’ont pas lieu d’être ici. C’est
pourquoi les sources sont toujours citées et il ne faut pas inférer des
différences éventuelles de chiffres des conclusions erronées. D’un point
de vue terminologique, les hydrocarbures non conventionnels considérés
sont essentiellement le pétrole et le gaz de roche mère, couramment
appelés aussi gaz de schiste et huile ou pétrole de schiste. La question
technique des conditions de leur extraction n’est pas abordée ici, car
elle relève d’autres compétences que celles de la Commission des
affaires étrangères.
Initialement
prévu pour l’automne 2014, le présent rapport a fait l’objet d’un
report, de manière que la chute des prix du pétrole et leurs
conséquences puissent faire l’objet d’auditions et d’études
complémentaires sur leur origine, leur durée et leurs conséquences.
Dans
cette perspective, après avoir rappelé les données de base de la
dépendance, d’ailleurs réciproque, des grands pays importateurs de
pétrole et de gaz vis-à-vis des principaux exportateurs, le présent
rapport montre en quoi la révolution américaine du gaz et de l’huile de
schiste et les perspectives de son extension dans d’autres pays
modifient ces rapports de puissance en laissant notamment l’Europe face
aux grands émergents d’Asie, dont la Chine, dans l’accès aux ressources
des grands exportateurs. Cela implique pour les Etats membres de l’Union
européenne de déployer une politique de sécurité énergétique fondée non
seulement sur la diversification des approvisionnements gaziers encore
trop dépendants de la Russie comme de valorisation des ressources de son
sous-sol, mais tenant compte en outre des facteurs d’instabilité
intrinsèques et de l’incertitude qu’engendre, au-delà des quelques
années qui viennent, la réduction des investissements liée à la chute
des cours du pétrole.
Ce
constat aurait été le même compte tenu des éléments fondamentaux des
marchés mondiaux de l’énergie, mais il est clair que l’actuelle crise
ukrainienne et la tension avec la Russie le corroborent.
LA PRODUCTION ET LES ÉCHANGES INTERNATIONAUX D’HYDROCARBURES : ÉLÉMENTS CLEFS DES RELATIONS DE PUISSANCES
C’est
entre 2005 et 2010 que la production mondiale d’hydrocarbures, de gaz
et de pétrole, a connu une importante mutation, bien qu’elle n’ait
concerné que deux pays, les Etats-Unis essentiellement et, dans une
moindre mesure, le Canada.
Bien
qu’ils soient connus depuis fort longtemps, les gaz et pétrole de roche
mère, appelés aussi gaz et pétrole de schiste, ont fait l’objet d’une
mise en exploitation commerciale croissante, car rentable.
Cette
deuxième composante représente un élément nouveau du marché pétrolier
et du marché gazier, dont le principal effet a été d’offrir des
capacités de production supplémentaires, puisque le gaz de schiste est
du gaz naturel, du méthane pour l’essentiel, et que le pétrole ou
l’huile de schiste est comparable aux autres pétroles.
A.
DES HYDROCARBURES NON-CONVENTIONNELS QUI NE DIFFÈRENT -DES GAZ ET
PÉTROLES CONVENTIONNELS QUE PAR LA GÉOLOGIE ET LES MODES D’EXTRACTION
Il n’y a pas de différence de nature entre les hydrocarbures conventionnels et les hydrocarbures de roche mère.
La seule différence tient à leur mode d’extraction qui relève de la géologie.
En
effet, alors que les hydrocarbures conventionnels, gaz ou pétrole, sont
géologiquement remontés de la roche mère vers des couches géologiques
moins profondes au cours du temps et ont été piégés dans des réservoirs
naturels étanches qu’il suffit de percer par endroit, par forage, pour
les extraire, les hydrocarbures non conventionnels exigent de casser la
roche mère profonde par microfracture, pour y avoir accès.
Le schéma suivant illustre ces éléments géologiques.
Différences géologiques des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels
Source : ENS de Lyon
Sur
le plan de l’exploitation, il convient de prévoir pour exploiter un
champ un plus grand nombre de puits que pour un gisement classique,
puisque un puits ne donne accès qu’à une quantité limitée de gaz ou de
pétrole. La technique actuelle d’exploitation est celle de la
fracturation hydraulique et donne lieu au schéma suivant, lequel
resterait pertinent si des techniques alternatives étaient mises en œuvre.
Source : Total
Ainsi,
par rapport aux gisements conventionnels, les puits de gaz et de
pétrole de schiste ont par puits une moindre production, même si le
profil reste le même avec une production plus marquée la première année
ou les deux premières années, avec ensuite diminution continue de la
production qui n’est cependant pas négligeable.
De
manière plus précise, selon les éléments communiqués par le ministère
de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, la production
d’un puits foré dans le bassin d’Eagle Ford aux Etats-Unis, par
exemple, est divisée par trois entre la première et la deuxième année
contre une réduction de 9 % pour un puits classique. L’exploitation d’un
champ de pétrole de schiste nécessite donc de mettre constamment en
production de nouveaux puits.
Publié par The Economist, le schéma suivant illustre ces éléments.
La
principale conséquence est d’ordre économique. La production de gaz et
de pétrole non conventionnels exige pour se maintenir un investissement
continu dans des forages.
C’est
une contrainte, mais c’est aussi une grande souplesse pour l’ajustement
de la production à la demande. En cas de chute de la demande ou en cas
de surproduction, le simple report des projets de nouveaux
investissements conduit à un réajustement des quantités.
Dans
l’ensemble, l’exploitation d’un champ est soumise à un processus de
renouvellement permanent, comme le montre le schéma suivant pour le
champ de Barnett au Texas, la production dépend essentiellement du nombre de forages et des conditions économiques d’exploitation.
Chaque zone colorée correspond à une cohorte ou à une « génération » de puits mis en exploitation au même moment.
Schéma d’exploitation d’un gisement de roche mère
Les
extractions suivent donc beaucoup plus la réalité économique que dans
le cadre d’un gisement classique pour lequel l’inertie des opérations de
pompage est beaucoup plus importante.
Il n’y a donc pas en l’état de « bulle » sans lendemain sur le pétrole et le gaz de roche mère.
B.
UNE PRODUCTION ACTUELLEMENT LIMITÉE AUX ETATS-UNIS ET AU CANADA, MAIS
QUI N’EST PAS POUR AUTANT NÉGLIGEABLE AU NIVEAU MONDIAL
En
2014, la production de pétrole brut des Etats-Unis s’est établie
d’après l’Agence américaine d’information sur l’énergie à 8,65 millions
de barils jour contre 7,45 l’année précédente.
C’est la poursuite de la reprise à la hausse de la production américaine de pétrole brut depuis le milieu des années 2000.
La
croissance de la production pétrolière américaine a été très forte ces
dernières années et a même retrouvé les niveaux de production voisins
de ceux des années 1970, comme l’indique le graphique suivant :
Evolution de la production américaine de pétrole brut
Source : EIA
La
croissance de ces dernières années résulte principalement de l’essor de
la production de pétrole non conventionnel (pétrole de réservoir
compact ou pétrole de schiste), qui a décollé en 2008, à l a suite de
la mise en œuvre
des techniques déployées à grande échelle pour l’exploitation du gaz de
schiste. L’accélération de la production pétrolière à partir de 2010 a
été favorisée par la hausse des prix du pétrole, notamment en poussant
les entreprises à favoriser les gisements gaziers riches en liquides. La
production de pétrole de réservoir compact qui représentait 1 million
de barils jour en 2010 a atteint 3 millions de barils jour dans la
deuxième moitié de l’année 2013. Cette nouvelle production fait croître
le volume produit à terre, et a modifié la donne des Etats pétroliers
aux Etats-Unis. Le Dakota du Nord, avec la formation de Bakken, est
devenu un des principaux producteurs de pétrole de réservoir compact. Il
est désormais le deuxième Etat pétrolier des Etats-Unis après le Texas.
Le graphique suivant récapitule ces éléments.
Evolution de la production d’huile de schiste aux Etats-Unis
(en millions de barils jour)
Source : EIA
C’est
donc en 2013 entre un tiers et 40 % environ de la production américaine
de brut qui a été d’origine non conventionnelle, soit environ 3 % à 4 %
de la production mondiale, puisque selon l’Agence internationale de
l’énergie, les Etats-Unis ont extrait cette même année 10,7 % du total
mondial. Le taux de 40 % est celui qui ressort des données américaines
pour la fin de l’année 2013. Pour ce qui concerne le Canada, les volumes
ont été nettement plus réduits, de moins de 1 million de barils jour.
Néanmoins,
c’est globalement entre 4 à 5 % de la production mondiale de pétrole
brut qui a été extraite à la fin de l’année 2013 et probablement sur les
premiers mois de l’année 2014 des gisements non conventionnels.
Pour
ce qui concerne le gaz naturel, le gaz de schiste est devenu en 2013 la
première source de production aux Etats-Unis, comme l’indique le
graphique suivant publié par l’Agence américaine d’information sur
l’énergie, le 25 novembre dernier.
Décomposition de la production de gaz naturel aux Etats-Unis
Source : EIA
En
2013, sur une production totale de 82 milliards de pieds cubiques par
jour, soit 2,3 milliards de mètres cubes par jour, le gaz naturel
provenant des gisements non conventionnels a atteint 33 milliards, soit
40 % du total.
Sa production a été multipliée par 6,5 depuis 2007.
Les
Etats-Unis ont représenté cette même année 2013 19,8 % de la production
mondiale, selon l’Agence internationale de l’énergie.
En 2013, la production de gaz de schiste des Etats-Unis a par conséquent représenté presque 8 % de la production mondiale.
Pour ce qui concerne le Canada, en 2012, c’est selon l’étude de la Bibliothèque du Parlement
n° 2014-08 F, 15 % de la production du pays. Celui-ci ayant produit en
2013 4,5 % du total mondial, on peut estimer à environ 0,7 % de la
production mondiale de gaz naturel la contribution canadienne au titre
du gaz de schiste.
Par conséquent, c’est plus de 8 % de la production mondiale de gaz naturel qui provient des gisements non conventionnels.
C. UNE PRODUCTION À L’ÉCHELLE COMMERCIALE MAIS MARGINALE DANS DEUX AUTRES PAYS : LA CHINE ET L’ARGENTINE
Le
mois dernier, l’Agence américaine d’information sur l’énergie a indiqué
qu’une production à l’échelle commerciale de gaz ou de pétrole non
conventionnel avait été enregistrée en Chine et en Argentine.
Pour
être plus précis, il s’agit de l’Argentine pour le pétrole, avec une
très faible production de 20.000 barils jour et aussi pour le gaz
naturel en Chine, avec 250.000 pieds cubiques par jour soit 7.000
mètres cubes par jour.
II.
LA CONCENTRATION DES EXPORTATIONS DE PÉTROLE ET DE GAZ NATUREL SUR
QUELQUES ETATS : LES INCIDENCES POLITIQUES D’INÉGALITÉS GÉOLOGIQUES AU
DÉTRIMENT DES GRANDS PAYS CONSOMMATEURS, NOTAMMENT POUR LE GAZ NATUREL
1. Un petit nombre de très grands exportateurs, dont la Russie, l’Arabie saoudite et les pays du Moyen-Orient
Selon les données du BP Statistical review publié en juin 2014, la production pétrolière mondiale s’est établie à 86,7 millions de barils jour en 2013.
Les dix premiers producteurs mondiaux concentrent les deux tiers du total mondial.
Le
premier producteur mondial est toujours l’Arabie saoudite avec 13,1 %
du total, devant la Russie (12,9 %), les Etats-Unis (10,8 %), la Chine
(5 %), le Canada (4,7 %), l’Iran et les Emirats arabes unis (4,0 %
chacun), l’Irak et le Koweït (3,7 % chacun) et le Mexique (3,4 %).
Le
Vénézuela (3,3 %), ainsi que le Brésil, le Nigéria et le Sud-Soudan
(2,7 % chacun) viennent juste après. Ensuite, ce sont l’Angola, la
Norvège et le Kazakhstan avec environ 2 % de la production mondiale.
D’un
point de vue géographique, le Moyen-Orient concentre 32 % de la
production mondiale de brut, contre 16 % pour les pays de la CEI et
19 % pour l’Amérique du Nord.
Les pays de l’OPEP assurent 42 % de la production mondiale et ceux de l’OCDE 23 %.
b.
Deux très grands exportateurs : l’Arabie saoudite et la Russie, suivis
par trois Etats clefs du Moyen-Orient, l’Irak, les Emirats arabes unis
et le Koweït
Les
différences de population, de niveau de développement, de structure des
économies, puisque l’industrie consomme davantage d’énergie que les
services, expliquent que seuls certains de ces pays sont de grands
exportateurs de pétrole.
Exprimées
en masse, les exportations totales de pétrole ont représenté en 2013 un
total de 1.985 millions de tonnes, selon l’Agence internationale de
l’énergie (AIE), pour une production mondiale de 4.117 millions de
tonnes.
Les
principaux exportateurs nets sont l’Arabie saoudite (18,7 % du total
mondial), puis la Russie (12 %), le Nigéria (6,2 %), l’Irak et les
Emirats arabes Unis (6 % chacun), le Koweït (5,2 %), le Venezuela
(4,7 %), le Canada (4,5 %), l’Angola (4,2 %) et le Mexique (3,3 %). Le
reste du monde a assuré 29 % des exportations de brut.
L’Iran
qui représentait 6,1 % des exportations en 2011 comme le Nigéria a
disparu des dix plus gros exportateurs en raison des sanctions prises en
2012 par les Etats-Unis puis l’Union européenne.
c.
La dépendance de quelques grandes puissances économiques : l’Union
européenne et les grands pays d’Asie, Chine, Japon et Corée du Sud
Les
principaux consommateurs de pétrole sont d’abord les Etats-Unis, avec
19,9 % du total, selon les données publiées cette année par BP, puis
l’Union européenne (14,5 %, dont 2,7 % pour l’Allemagne et 1,9 % pour la
France), la Chine (12,1 %), le Japon (5 %), l’Inde (4,2 %), la Russie
(3,7 %) et l’Arabie saoudite (3,2 %), la Corée du Sud (2,6 %), le Canada
(2,5 %) et le Mexique (2,1 %).
Géographiquement,
le tiers du pétrole est consommé par l’Asie, le quart par l’Amérique du
Nord (Etats-Unis, Canada et Mexique), le cinquième par l’Europe et la
Russie et un dixième par le Moyen-Orient et l’Amérique latine.
L’écart
entre la production et la consommation fait qu’en 2012, selon les
données de l’AIE, trois pays européens se sont trouvés parmi les dix
principaux importateurs nets : l’Allemagne, la France et l’Italie.
En
effet, si les Etats-Unis ont été à l’origine du cinquième des
importations de pétrole brut en 2012, 21,5 % plus précisément contre
24 % l’année précédente, suivent la Chine (13,1 % en 2012 contre 12 % en
2011), l’Inde (9 % contre 8,5 % l’année précédente), le Japon (8,7 %
contre 8,5 %), la Corée du Sud (6,2 %), l’Allemagne (4,5 %), l’Italie
(3,6 %), l’Espagne (2,9 %), les Pays-Bas et la France (2,8 % chacun).
Dans
le paysage européen, le Royaume-Uni fait exception grâce aux ressources
de la Mer du Nord qui représentent 1 % de la production mondiale.
Le graphique suivant récapitule les échanges internationaux de pétrole en 2013.
Source : BP Statistical Review 2014
d. Des réserves conventionnelles très concentrées sur quelques Etats, notamment ceux du Moyen-Orient
Les
réserves pétrolières étaient estimées fin 2013 à 1.688 milliards de
barils, soit 50 ans environ au rythme de consommation actuel.
La
concentration des réserves prouvées est très importante à raison de
17,7 % au Venezuela, 15,5 % en Arabie saoudite, 10,3 % au Canada, 9,3 %
en Iran, 8,9 % en Irak, 6 % au Koweït et 5,8 % dans les Emirats arabes
unis.
Les trois quarts des réserves sont donc concentrés sur sept Etats seulement, dont cinq autour du Golfe persique.
Géographiquement,
les pays du Moyen-Orient représentent 48 % des réserves prouvées,
contre 28 % pour les pays de l’ancienne Union soviétique, 20 % pour
l’Amérique du Sud et 10 % pour l’Amérique du Nord.
Les pays de l’OPEP détiennent 72 % des réserves prouvées de pétrole, contre 14,7 % pour l’OCDE.
Par
rapport à 1993 et 2003, on constate que le niveau global des réserves
pétrolières s’est accru, passant de 1.014 millions de barils à
1687 millions de barils, mais que sa répartition géographique a changé.
Comme
le montre le graphique suivant, la part de l’Amérique latine s’est
considérablement accrue sous l’effet de la réévaluation des réserves du
Venezuela.
Distribution des réserves prouvées
Source : BP Statistical review 2014
Les réserves de pétrole et de gaz
La notion de réserve repose
essentiellement sur la notion de réserves prouvées, c’est-à-dire
confirmées par des explorations, mais elle est aussi étroitement
dépendante des conditions économiques et techniques, présentées par M.
Pierre Terzian, directeur de géostratégies.
« Les barils que l’on découvre, ce
sont les barils en terre, c’est-à-dire qu’ils sont physiquement présents
sous la terre. Avec les techniques et prix actuels, on peut produire en
moyenne mondiale 33 barils sur les 100. Sur certains gisements, on en
arrive à 55%. Sur d’autres, on ne dépasse pas 10%, c’est le cas des
pétroles extra lourds qui sont très difficiles à produire.
« Lorsque j’affirme que nous avons 55
années de réserves devant nous, c’est donc sur la base des 33% de
récupération. On a actuellement plus de 1600 milliards de barils de
réserves prouvées. Cela veut dire que ces 1600 milliards représentent
1/3 de ce que l’on a découvert. On a donc découvert 4800 milliards de
barils de réserves.
« Si la technologie progresse, on peut
produire d’avantage sans même découvrir de pétrole, à partir des
réserves existantes. D’ici une quinzaine ou une vingtaine d’années,
nous serons à un taux de 50% de récupération pour la production.
« L’augmentation des prix est un autre
facteur d’augmentation des réserves. Les réserves représentent ce que
l’on peut produire avec les techniques actuelles et les prix actuels. Si
le prix augmente, davantage d’efforts techniques seront consentis
(puits etc.), et les réserves augmenteront sans même effectuer de
nouvelles découvertes.
« Or nous réalisons de nouvelles
découvertes. Il y a donc une situation d’abondance sans précédent. C’est
inédit dans ce secteur, alors que j’y suis depuis 42 ans. C’est le
résultat d’avancées techniques essentiellement, et aussi du prix du
pétrole.
« Le progrès technique est
spectaculaire. Il y a quarante ans, les forages en Mer du Nord étaient
entre 50 mètres à 60 mètres de profondeur, et c’était considéré comme
une prouesse. Aujourd’hui, les brésiliens forent à 3000 mètres de
profondeur d’eau. (…)
« La technologie utilisée coûte
cependant très cher, chaque puits peut coûter entre 100 à 150 millions
de dollars. Alors qu’ailleurs, au Moyen-Orient, un puits coûte entre 5 à
10 millions de dollars environ. »
2. Une cartellisation importante dont le poids reste limité dans la production, mais pas dans les réserves : l’OPEP
L’Organisation
des pays exportateurs de pétrole, l’OPEP, a été créée lors d’une
réunion à Bagdad le 14 septembre 1960, pour coordonner les pays
exportateurs de pétrole. C’est l’un des exemples de cartellisation d’un
secteur économique au niveau mondial.
L’objectif
a été d’instaurer davantage d’équité dans le partage des bénéfices
pétroliers entre les grandes entreprises pétrolières et les pays de
production dans le contexte de la décolonisation.
Les
cinq pays fondateurs, l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Irak, le Koweït et
le Venezuela, ont été rejoints par le Qatar en 1961, l’Indonésie en
1962, qui s’en est retirée en 2008, la Libye en 1962, Abou Dhabi en 1967
- qui avec six de ses voisins formera les Emirats arabes unis en 1971-,
l’Algérie en 1969, le Nigeria en 1971, l’Equateur en 1973, qui se
retire en 1992 et y revient en 2007, et le Gabon en 1975, qui s’en
retire en 1996, puis enfin l’Angola en 2007.
L’OPEP a son siège à Vienne et actuellement 12 Etats en sont membres.
La logique de la maîtrise de la production face aux consommateurs et aux grandes compagnies pétrolières internationales, aux Majors,
a conduit tant à la nationalisation du secteur pétrolier dans les pays
considérés, avec création d’une compagnie nationale, qu’à un mécanisme
de maîtrise et de répartition de la production grâce à des quotas.
Chaque
pays membre de l’OPEP bénéficie en effet d’un quota de production,
exprimé en termes de quantité, lequel n’est pas toujours respecté.
Les
pays arabes producteurs de pétrole se sont groupés dans une
organisation différente, l’Organisation des pays arabes exportateurs de
pétrole (OPAEP), créée en 1968 après la Guerre des Six jours et qui
comprend actuellement l’ensemble des pays arabes, sauf le Maroc, la
Jordanie et le Liban.
Dans
la géographie et l’économie du pétrole, le poids de l’OPEP a toujours
été proche de la majorité de la production sans toutefois avoir la place
prépondérante qu’auraient souhaitée ses fondateurs.
L’URSS puis la Russie notamment ont dès les années 1960 constitué un élément perturbateur des équilibres souhaités.
Ainsi, la production de l’OPEP ne dépasse pas 50 % de la production mondiale depuis plusieurs décennies.
Comme
le montre le graphique suivant, sa part dans la production mondiale de
pétrole a même fortement diminué après de le premier choc pétrolier et
ne s’est stabilisée qu’en 1984.
La chute de la part de l’OPEP après le premier choc pétrolier
Source : BP Statistical review
Ensuite,
à partir du début des années 1990 et jusqu’en 2005, la part de l’OPEP
dans la production mondiale de pétrole oscille un peu au-dessus de 40 %.
Puis,
à partir de cette période, elle tend à légèrement remonter et ce
mouvement devrait se poursuivre dans les années suivantes, comme le
montre le graphique suivant, communiqué par l’IDDRI.
Le poids de l’OPEP dans la production mondiale de pétrole
Source : Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI)
En
termes de réserves, l’OPEP reste stratégique et incontournable avec
selon ses estimations 81 % des réserves prouvées à la fin de l’année
2013. C’est ce qu’indique le graphique suivant.
Part de l’OPEP dans les réserves prouvées
Sur des bases un peu différentes, le BP Statistical Review
de 2014 estime à 72 %, comme on l’a vu, les réserves de l’OPEP en 2013,
en baisse par rapport à 1993 (74,4 %), mais en hausse par rapport à
2003 (68,36 %).
C’est
cette prépondérance des réserves de l’OPEP, notamment dans la région
Moyen-Orient et Afrique du Nord, qui lui confère son caractère
structurellement stratégique à long terme.
Issues
du mouvement progressif de nationalisation de la ressource et de
l’exploitation par les pays producteurs, les compagnies nationales des
pays pétroliers représentent l’essentiel des réserves d’hydrocarbures
dites « 2P » : découvertes, en cours de production ou de développement.
Selon
les éléments disponibles, elles en contrôlent, en effet, les quatre
cinquièmes (79 % des réserves), dont 58 % pour les pays de l’OPEP et
21 % pour les autres compagnies nationales des pays hors OPEP.
En
termes de production, elles sont à l’origine de plus de la moitié du
pétrole mondial, à raison de 57 %, dont 27 % pour l’OPEP et 30 % hors
OPEP.
Le graphique suivant publié par Pétrostratégies en 2013 montre cette prédominance des compagnies nationales.
Répartition des réserves entre les compagnies pétrolières
En 2002, les réserves prouvées de dix premières compagnies pétrolières ou gazières faisaient apparaître ExxonMobil, puis Gazprom, puis Loukoil, puis BPAmoco, Petrochina, Ioukos, Shell, Chevron Texaco, Petrobras et Total.
Le graphique suivant, publié dans l’ouvrage « Géopolitique du pétrole » aux Editions Technip en 2005 par MM. Cédric de Lestrange, Christophe-Alexandre Paillard et Pierre Zélenko, récapitule ces éléments.
Répartition de ces réserves au début des années 2000
Au-delà
de la détention des réserves, le poids des compagnies nationales des
pays producteurs de pétrole est avéré dans la production comme dans le
chiffre d’affaires.
Comme l’indique le tableau suivant, les principaux producteurs sont des compagnies nationales et la première des Majors, Exxon, n’arrive qu’en quatrième position.
En revanche, pour le chiffre d’affaires, la présence de deux compagnies chinoises s’explique par la taille du marché du pays.
Chiffre d’affaires des plus grandes compagnies pétrolières
Source : Total
Le
poids des très grandes compagnies internationales non issues des pays
pétroliers s’explique par leur présence davantage dans l’aval que dans
l’amont.
C’est ce qu’a expliqué M. Jean-François Dussoulier, directeur des affaires générales d’Exxonmobil France, en indiquant que « Le
groupe détient 34 raffineries dans le monde, soit environ 6 % seulement
de la capacité mondiale de raffinage. Il raffine deux fois plus de
pétrole qu’il n’en produit, et commercialise presque deux fois plus de
produits qu’il n’en raffine. Il est donc un acheteur net de produits
finis et de brut sur les marchés internationaux. »
4. Un marché mondial dont le prix est le même, sous réserve des différences de qualité de brut et de particularités locales
Contrairement
au gaz naturel, aucune température ni condition de pression
particulière n’est exigée pour le transport du pétrole. Celui-ci
présente donc d’un point de vue économique de très grands avantages. Il
est aisément transportable, aisément divisible, et à quelques réserves
près sur des différences de qualité, un baril de pétrole est aisément
substituable à un autre baril.
Il
existe donc un véritable marché international du pétrole avec, dans
l’ensemble, un cours mondial, marché articulé autour des transports
internationaux par oléoduc ou par navire, sachant que les deux sont
souvent combinés.
Pour
être plus précis, il existe cependant différents prix fonction des
qualités de brut et de particularités locales. Mais ces différents
compartiments de marché sont connectés et leurs évolutions sont donc
corrélées par les arbitrages des opérateurs de marché.
Les
prix de référence des marchés dit « spot » pour les échanges au jour le
jour et pour une livraison immédiate sont ceux des bruts de référence :
l’Arabian Light côté à Dubaï, le Brent de la Mer du Nord, le Nigerian Forcados pour le pétrole du Nigéria et le WTI (West Texas Intermediate) pour le pétrole américain.
Pour l’année 2013, le prix de référence à Dubaï a été de 105,45 dollars le baril, contre 108,66 pour le Brent, 111,95 pour le Forcados et 97,99 pour le WTI, nettement moins cher en raison de l’abondance des hydrocarbures de schiste aux Etats-Unis.
En
raison de ce marché mondial, un exportateur de pétrole a peu de moyens
de pression sur un pays importateur. Toute mise unilatérale sous embargo
peut être aisément compensée.
L’Arabie
saoudite est en général considérée comme le producteur d’appoint sur le
marché international du pétrole avec 13,1 % de la production mondiale
et 18 % des exportations en 2013 selon l’AIE, et une population
suffisamment peu nombreuse.
Lorsque
les capacités de production sont tendues, comme tel était le cas il y a
quelques mois, elle est le pays qui est réputé en avoir encore de
disponibles. Le Koweït aussi présente la même caractéristique, mais dans
une moindre mesure.
A
l’opposé, comme ce fut le cas en 2009 et comme c’est actuellement le
cas, lorsque les prix s’effondrent, c’est vers l’Arabie saoudite que
l’on se tourne pour une réduction de la production. C’est d’ailleurs ce
qu’elle fait ou qu’elle ne fait pas en fonction d’objectifs non
seulement commerciaux, en arbitrant entre le maintien de sa part de
marché et le niveau des cours, et aussi en évaluant les conséquences
économiques et politiques d’une éventuelle chute des cours, toujours
temporaire.
Le
refus saoudien d’une réduction de sa production au début du mois de
novembre 2014 a été interprété comme la volonté du pays de conserver sa
part de marché et de faire sortir du marché les producteurs marginaux
aux coûts de production les plus élevés.
Ce rôle de l’Arabie saoudite est aussi inhérent à sa qualité de membre de l’OPEP.
Néanmoins, la capacité de l’Arabie saoudite à assumer ce rôle est parfois mise en doute pour deux raisons.
D’abord,
les courbes montrent un certain plafonnement de la production
saoudienne, ces dernières années, depuis environ dix ans, avec des pics
qui ne dépassent pas en moyenne les 9,5 millions de barils jours. C’est
ce qu’indique le graphique suivant.
Production pétrolière de l’Arabie saoudite
Source : Les Echos data
Ensuite,
selon les statistiques de BP, la consommation intérieure saoudienne est
en effet passée de 1,78 million de barils jour en 2003 à 3,07 en 2013,
soit une augmentation de 73 %. Le rythme d’augmentation reste élevé à
raison de 3 % entre 2012 et 2013.
En conséquence, les exportations saoudiennes semblent de plus en plus contraintes par les besoins du marché intérieur.
A
l’opposé, les statistiques de l’OPEP ne font pas apparaître en l’état
une telle contrainte sur les exportations de brut saoudien et l’avis
général au cours de la mission était que l’Arabie est le seul pays qui
dispose de capacités de production excédentaires.
En
effet, les exportations saoudiennes se sont élevées à 6,268 millions de
barils jour en 2009 et à 7,55 millions de barils jour en 2012 comme en
2013.
Le
gaz naturel a connu son développement plus tard que le pétrole, car ce
n’est que dans les années 1920 que la technologie de la soudure a été
suffisamment au point pour permettre la construction des gazoducs. Il
doit son expansion aux Etats-Unis non seulement à cette maîtrise de la
technique, mais également au New Deal, avec la mise en place d’une régulation dans le cadre du Natural Gas Act de 1938.
Cet
hydrocarbure s’est ensuite développé en Europe à partir des gisements,
maintenant épuisés, d’Italie et de Lacq, en France, ainsi que de
Groningue aux Pays-Bas, puis de la Mer du Nord et, à partir des années
1970, avec les livraisons de gaz soviétique.
1.
Une très forte concentration de la production et des réserves, avec
quatre acteurs majeurs : les Etats-Unis, devenus le premier producteur
mondial, la Russie, le Qatar et l’Iran
La
production mondiale, qui s’est établie à 3.479 milliards de mètres
cubes en 2013, selon l’Agence internationale de l’énergie, est
essentiellement assurée par quatre pays.
Depuis
2012, le premier producteur est dorénavant les Etats-Unis avec
689 milliards de mètres cubes produits en 2013 grâce à la révolution du
gaz de schiste. Cela représente 19,8 % de la production mondiale.
La
production de gaz de schiste représente 40 % de ce total, celle de gaz
de réservoir compact 20 % et celle de gaz de houille 7 %.
Ensuite,
le deuxième producteur mondial est la Russie, avec 671 milliards de
mètres cubes en 2013 et 19,3 % de la production mondiale.
Les autres pays producteurs sont de bien moindre importance, mais deux se détachent :
– le
Qatar, qui est un très gros exportateurs en raison de la faible taille
de sa population, a produit 161 milliards de mètres cubes et 4,6 % du
total mondial, ce qui le place autroisième rang ;
– l’Iran a été en 2013 le quatrième producteur avec 159 milliards de mètres cubes et 4,6 % de la production mondiale.
Ensuite,
le Canada est le cinquième producteur avec 155 milliards de mètres
cubes et 4,5 %, devant la Chine (115 milliards de mètres cubes et
3,3 %), la Norvège (109 milliards et 3,1 %), puis les Pays-Bas (86
milliards et 2,5 %), l’Arabie saoudite (84 milliards et 2,4 %) et
l’Algérie (80 milliards et 2,3 %).
Il
faut également observer que plusieurs pays du Proche-Orient et de la
CEI ont des productions significatives autour de 1,5 % du total
mondial : le Turkménistan (62,3 milliards de mètres cubes),
l’Ouzbékistan (55 milliards), ainsi que les Emirats arabes unis et
l’Egypte (56 milliards chacun). L’Australie a encore une moindre
production, mais en croissance, avec 43 milliards de mètres cubes.
Les réserves mondiales sont estimées à 185.700 milliards de mètre cubes, soit 55 ans de consommation au rythme actuel.
Quatre
pays dominent en l’état, celui de l’exploitation des gisements
conventionnels : l’Iran, au premier rang avec 18,2 % des réserves
mondiales, la Russie avec 16,8 %, le Qatar 13,3 %, ainsi que le
Turkménistan, avec 9,8 %.
La Russie et les pays de l’ancienne Union soviétique représentent quant à eux près d’un tiers des réserves mondiales (28,5 %).
L’essentiel
des réserves actuellement identifiées, hors le non- conventionnel donc,
est concentré hors de la zone OCDE à raison de 89,7 %.
Avec
0,8 % des réserves mondiales en raison de l’épuisement de ses actuels
gisements de Groningue et de Mer du Nord, l’Union européenne est
clairement réduite à la portion congrue.
Sur
le long terme, depuis 1999, on constate une stabilité de la ventilation
des réserves selon les grandes régions, comme l’indique le graphique
suivant.
Evolution des réserves de gaz naturel par grandes régions
Source : BP Statistical Review 2014
Cependant,
si l’on décompose la catégorie Europe et Eurasie, qui a le défaut de
regrouper l’Union européenne et la Russie, on constate que ce sont en
fait la Russie, les pays de la Caspienne et le Moyen-Orient qui
représentent l’essentiel des réserves :
– la Russie à raison de 16,8 % et le Turkménistan, avec 9,4 %, dominent la première zone géographique ;
– pour
le Moyen-Orient, ce sont deux pays, l’Iran à raison de 18,2 % des
réserves prouvées mondiales et le Qatar, avec 13,3 %, qui dominent aussi
la zone géographique, laissant en l’état aux autres pays une part
réduite, sauf l’Arabie Saoudite avec 4,4 % des réserves mondiales ;
– hors
de ces deux zones, c’est aux Etats-Unis avec 5 % du total mondial que
les réserves prouvées de gaz naturel sont les plus importantes, ainsi
qu’en Algérie (2,4 %).
Avec
22 % du total mondial et 737 milliards de mètres cubes en 2013, les
Etats-Unis sont le premier consommateur mondial de gaz naturel.
Viennent
ensuite l’Union européenne (13,1 %), la Russie (12,3 %), la Chine et
l’Iran (4,8 % chacun), le Japon (3,5 %), ainsi que le Canada et l’Arabie
saoudite (3,1 % chacun).
Au
sein de l’Union européenne, ce sont surtout l’Allemagne (84 milliards
de mètres cubes et 2,5 % du total mondial), le Royaume-Uni (73 milliards
et 2,1 %) et l’Italie (64 milliards et 1,9 %), qui comptent.
La
France n’est pas un grand consommateur de gaz naturel (43 milliards de
mètres cubes et 1,3 %) car sa production d’électricité, essentiellement
fondée sur le nucléaire, n’en dépend pas. Certains caricaturent en
indiquant que le gaz naturel sert en France à « faire la cuisine et se
chauffer ».
Les
pays de forte consommation de gaz naturel par habitant, au-delà de
2 tonnes d’équivalent pétrole, sont la Russie, les Etats-Unis, le
Canada, les Pays-Bas, l’Arabie saoudite, l’Iran et le Turkménistan.
3.
Des échanges clefs entre les quelques grands importateurs, dont
l’Union européenne et le Japon, et le petit nombre de très gros
exportateurs : la Russie, traditionnellement producteur d’appoint, et le
Qatar
Selon
l’Agence internationale de l’énergie, les échanges internationaux de
gaz naturel se sont élevés à 836 milliards de mètres cubes en 2013.
Les
principaux importateurs de gaz sont le Japon avec 123 milliards de
mètres cubes (14,7 % du total des importations mondiales), l’Allemagne
(76 milliards de mètres cubes et 9,1 %), l’Italie (68 milliards et
7,4 %), la Corée du Sud (53 milliards et 6,3 %), la Chine (43 milliards
et 5,9 %), la Turquie (45 milliards et 5,3 %), la France (43 milliards
et 5,1 %) et le Royaume-Uni (39 milliards et 4,6 %), ainsi que les
États-Unis, à titre d’appoint en raison de l’insuffisance en 2013 des
interconnexions du réseau intérieur de distribution pendant les périodes
de froid (37 milliards) et l’Espagne (30 milliards).
Les
exportations d’un niveau équivalent (850 milliards de mètres cubes) ont
essentiellement été en provenance de trois pays, à savoir la Russie
avec 203 milliards de mètres cubes, soit 24 % du total, le Qatar (121
milliards de mètres cubes et 14,24 % du total) et la Norvège (103
milliards de mètres cubes et 12,1 % du total).
Les
autres exportateurs, pour significatifs qu’ils soient, sont de moindre
importance : le Canada (54 milliards de mètres cubes), l’Algérie (45
milliards de mètres cubes), le Turkménistan (45 milliards aussi), les
Pays-Bas (40 milliards de mètres cubes), l’Indonésie (35 milliards),
l’Australie (26 milliards) et le Nigéria (22 milliards).
Le
face à face entre grands importateurs et grands exportateurs concerne
surtout l’Union européenne et l’Asie, dont le Japon, avec la Russie et
le Qatar.
Du point de vue du gaz naturel, c’est la Russie qui assure traditionnellement le rôle de producteur d’appoint, de swing producer.
La carte suivante récapitule l’ensemble des échanges de gaz naturel en 2013.
Echanges mondiaux de gaz naturel en 2013
Source : BP Statistical review 2014
Contrairement
au pétrole, le gaz naturel ne peut être transporté et stocké que dans
des conditions de pression ou de température spécifiques.
Ses
échanges se font nécessairement avec des infrastructures : soit les
gazoducs, les tubes, lesquels exigent des contrats de long terme entre
le producteur et le consommateur, pour être rentables ; soit sous forme
de gaz naturel liquéfiée (GNL), par méthanier, ce qui exige des
installations de liquéfaction dans le pays de départ, et de
regazéification dans le pays d’importation ou dans un pays voisin qui
lui est relié par gazoduc.
Ce
sont des installations très coûteuses. Les gazoducs sont plus complexes
que leurs homologues pétroliers car il faut des stations de compression
tous les 150 kilomètres en moyenne, entre 100 et 200 kilomètres selon
les cas de figure.
Pour optimiser les gazoducs pendant les périodes de pointe, le réseau est également assorti de sites de stockage souterrain.
Ce
sont essentiellement l’Union européenne et la Turquie qui sont
desservies par gazoduc provenant de Russie, d’Afrique du Nord et du
Proche-Orient. Les autres gazoducs internationaux sont moins développés.
Pour l’ensemble du Monde, les échanges internationaux de gaz naturel se sont élevés d’après le BP Statistical Review 2014 à
1 036 milliards de mètres cubes en 2013, dont 711 par gazoduc et 325
par GNL. La répartition est donc de 68,7 % et 32,3 %, soit deux tiers
pour les gazoducs.
Pour l’Union européenne, 88 % des approvisionnements étrangers se sont faits par gazoduc.
Ces gazoducs viennent de Russie, d’Afrique du Nord et de Mer du Nord, comme l’indique la carte suivante.
Desserte de l’Union européenne par gazoduc
Source : Le Monde
La
Chine a une répartition équilibrée entre les deux modes
d’approvisionnement : 27,4 milliards de mètres cubes par gazoduc et 24,5
milliards par GNL.
b.
Le rôle des contrats « take or pay » de long terme avec des quantités
prévues à l’avance et une clause d’indexation sur le prix du pétrole
Lorsque les grands réseaux de gazoducs se sont créés dans les années 1960 et 1970, le nombre des opérateurs était très réduit : Sonatrach et le ministère russe de l’énergie, qui a ensuite donné lieu à Gazprom, ainsi que le régulateur norvégien GFU du côté de l’offre ; Gaz de France, Snam (Italie) et Distrigaz (Royaume-Uni), en situation de monopole, et Ruhrgas, en situation dominante en Allemagne, du côté de la demande.
La
négociation a abouti, compte tenu de la lourdeur des infrastructures, à
mettre en place des contrats de longue durée, de 20 à 25 ans.
La clause essentielle a été la clause dite take or pay
(prendre ou payer) : le vendeur garantit la mise à disposition du gaz
auprès de l’acheteur, qui garantit en contrepartie le paiement d’une
quantité minimale d’énergie, qu’il en prenne livraison ou non.
Les
autres clauses ont porté sur le volume des livraisons annuelles et les
modalités de sa flexibilité, journalière, hebdomadaire, mensuelle et
aussi annuelle, ainsi que le prix et son évolution.
La
clause d’indexation a été une clause d’indexation dite pétrole, sur le
prix du pétrole brut ou sur un panier de produits pétroliers considérés
comme substituables au gaz.
Les
échanges par GNL sont maritimes. L’Asie est essentiellement desservie
par GNL dont elle représente le premier client. La carte suivante
illustre ces éléments.
Echanges mondiaux de gaz : gazoducs vs GNL
Source : Total
Le
marché du GNL est ainsi dominé par l’Asie. Comme l’indique le graphique
suivant, c’est sur ce continent que le GNL couvre non seulement une
part essentielle de la consommation, mais aussi l’essentiel des
importations en raison des capacités actuelles du réseau des gazoducs.
Source : Total
Ailleurs, le GNL n’a en 2012 participé que très marginalement à l’équilibre du marché nord-américain à
raison de moins de 2 % de la consommation gazière. C’est
essentiellement à cause de la montée en puissance du gaz de schiste au
Etats-Unis et au Canada.
Tel
n’est pas le cas pour l’Europe, Turquie comprise, où le GNL a couvert
12 % des besoins en gaz en 2012 avec un volume importé de 47 millions de
tonnes (Mt). L’Espagne a représenté, en 2012, le plus gros débouché
européen avec 15,4 Mt, devant le Royaume-Uni (10,3 Mt), la France
(7,2 Mt), la Turquie (5,7 Mt) et l’Italie (3,9 Mt), selon les données du
ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Comme
la croissance des importations de gaz par gazoduc de Russie et du
Moyen-Orient ne permet pas de compenser le déclin de la production
gazière de la Mer du Nord, indépendamment des circonstances politiques,
la part du GNL est considérée comme appelée à progresser dans le mix
gazier européen.
En
2020, il devrait couvrir, selon les prévisions de Total, 14 % de la
demande, avec un volume d’importation de l’ordre de 60 Mt.
Pour
sa part, l’Asie a été destinataire en 2012 de 71 % de la production
mondiale de GNL, soit plus de 167 Mt. En l’absence de production
domestique et de réseau d’importation par gazoduc, le GNL est l’unique
source d’approvisionnement gazier du Japon, premier importateur mondial
avec 87,4 Mt en 2012, de la Corée du sud (36,2 Mt) et de Taïwan (12,8
Mt).
A
l’horizon 2020, cette région restera de très loin la première
consommatrice de GNL, avec des importations estimées, selon Total, à 268
Mt, représentant 43 % des besoins asiatiques en gaz. La Chine et l’Inde
devraient fortement contribuer à cette progression. L’augmentation des
productions domestiques et des importations par pipeline ne suffiront
pas, en effet.
Du
côté des producteurs, le marché du GNL est dominé par le Qatar, qui
représente un tiers des exportations totales du secteur, loin devant
l’Indonésie, la Malaisie et l’Australie, comme l’explique le graphique
suivant.
Répartition des exportations de GNL
Source : Total
Comme l’a souligné lors de son audition M. Edouard Sauvage, directeur de la stratégie de GDF Suez, « Le grand changement sur le marché du gaz a été l’arrivée du Qatar comme principal exportateur de GNL. »
e. Le coût du GNL : un supplément dû aux opérations de liquéfaction et de regazéification qui s’ajoutent au fret
Le
transport par GNL implique un coût particulièrement bien détaillé par
les données de l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles.
Le
coût de la liquéfaction revient entre 2 et 2,5 dollars par million
d’unités thermiques britanniques (Mbtu), ceux de transport environ 1,5
dollar et la regazéification autour de 1 dollar.
L’unité
thermique britannique représente environ un peu moins de 252 calories.
Il y a un peu moins de six millions de btu (Mbtu) dans un baril de
pétrole, dont le volume est de 159 litres. 1 Mbtu représente environ 27
litres de pétrole.
Au total, le surcoût du GNL est donc de l’ordre de 4,5 à 6 dollars le Mbtu.
5.
Trois grands compartiments de marché avec des prix différents en
l’absence de marché mondial : l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie
La
lourdeur des infrastructures gazières nécessaires aux importations,
gazoduc ou terminaux de liquéfaction ou de regazéification pour le GNL,
explique qu’il n’y pas de marché mondial du gaz, mais en réalité trois
compartiments avec des niveaux de prix très différents.
Jusqu’en 2009, ces marchés ont été clairement corrélés.
Tel
n’est plus le cas depuis. Les prix divergent. Le marché européen est
resté en situation intermédiaire en 2013 avec un prix moyen de 10,73
dollars par Mbtu à l’importation en Allemagne (average german import price), et de 10,63 dollars sur le marché britannique NBP, de 16,7 dollars pour le GNL au Japon et de 3,71 dollars sur marché américain selon l’indice Henry Hub.
Les facteurs de divergences ont été la chute du prix du gaz aux
Etats-Unis en raison de l’exploitation du gaz de schiste, mais ce point
sera examiné plus en détail ci-après, et deux éléments propres à
l’Asie : la croissance économique très forte du continent, notamment en
Chine, et l’arrêt de la production électronucléaire au Japon après
l’accident de Fukushima, qui a entraîné un report sur le gaz comme
source d’énergie primaire. Le graphique suivant illustre ces éléments.
Evolution des prix du gaz naturel selon les grands indices
Source : BP statistical review 2014
C. UNE DÉPENDANCE RÉCIPROQUE ENTRE PAYS EXPORTATEURS ET CLIENTS, MÊME SI MOINS IMMÉDIATE POUR LES PREMIERS
La
dépendance des pays consommateurs vis-à-vis des producteurs
d’hydrocarbures est patente, mais l’inverse est aussi vrai car les pays
exportateurs ont besoin des recettes correspondantes tant pour leur
commerce extérieur que pour leur budget.
Comme
l’essentiel des observateurs l’ont rappelé aux rapporteurs, il s’agit
davantage d’une double dépendance, ou d’une interdépendance.
Pour
apprécier la situation à sa juste mesure, il faut considérer que la
relation est asymétrique dans la mesure où la rupture de
l’approvisionnement matériel d’une économie a des effets bien plus
catastrophiques à court terme que l’interruption de la perception de
recettes financières.
Cette
dépendance est double et même triple : c’est une dépendance économique
vis-à-vis des recettes d’exportation ; une dépendance budgétaire, car
les recettes budgétaires sont assises sur les secteurs gaziers et
pétroliers exportateurs ; une dépendance politique, aussi, d’une
certaine manière, en cas de nécessité de trouver un client alternatif.
Le
niveau de dépendance vis-à-vis des recettes d’exportation des
hydrocarbures est mesuré par le niveau des hydrocarbures dans les
recettes d’exportations.
Pour l’Algérie et le Nigéria, avec 97 % des exportations, comme pour le Venezuela, avec 90 %, la dépendance est totale.
Pour l’Iran (78 %), comme pour la Russie (68 %), elle est incontournable.
Comme l’indique le graphique suivant, publié par Natixis dans le n° 413 de la série Flash économie Recherche économique, la dépendance est extrêmement élevée dans les pays du Golfe.
Source : Natixis
Les
pays producteurs d’hydrocarbures financent traditionnellement leurs
budgets par les recettes du secteur. Les impôts correspondants sont à
la fois plus simples à percevoir et mieux tolérés. En la matière, deux
indicateurs sont retenus.
Le premier concerne le niveau de recettes pétrolières.
Selon les éléments diffusés par le quotidien Le Monde,
les principaux exportateurs de pétrole dépendent fortement des taxes
prélevées sur les secteurs du gaz naturel et du pétrole, notamment 52 %
pour la Russie et 70 % pour le Nigéria et l’Algérie.
Sur d’autres bases, les données publiées par Natixis, montrent que les pays pétroliers du Golfe financent 60 % à 90 % de leur budget par les recettes pétrolières.
Source : Natixis Flash Economie Recherche économique
Le second indicateur budgétaire des pays producteurs est le niveau du prix du pétrole qui garantit l’équilibre.
C’est
un prix supérieur à 100 dollars le baril pour plusieurs Etats,
notamment le Venezuela, l’Algérie, l’Iran et la Russie, ainsi que le
Nigéria, la Libye et le Yémen.
Pour la Russie, il a été estimé à 100 à 110 dollars pour 2014.
Il
est largement supérieur à 60 dollars pour la plupart d’entre eux à
l’exception du Koweït, du Turkménistan, du Qatar et du Kazakhstan.
Le graphique suivant récapitule ces éléments.
Source : ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Ces éléments sont globalement cohérents avec ceux publiés par le quotidien Les Echos le 17 décembre dernier, même s’ils divergent :
Les
critères budgétaires annuels sont cependant tempérés par un autre
critère qui est celui des recettes passées accumulées et versées dans
les fonds souverains, ainsi que celui des réserves de change.
De
ce point de vue, les pays tels que l’Arabie saoudite, les Emirats, le
Koweït et le Qatar ont un avantage substantiel, comme l’indique le
tableau suivant.
Source : Natixis
2. Une dépendance sociale des populations : les subventions pour l’accès des populations à une énergie à bas prix
Un
autre aspect de la dépendance des pays exportateurs, moins évoqué et
rarement sous cet angle, est celui de l’importance des subventions
versées dans les pays producteurs pour l’accès des particuliers à la
consommation énergétique.
C’est
dans un contexte social souvent très inégalitaire, et où l’affectation
du produit de la rente pétrolière n’est souvent ni efficace ni
transparente, le seul moyen de donner au plus grand nombre un certain
accès à la richesse nationale.
D’un
montant global estimé à plus de 550 milliards de dollars en 2013,
notamment dans le rapport de l’Agence internationale de l’énergie World Energy Outlook 2014,
ces subventions sont critiquées soit au titre de considérations
économiques, car elles sont contraires au principe de la vérité des prix
et stérilisent des sommes qui seraient nécessaires aux investissements
nécessaires aux capacités de production, soit pour des raisons
environnementales, car elles empêchent le développement des énergies
renouvelables.
La
carte suivante montre qu’elles sont assez répandues dans les pays
historiquement producteurs, Venezuela, Mexique et Etats du
Proche-Orient, même lorsqu’ils ne le sont plus autant comme l’Argentine.
Subventions à la consommation d’énergies fossiles
Source : transmis par M. Jacques Percebois
D.
UNE GEOPOLITIQUE DE L’ÉNERGIE QUI POURRAIT S’ETENDRE, À L’AVENIR,
AU-DELÀ DES HYDROCARBURES, AU NUCLÉAIRE ET AUX ÉQUIPEMENTS DE PRODUCTION
DES RENOUVELABLES
La
géopolitique de l’énergie est actuellement essentiellement centrée sur
les hydrocarbures, car ce sont eux qui font essentiellement l’objet des
échanges internationaux entre grands producteurs et grands
consommateurs.
Mais,
elle pourrait s’étendre au-delà, même si le cas du charbon montre que
les échanges internationaux de matières premières n’ont pas
nécessairement la même teneur géopolitique.
Première
grande source d’énergie, historiquement, le charbon a repris du poids
dans le bouquet énergétique mondial, passant de 24 % en 2000 à 30 %
maintenant.
C’est essentiellement sous l’effet de la construction des centrales électriques en Chine.
Globalement,
les échanges internationaux de charbon sont assez limités aux
exportations des Etats-Unis, d’Afrique du Sud et d’Australie vers
l’Europe, et aux exportations d’Australie et d’Afrique du Sud vers
l’Inde et surtout la Chine.
Pour sa part, la Russie et les pays de la CEI exportent vers la Chine et l’Europe.
Lorsque
l’on reprend ces éléments, les exportateurs nets en 2012 sont
essentiellement l’Indonésie (383 millions de tonnes) et l’Australie (302
millions de tonnes), à raison de 60 % des exportations totales à eux
deux, puis les Etats-Unis (106 millions de tonnes), la Russie (103
millions de tonnes), la Colombie (72 millions de tonnes), l’Afrique du
Sud (72 millions de tonnes) et le Kazakhstan (32 millions de tonnes),
ainsi que le Canada (25 millions de tonnes).
Les
importateurs nets sont quant à eux trois grands producteurs, la Chine,
premier importateur, avec 278 millions de tonnes, soit un peu moins de
10 % de sa production, alors qu’elle est déjà le premier producteur
mondial, l’Inde, troisième importateur avec 158 millions de tonnes, et
25 % de sa production, qui est aussi le troisième producteur mondial, et
l’Allemagne, sixième importateur net, avec 45 millions de tonnes, soit
le quart de sa production. L’Allemagne est le huitième producteur
mondial de charbon et de lignite.
Les
autres importateurs nets de charbon ne sont sinon pas des producteurs :
le Japon, deuxième importateur avec 184 millions de tonnes ; la Corée
du Sud, quatrième importateur avec 126 millions de tonnes ; Taïwan,
cinquième importateur avec 65 millions de tonnes ; le Royaume-Uni,
septième importateur à raison de 44 millions de tonnes.
Les
réserves de charbon représentent au rythme actuel de consommation plus
de 110 ans et sont assez bien réparties sur tous les continents, même si
l’on observe que cinq pays représentent à eux seuls 78 % des réserves
mondiales : les Etats-Unis (28,9 %), la Russie (19 %), la Chine
(13,9 %), l’Australie (9,2 %) et l’Inde (7,1 %). Les quelque 60 autres
pays en représentent en tout 22 %, dont l’Europe, 6 %, l'Afrique, 3,9 %,
l’Ukraine, le Kazakhstan et l’Afrique du Sud 3,5 à 4 % chacun.
L’ensemble
des pays de l’Union Européenne ne concentrent que 29 milliards de
tonnes de charbon, soit 3,6 % des réserves mondiales. Les plus
importantes réserves se trouvent en Pologne, qui dispose de 7,5
milliards de tonnes (0,9 % des réserves mondiales). En Allemagne,
deuxième pays de l’Union en termes de réserves de charbon, les réserves
connues sont de 6,7 milliards.
Il n’y pas non plus en l’état d’enjeu géopolitique majeur sur l’uranium dont les réserves, soit 16,3 millions de tonnes selon l’IFP Energies nouvelles,
représentent 260 ans de consommation. Cela ne veut naturellement pas
dire que les grandes entreprises du secteur n’ont pas à se préoccuper
des réserves. La situation pourrait changer à l’avenir avec un
développement important du nucléaire.
Les
trois quart des réserves sont en effet concentrées sur sept pays dont
aucun n’est membre de l’Union européenne : l’Australie, avec 28,9 %
total selon les statistiques de la World Nuclear Association en
2014 ; le Kazakhstan, 11,5 % ; la Russie, 8,6 % ; le Canada, 8,4 % ; le
Niger, 6,9 % ; la Namibie, 6,5 % ; l’Afrique du Sud, 5,7 %.
La
production est assurée pour l’instant essentiellement par le Kazakhstan
(37,9 %), le Canada (15,6 %), l’Australie (10,6 %), le Niger (7,6 %) et
la Namibie (7,2 %).
La
consommation concerne essentiellement les Etats-Unis (28,5 %), la
France (15,1 %), la Russie (8,3 %) et la Corée du Sud (7,6 %).
En
revanche, comme l’on indiqué plusieurs des personnes rencontrées
pendant la mission, non seulement en France mais aussi aux Etats-Unis,
au Departement of Energy (DoE), il peut y avoir très
rapidement dans les années qui viennent un enjeu du savoir-faire
nucléaire. La Chine de par son actuel programme est le seul pays à
disposer d’une capacité pratique avérée, et de masse, de construction
des centrales. Ni les Etats-Unis, ni la France ni aucun autre pays n’a
la même expérience aussi récente.
Dans ce contexte propice à la coopération internationale, Areva a fait de la Chine l’un des axes de son redressement, selon les éléments publiés par Les Echos le 5 mars dernier.
Le
Japon vient d’amorcer au cours du mois d’avril 2015 un certain retour
au nucléaire. D’une part, le 22 avril dernier, un tribunal local a
autorisé la relance de relance de deux réacteurs de la centrale de
Sendai, alors qu’un autre tribunal local s’était prononcé en sens.
Actuellement, les 48 réacteurs japonais sont à l’arrêt.
D’autre
part, le 28 avril, le gouvernement japonais a présenté son projet de
politique énergétique à l’horizon 2030. Celui-ci prévoit pour limiter
les émissions carbone, de porter à 20 à 22% la part du nucléaire dans la
production électrique, et de 22% à 24%, contre 10% actuellement, celle
des renouvelables.
Pour ce qui concerne les renouvelables, l’enjeu géopolitique n’est pas
la production d’énergie, laquelle est localisée dans le pays de
consommation ou dans son proche voisinage.
Les
renouvelables se développent d’ailleurs partout dans le monde. Pour
l’éolien, les capacités installées dans l’Asie pacifique représentent
29 % du total mondial, contre 17 % pour l’Amérique du Nord, 15 % pour
l’Afrique, 14 % pour l’Amérique latine et 7 % pour l’Europe.
L’enjeu
est sur les matières premières nécessaires à la fabrication des
équipements de production, notamment les terres rares de même que les
métaux stratégiques et critiques.
C’est
un sujet qui dépasse le cadre du présent rapport, mais qu’il faut avoir
à l’esprit. D’ailleurs, l’OPECST s’en préoccupe. Il a en effet confié
un rapport en ce sens à M. Patrick Hetzel, député, et Mme Delphine
Bataille, sénatrice.
Le
titre en est, à l’issue de l’examen de l’étude de faisabilité : « Les
terres rares et les matières premières stratégiques et critiques ».
A
terme, les renouvelables pourraient prendre une seconde dimension
d’ordre géopolitique, si des projets majeurs d’implantation de centrales
solaires ou éoliennes venaient à se développer dans des pays pour
alimenter en énergie d’autres pays.
Ce n’est pas totalement une hypothèse d’école puisque c’était le cas de figure du projet Desertec
prévoyant l’exploitation du potentiel énergétique des déserts d’Afrique
du Nord et du Moyen-Orient, afin d’approvisionner de manière durable
les régions avoisinantes notamment l’Union européenne, en électricité
renouvelable. La Fondation Desertec a été créée en 2003 sous les
auspices du Club de Rome et du Centre national de recherche sur
l'énergie en Jordanie (NERC). Les parties prenantes ont été la Dii GmbH (Desertec Industrial Initiative) et MedGrid,
pour promouvoir l’implantation du projet dans les pays de la région
Afrique du Nord et Moyen-Orient. Parmi les entreprises associées au
projet figurent les groupes énergétiques allemands E.ON et RWE, le réassureur Munich Re, la Deutsche Bank, le groupe algérien Cevital et le fabricant espagnol de centrales solaires Abengoa Solar.
Le
projet est en sommeil tant la situation sécuritaire dans la région, qui
du Mali jusqu’en Irak relève de l’arc de crise à nos frontières, est
dégradée.
Il faut aussi mentionner Medgrid, société de partenaires industriels, lancée en mi-2010 et créée officiellement début 2011 dans le cadre du plan solaire méditerranéen, qui envisage des exportations d'électricité renouvelable vers l'Europe, et a conclu un accord avec Desertec.
A.
DEUX SUJETS DE VIGILANCE CONSTANTE DEPUIS 1945 POUR
L’APPROVISIONNEMENT DES MARCHÉ INTERNATIONAUX : LA SÉCURITÉ DES RÉGIONS
CLEFS DU MOYEN-ORIENT ET LA SÉCURITÉ DU TRANSPORT MARITIME
Les
Etats-Unis se sont impliqués dans la sécurité régionale,
traditionnellement assurée par le Royaume-Uni, avec l’accord du Quincy
de 1945 en ce qui concerne l’Arabie saoudite.
Pour
ce qui concerne le détroit d’Ormuz proprement dit, c’est en 1971 que le
Royaume-Uni a cessé d’assurer leur sécurité avec l’indépendance des
Emirats arabes unis ainsi que du Qatar et de Bahreïn, et que ce rôle
s’est retrouvé dévolu de fait aux Etats-Unis.
La Vème flotte américaine est basée à Manama, à Bahreïn. C’est au Qatar qu’est établi l’United States Command Central (US Centcom),
commandement unifié dont la compétence territoriale s’étend au
Proche-Orient, y compris l’Egypte, au Moyen Orient et l’Asie centrale,
notamment l’Afghanistan.
En
outre, les Etats-Unis disposent dans l’Océan indien de la base de Diégo
Garcia, qui leur est d’ailleurs louée par le Royaume-Uni.
La carte suivante, publiée par le Washington Post, permet de visualiser les établissements militaires dans le golfe, lors de la présence d’un porte-avions.
Le
Royaume-Uni assure également pour sa part une présence maritime
permanente dans le Golfe dans le cadre de l’opération Kipion, avec
notamment des dragueurs de mine.
Pour ce qui la concerne, la France a sa propre base à Abou Dhabi.
En
dehors des troupes et établissements permanents dont les moyens sont
aussi utilisés pour l’Irak, la lutte contre Daech et l’Afghanistan, la
principale manifestation de cette présence est d’ordre maritime et
concerne l’ensemble des mers qui bordent la péninsule arabique dans le
cadre de la sécurité maritime, avec en première mission la lutte contre
la piraterie, qui ne concerne pas que la Corne de l’Afrique, mais
l’ensemble de la région.
Les
échanges internationaux d’hydrocarbures empruntent pour une très large
part la voie maritime, qui assure d’ailleurs 80 % des échanges de biens.
Les
pétroliers et autres transporteurs d’hydrocarbures représentent
d’ailleurs le tiers du tonnage de la flotte commerciale mondiale, selon
la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement
(CNUCED).
Le
commerce international du pétrole brut représente à lui seul environ
20 % du tonnage des biens échangé chaque année par mer (1,785 milliard
de tonnes en 2012 sur un total de 9,183 milliards de tonnes) et celui du
GNL et des produits pétroliers, notamment des produits raffinés, en
représente 11 % (1,05 milliards de tonnes en 2012).
Selon les dernières statistiques de l’Agence américaine d’information sur l’énergie (Energy Information Administration – EIA), 56,5 millions de barils jour, soit 63 % de la production mondiale de pétrole, ont emprunté en 2013 la voie maritime.
La circulation des pétroliers et des méthaniers dépend donc étroitement de la libre circulation sur les mers.
D’une manière générale, la sécurité maritime est assurée par les Etats-Unis. L’US Navy
est en effet la première flotte mondiale, loin devant les autres
flottes de haute mer que sont la flotte russe, la flotte française et la
flotte du Royaume-Uni. En dépit de leurs progrès récents, la flotte
chinoise, de même que la flotte indienne, restent des flottes d’eaux «
jaunes » ou à vocation côtière, selon l’expression usuelle, même si la
flotte chinoise devient de plus en plus une flotte d’eaux « bleues ».
C’est
à proximité des goulets d’étranglement que constituent les détroits et
canaux transocéaniques que les enjeux de sécurité maritime sont les plus
importants.
Sept
points essentiels de transit sont identifiés pour le bon fonctionnement
des circuits d’approvisionnements en hydrocarbures. Il s’agit de cinq
détroits ou groupe de détroits, à savoir Ormuz, Malacca, les détroits
turcs (le Bosphore et les Dardanelles), Bab el Mandeb et les détroits
danois (le Sund, le petit Belt et le grand Belt), et des deux canaux
transocéaniques : le canal de Panama et le Canal de Suez, lequel est
doublé par un oléoduc, le Sumed.
Ils figurent sur la carte ci-joint établie d’après les données de l’Agence américaine d’information sur l’énergie (Energy Information Administration – EIA).
Points névralgiques du transport maritime d’hydrocarbures
Source : EIA
Comme
l’indique le tableau suivant, le transit augmente chaque année
régulièrement, sauf pour le canal de Panama tant que les travaux de
développement des capacités n’ont pas abouti.
Trafic pétrolier par les principaux détroits
Source : EIA
A
des degrés divers, l’interruption du trafic sur l’un de ces sept points
provoquerait une flambée des cours pétroliers, notamment si cela
concernait le principal d’entre eux, le détroit d’Ormuz.
b.
Ormuz : véritable « veine jugulaire » avec 30 % du pétrole mondial,
100 milliards de mètres cubes de GNL et des voies de contournement
encore très limitées
Le
détroit d’Ormuz fait 63 kilomètres de long et 40 kilomètres de large. A
son point le plus étroit, il fait 34 milles marins et l’île iranienne
de Larak n’est séparée que de 24 milles marins de l’île omanaise d’el
Salamah.
C’est
par lui que transitent selon les périodes et les années 17 millions de
barils jour environ, soit 20 % de la consommation mondiale (90 millions
de barils jour en 2013) et 35 % des échanges internationaux de pétrole.
Les
quatre cinquièmes sont destinés à l’Asie, principalement la Chine,
l’Inde, le Japon et la Corée du Sud. S’y ajoute le transit du GNL
provenant du Qatar, estimé à 104 milliards de mètres cubes en 2013.
C’est
le débouché naturel de la zone la plus riche en hydrocarbures comme le
rappelle la carte suivante, notamment des gisements d’Irak, du Koweït,
d’Arabie Saoudite, du Qatar et des Emirats arabes unis.
Réseau des oléoducs et gazoducs autour du détroit d’Ormuz
Source : EIA
La sécurité de la navigation y est régie par un accord qui prévoit deux chenaux séparés, l’un entrant et l’autre sortant.
Le
détroit d’Ormuz ne peut être contourné que très partiellement par les
oléoducs existants et opérationnels. La formule de l’ancien secrétaire
d’Etat américain M. Cyrus Vance, qualifiant le détroit de « veine
jugulaire » de l’Occident est encore d’actualité.
Les estimations les plus précises des voies de contournement vienennt d’être actualisées par une note de l’EIA du 10 novembre 2014 (World Oil Transit Chokepoints).
La
capacité disponible des oléoducs s’établissait à 3,7 millions de barils
jour à savoir le cinquième du transit empruntant le détroit, et même à
4,3 millions selon certaines estimations de l’EIA.
Celle-ci provient, d’une part, du Petroline Est Ouest
qui traverse l’Arabie saoudite et débouche en Mer rouge, et d’autre
part, de l’Oléoduc des Emirats arabes Unis, ouvert en juillet 2012, et
qui part d’Habshan à Abou Dhabi et rejoint le port de Fujaïrah au-delà
du détroit, en eaux libres.
Il faut également mentionner l’oléoduc IPSA (Iraqi Crude Oil Pipeline Trans Saoudi Arabia),
dédié pour l’instant au transport du gaz et pour lequel l’Arabie
saoudite n’a pas fait d’annonce sur sa reconversion en oléoduc, de même
que la liaison Abqaiq Yanbu qui traverse l’Arabie saoudite et
transporte les condensats d’extraction de gaz naturel.
Le tableau suivant récapitule ces éléments.
Estimation des capacités de contournement du détroit d’Ormuz
Source : EIA
La
question d’un contournement d’Ormuz par un autre canal continue d’être
étudiée et fait régulièrement l’objet de projets et déclarations. En
avril 2013, le site d’information Gulfnews a indiqué que certains
en Arabie saoudite envisageaient la construction d’un canal à travers
l’isthme qui ferme le Golfe persique, d’une longueur de 60 à 100
kilomètres selon son tracé, sur le territoire des Emirats arabes unis.
Pour sa part, l’Iran a indiqué, en mars dernier, étudier la construction
d’un terminal pétrolier en eaux libres.
La
principale menace concerne le minage du détroit d’Ormuz. La zone est
régulièrement l’objet de tensions depuis la Révolution de 1979 en Iran.
Ainsi, le 1er octobre 1980, le Gouvernement iranien avait publié une déclaration indiquant que « Le
Gouvernement de la République islamique d’Iran, en pleine conscience de
ses obligations internationales, assure la communauté internationale
que l’Iran n’hésitera devant aucun effort en vue de garder cette voie
maritime en pleine activité ». La Guerre Iran-Irak venait d’éclater le 22 septembre qui précédait.
La
dernière grande crise remonte au 27 décembre 2011, à la suite de la
menace du Premier Vice-président iranien M. Mohammad Reza Rahimi de
fermer le détroit d'Ormuz en cas de sanctions visant les exportations
iraniennes de pétrole.
Néanmoins, deux autres risques sont décelés dans la zone, le terrorisme, ainsi que la piraterie et les trafics.
Depuis
2002, une quinzaine de navires, originaires de plusieurs pays, certains
membres de l’OTAN, d’autres non, comme le Pakistan, assurent la
sécurité du Golfe et dans le cadre Force opérationnelle combinée 150 (Combined Task Force 150
- CTF-150). Il s’agit d’une coalition multinationale dont le quartier
général se situe au sein du complexe naval américain à Bahreïn. Elle est
coordonnée par les Etats-Unis et intègre une partie des navires de la
Vème Flotte.
Elle
est également chargée de la surveillance des accès du détroit d’Ormuz
en mer d’Arabie et ses actions de lutte contre la piraterie sont
complémentaires de celles menées à partir de la base de Djibouti pour la
protection des accès au détroit de Bab el Mandeb qui assure le passage
de l’Océan indien à la Mer rouge.
Le
détroit de Malacca ou pour être plus exact, ceux de Malacca et de
Singapour, sont le point de passage le plus direct de l’Océan indien à
la mer de Chine et au Pacifique et ainsi du pétrole et du gaz du
Moyen-Orient et aussi d’Afrique orientale vers les économies émergentes
et en forte croissance d’Extrême-Orient.
Malacca est l’artère des relations de l’Europe avec la Chine et le Japon et au total 30 % du commerce mondial y transite.
Il
s’étend sur 800 kilomètres du sud-est vers le nord-ouest mais ne fait
que 2,8 kilomètres de large à son point le plus étroit, dans le détroit
de Singapour, pour être très précis, ce qui en fait un goulet
d’étranglement.
En
2011, le transit y était de 15,2 millions de barils jour, soit le même
ordre de grandeur que celui du détroit d’Ormuz, en forte croissance par
rapport à quelques années auparavant (13,8 millions de barils jour en
2007).
Il
s’agit pour l’essentiel, à 90 %, de pétrole brut (13,4 millions de
barils jour), la part des produits raffinés étant beaucoup plus faible
avec 1,8 million.
Il
faut cependant y ajouter le GNL avec 118 milliards de mètres cubes par
an pour les pays d’Extrême-Orient, essentiellement le Japon, la Corée du
Sud et Taïwan.
La
principale menace a été la piraterie en forte régression depuis que les
pays riverains ont multiplié les patrouilles à partir de 2005.
Les
voies de contournement par mer sont le détroit de la Sonde, entre
Sumatra et Java, et le détroit de Lombok entre Lombok et Bali.
La Chine a étudié un passage via la Birmanie (le Myanmar), mais cette hypothèse, évoquée ci-après, a été abandonnée en l’état.
Le
détroit de Bab el Mandeb est sur la ligne stratégique qui permet
d’atteindre directement la Méditerranée en venant du Golfe persique et
plus généralement de l’Océan indien sans avoir à contourner l’Afrique
par le cap de Bonne espérance.
C’est aussi le point de passage du pétrole de la Mer rouge vers l’Asie, notamment du Sud-Soudan et du Soudan vers la Chine.
Entre
2009 et 2013, y ont transité entre 2,9 et 3,8 millions de barils jour
à destination non seulement de l’Europe mais aussi des Etats-Unis.
Cette croissance ne permet pas d’atteindre le niveau antérieur à 2009
avec un trafic qui avait alors chuté de 30 %.
Le
détroit de Bab el Mandeb est divisé en deux à son point le plus étroit
par l’île de Perim. Le petit chenal fait 3 kilomètres de large et le
grand environ 25 kilomètres.
A
partir des bases de Djibouti, il a fait l’objet des deux plus
importantes opérations de lutte contre la piraterie maritime, laquelle
s’est considérablement développée à la faveur de l’effondrement de la
Somalie à partir du début des années 1990.
Il s’agit de l’opération Atalante menée par l’Union européenne à partir de décembre 2008. Plus précisément, EU-NAVFOR ATALANTA (EuroNavFor Somalia)
a été la première opération maritime de la politique européenne de
sécurité et de défense (PESD). Elle s’est appuyée sur les résolutions
1814, 1816, 1838 et 1846 du conseil de sécurité de l’ONU. C’est
également la première opération navale européenne.
Elle a été complétée par un volet OTAN, Ocean Shield¸
ce qui a permis une participation des Etats-Unis ainsi que du Danemark,
lequel ne participe pas à la politique de défense commune.
Elle a été coordonnée avec les moyens de la CMF 151, la Combined Task Force 151
(force multinationale lancée par les USA), sous le commandement de
l’Amiral thaïlandais Pakorn Wanich, reçoit le soutien direct de frégates
pakistanaise et japonaise (le Japon devrait reprendre le commandement
de la CTF 151 au premier semestre 2015).
Il faut noter également, la présence de contingents indépendants : plusieurs bâtiments américains et britanniques, le Chinese Task Group (trois navires), des bâtiments iraniens, un indien, un sud-coréen, un turc, et un saoudien.
Le Japon a ouvert une base à Djibouti.
Cette
cartographie est fidèle à une tendance de long terme observée depuis le
lancement d’opérations dans l’océan Indien, en 2008 : Italiens, Danois,
Allemands et Néerlandais ont toujours compté parmi les partenaires les
plus actifs dans la lutte contre la piraterie au large des côtes
somaliennes et du golfe persique.
Les
résultats ont été spectaculaires puisque la piraterie a été presque
éradiquée avec 15 attaques en 2013 contre 237 incidents en 2011 lors du
pic d’insécurité dans la région.
Le
canal de Suez, propriété de l’Egypte depuis la nationalisation de 1956
par le gouvernement du colonel Nasser, est essentiel au commerce
international des hydrocarbures, bien qu’il ne puisse accueillir que
60 % des tankers, ceux de moindre gabarit, selon l’Autorité du Canal de
Suez.
Le pétrole, brut et produits raffinés, représente 30 % de son trafic et le GNL 3 %.
En
2013, ce sont dans les deux sens 3,2 millions de barils jour qui ont
transité, sous forme de brut (1,5 million) ou de produits raffinés (1,7
million).
Les
deux tiers de ce total, soit 1,9 million, sont destinés aux marchés
européen, pour 68 % et nord-américain, dont 16 % pour les Etats-Unis, et
proviennent pour presque 80 % des pays du Golfe,
Le reste, soit 1,3 million de barils jour, va du Nord au Sud, à destination du marché asiatique, pour l’essentiel (74 %).
Le canal de Suez procure en l’état 5 milliards de dollars à l’Egypte, chaque année.
Pour
augmenter la recette à 13 milliards de dollars par an, le gouvernement
du président Al Sissi a pris l’initiative en août dernier d’un nouveau
canal parallèle à l’actuel et d’une longueur totale de 72 kilomètres,
pour un coût de l’ordre de 4 milliards de dollars. L’objectif est
d’éviter les deux goulets d’étranglement actuels où les navires ne
peuvent se croiser, ce qui implique les lenteurs des convois alternés.
L’oléoduc SUMED
à proximité du canal a une capacité de 2,34 millions de barils jour.
Non seulement il permettrait de contourner le canal, en cas de blocage,
mais il est actuellement utilisé pour alléger les plus gros pétroliers
et réduire leur tirant d’eau. En 2013, 1,5 million de barils jour ont
emprunté le SUMED.
En
outre, le canal de Suez sert au transit du GNL, pour 34 milliards de
mètres cubes en 2013, soit 10 % des échanges mondiaux. L’essentiel, 28
milliards de mètres cubes environ, est du GNL exporté du Qatar vers
l’Europe. C’est un flux qui s’est considérablement développé ces
dernières années.
Au
total, ce sont en équivalent pétrole, 4,6 millions de barils jour qui
ont transité par Suez, le Canal et le SUMED, en 2013, selon l’EIA.
f. Le Canal de Panama et l’oléoduc Trans-Panama : un intérêt pour l’accès au Pacifique du GNL américain
Le Canal de Panama est essentiel pour les Etats-Unis, qui sont l’origine ou la destination de 43 % de son trafic.
Il
fait l’objet de travaux d’agrandissement qui devraient s’achever en
2015 ou 2016, soit un retard d’un à deux ans sur le programme prévu.
L’inauguration devait initialement coïncider avec le centenaire de
l’ouverture du Canal en 1914.
Le
pétrole est en l’état marginal avec 13 % du fret. Il s’agit
essentiellement de produits raffinés pour 759.000 barils jour contre
91.000 pour le pétrole brut, soit un total de 849.000 barils jours en
2013.
Le
nouveau gabarit devrait permettre un accroissement car il permettra aux
pétroliers intermédiaires de transiter par lui, sans pour autant
s’ouvrir aux plus grandes unités de 160.000 tonnes et davantage.
C’est
essentiellement pour le transit du GNL que l’accroissement du gabarit
du canal présente un intérêt. Les méthaniers pourront en effet
l’emprunter, sous réserve cependant d’une modification technique de la
plate-forme de pilotage et du système d’amarres.
C’est
donc essentiellement pour l’exportation vers l’Asie du GNL américain à
partir des terminaux de la côte Est que le canal va présenter un intérêt
sur le plan énergétique.
Le
Trans-Panama est un oléoduc situé plus au Nord-Est, près de la
frontière du Costa Rica, opérationnel depuis 1982 et d’une capacité de
600.000 barils jour.
Avec
le soutien de la Chine, le Nicaragua développe le projet d’un autre
canal, situé plus au Nord, de 278 kilomètres de long, mais qui met en
péril la plus importante réserve naturelle d’eau douce d’Amérique
centrale, et qui est fortement contesté à ce titre.
B.
UN ENJEU ÉPISODIQUE MAIS RÉCURRENT : L’UTILISATION DES
HYDROCARBURES COMME ARME POLITIQUE DANS LE CADRE DES EMBARGOS ET DES
SANCTIONS INTERNATIONALES
La
Seconde guerre mondiale a eu un important volet pétrolier. L’enjeu du
pétrole comme arme économique ayant des implications militaires a été
entrevu pour la première fois en 1935 au sein de la Société des Nations,
lorsque des sanctions pétrolières sont simplement envisagées contre
l’Italie lors de l’invasion de l’Ethiopie.
En
Europe, en l’absence d’autres gisements alors identifiés que ceux de
Galicie et de Roumanie, le pacte germano-soviétique de 1939 est
accompagné d’un volet commercial qui prévoit d’importantes livraisons de
matières premières industrielles et alimentaires de l’URSS à
l’Allemagne nazie, et notamment de pétrole. La garantie pétrolière
soviétique permet ainsi à l’armée allemande de mener une guerre éclair
mécanisée contre la Pologne puis la Norvège, les Pays-Bas, la Belgique
et la France, ainsi que de mener la bataille d’Angleterre. Ensuite, avec
la guerre à l’Est à partir du 22 juin 1941, date de l’invasion de
l’Union soviétique, l’Allemagne doit avoir un recours croissant aux
carburants de synthèse produits à partir du charbon, faute de conquérir
les puits de pétrole du Caucase ou ceux du Proche-Orient, en Irak,
au-delà de Suez.
Dans
le Pacifique, la situation est tout autre car le Japon qui n’a aucune
ressource pétrolière dépend des exportations américaines. Les Etats-Unis
ont, en effet, adopté en juillet 1940 le National Defense Act
qui permet au Gouvernement de réduire jusqu’à supprimer les livraisons
pétrolières au Japon. Un embargo est immédiatement décrété sur le
carburant d’avion. C’est en rétorsion face à l’occupation de l’Indochine
alors française et également pour faire cesser l’occupation japonaise
et la guerre en Chine. Ces sanctions sont renforcées au cours de l’été
1941 avec le gel des avoirs japonais et un embargo sur la totalité des
exportations de pétrole, et non plus du seul carburant d’avion et
d’autres produits raffinés.
Cet
embargo place le Japon devant un choix clair : l’abandon de son
expansion ou la tentative d’obtenir sa validation par la force. Son
gouvernement choisi la deuxième option en décembre 1941. La guerre le
conduit à prendre très rapidement le contrôle de l’Indonésie, alors
colonie des Pays-Bas où se trouvent alors les seuls champs pétroliers
accessibles pour lui, car la Birmanie est alors sous contrôle
britannique en tant que partie de l’Empire des Indes.
En
1956, l’intervention conjointe du Royaume-Uni et de la France, avec
Israël, pour reprendre le contrôle du Canal récemment nationalisé par le
Gouvernement du Colonel Nasser entraîne l’interruption des
approvisionnements en pétrole du Royaume-Uni et de la France.
D’abord,
l’Arabie saoudite, qui a conclu un an auparavant un accord de sécurité
avec l’Egypte, décide de ne plus livrer les deux pays européens pour la
durée du conflit. Le Gouvernement d’Antony Eden et celui de Guy Mollet
en sont informés le lendemain des premiers bombardements menés à partir
de Chypre.
Parallèlement, des ingénieurs syriens sabotent l’oléoduc qui amène sur la Méditerranée le pétrole d’Irak.
Par
ailleurs, de manière indirecte, les opérations conduisent à
l’interruption du trafic sur le canal et donc à la coupure de l’artère
pétrolière ravitaillant l’Europe de l’Ouest.
Ce
sont les Etats-Unis qui organiseront les transports permettant de
reprendre le ravitaillement et ainsi d’éviter que la hausse spéculative
des prix ne se développe trop longtemps.
Les embargos des pays arabes en 1967 et 1973 sont les cas types d’embargos pétroliers depuis la Seconde guerre mondiale.
En
1967, les pays arabes producteurs de pétrole décident d’un embargo
contre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne fédérale,
soupçonnés d’avoir l’intention de fournir à Israël la couverture
aérienne lui permettant de bombarder les aérodromes égyptiens.
Officiellement
en vigueur du 4 juin au 29 août 1967, cet embargo n’a pas été efficace.
L’Arabie saoudite et le Koweït ont essayé de lui mettre une fin
officielle pendant l’été, en invoquant l’absence d’implication prouvée
du Royaume-Uni et des Etats-Unis dans l’opération. En outre, il n’a pas
été réellement respecté.
En
1973, la situation est tout autre. L’échec de l’embargo de 1967 a
conduit les pays arabes membres de l’OPEP à se rapprocher et à créer en
1968 l’OPAEP, l’organisation des pays arabes exportateurs de pétrole.
La Guerre du Kippour tourne après quelques jours difficiles pour lui, à l’avantage d’Israël.
Le
16 octobre 1973, les pays exportateurs de pétrole décident d’augmenter
le prix du baril de 70 % en rétorsion au soutien des Etats-Unis à
Israël. Ensuite, le lendemain, ils décident d’un embargo contre les pays
les plus proches d’Israël, à savoir les Etats-Unis, les Pays-Bas,
l’Afrique du Sud, la Rhodésie et le Portugal, ainsi qu’une réduction
mensuelle de 5 % de leur production par rapport à celle de septembre
1973, ce qui réduit la disponibilité du pétrole sur le marché mondial.
Levé 5 mois plus tard, l’embargo aura eu pour effet de quadrupler de 3 à 12 dollars le prix du baril de pétrole.
La Chine a, comme l’a indiqué lors de son audition Mme Valérie Niquet, une approche stratégique de la question énergétique.
Puissance
continentale, elle a certes l’une des façades maritimes les plus
importantes au monde, mais en tout état de cause, elle n’a pas accès à
la mer libre : la Mer de Chine est, en effet, séparée du Pacifique par
une ceinture d’archipels dont le Japon et les Philippines sont les plus
importants et entre les deux se trouve, en outre, Taïwan.
En
outre, la Chine connaît l’histoire de son principal interlocuteur
régional, le Japon, dont l’embargo de 1940 et 1941, ainsi que les
difficultés de l’approvisionnement en pétrole tout au long du conflit,
ont été l’un des facteurs essentiel de l’entrée en guerre puis de la
défaite.
C’est
dans cette perspective qu’ont été menés les travaux sur le projet, qui
n’a pas été réalisé, d’un oléoduc à travers la Birmanie permettant ainsi
l’approvisionnement direct de la Chine du Sud à partir du Golfe du
Bengale.
2. Plusieurs exemples de recours à la sanction du pétrole pour les Etats en rupture avec la société internationale
L’embargo
pétrolier, à savoir les entraves à l’importation pour les Etats
consommateurs, et les interdictions à l’exportation, pour le pays
producteurs, est l’un des éléments sur lesquels joue la société
internationale pour faire prévaloir ses vues sur les Etats qui soit ne
respectent pas ses valeurs universelles, soit représentent par la
violation du droit international, une menace pour sa sécurité, notamment
en raison du risque de prolifération nucléaire.
Plusieurs pays ont fait l’objet de sanctions pétrolières en raison d’atteintes particulièrement graves aux droits de l’Homme.
Les
deux premiers sont des embargos interdisant l’exportation de pétrole
dans les deux Etats appliquant des mesures internes de ségrégation
raciale.
A l’encontre de l’Afrique du Sud de l’apartheid, l’ONU décide un embargo partiel en 1962. Une résolution est votée par l’Assemblée générale des Nations Unies.
En
novembre 1973, les pays arabes exportateurs de pétrole en décident un
complet en raison du soutien apporté par l’Afrique du Sud à Israël et
celui-ci est ensuite repris par les autres pays de l’OPEP.
En
1977, l’Assemblée générale des Nations Unies approuve une résolution
imposant un embargo complet. Celui-ci n’est progressivement levé
qu’après 1990 et le début de la fin de la confiscation du pouvoir par la
minorité blanche.
Le
pays a évité le désastre économique rapide grâce à l’importance de ses
ressources en charbon et au développement d’une filière de liquéfaction
du charbon, Coal to Liquid.
La
Rhodésie fit l’objet de mêmes sanctions pour les mêmes raisons après
sa déclaration unilatérale d’indépendance en 1965. L’embargo a été
maintenu jusqu’au transfert du pouvoir à la majorité noire en 1980. Les
conséquences de l’embargo, largement contourné, ont été très marquées
après l’indépendance du Mozambique en 1975.
Immédiatement
après l’invasion du Koweït en août 1990, l’ONU place l’Irak sous un
régime de sanctions obligatoires, dans le cadre de la résolution 661 du 6
août 1990, qui fait une exception pour les fournitures médicales ainsi
que l’aide humanitaire et alimentaire.
Ensuite
en août et septembre 1991, deux résolutions 706 et 712 permettent à
l’Irak d’exporter pour 1,6 milliard de dollars de pétrole, pour
acquitter les coûts de l’aide humanitaire.
En
1995, les sanctions ne sont toujours pas levées, l’Irak refusant
notamment les inspections de l’ONU sur la destruction des armes
chimiques et refusant aussi de tirer parti des ventes de pétrole pour
acquitter les fournitures humanitaires. Les informations disponibles
font état de plusieurs centaines de milliers de morts par défaut
d’alimentation ou de soins médicaux.
Par
conséquent, la résolution 986 du Conseil de sécurité d’avril 1995
autorise l’Irak à vendre 1 milliard de dollars de produits pétroliers
par période de 90 jours, avec un examen du processus à l’issue des deux
premières périodes. Les revenus correspondants ne peuvent servir qu’à
l’achat de médicaments et autres produits de fourniture de soins,
d’aliments et de matériels destinés à répondre aux besoins des
populations civiles.
Ce n’est qu’en 1996 que le Gouvernement irakien accepte d’entamer les discussions pour sa mise en œuvre,
laquelle commence en décembre 1996. Ce régime dit « pétrole contre
nourriture » a duré jusqu’en novembre 2003. Il y a été mis fin après la
chute du régime de Saddam Hussein à la suite de l’intervention de
février 2003. 46 milliards de dollars ont officiellement été retirés de
la vente du pétrole irakien.
Le système a été contourné par les exportations terrestres illégales de pétrole irakien, et sa mise en œuvre
a donné lieu à des soupçons de fraude et autres infractions pénales, et
à des actions juridictionnelles pénales, qui dépassent le cadre du
présent rapport.
Depuis
plus d’une vingtaine d’années, l’Iran cherche à développer un programme
nucléaire. Celui-ci inclut notamment des capacités croissantes
d’enrichissement de l’uranium, avec installation de plusieurs milliers
de centrifugeuses, sans usage civil crédible, le développement d’un
réacteur à plutonium et une usine d’eau lourde. La communauté
internationale le suspecte d’être lié à l’acquisition d’une capacité
nucléaire militaire.
Ce
programme, d’abord clandestin, a été mis au jour en 2002 et confirmé
par l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA). Il est
contraire aux engagements internationaux de l’Iran envers l’AIEA (avec
laquelle l’Iran a conclu un accord de garanties).
Le
refus de Téhéran de suspendre ses activités d’enrichissement a conduit
la communauté internationale à prendre des sanctions au niveau des
Nations Unies, lesquelles ont été complétées par les Etats-Unis et
l’Union européenne.
Cette
situation a incité le Conseil de Sécurité des Nations unies à adopter
plusieurs résolutions (en 2006, 2007, 2008 et 2010) qui sont
contraignantes pour tous les membres des Nations unies.
Ces
sanctions sont un moyen de pression car, en parallèle, des efforts ont
été menés au sein du forum E3+3 (discussions entre l'Iran, d’une part,
et la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne ainsi que la Chine, la
Russie et les États-Unis d'autre part), un dialogue que l'on a appelé la
double approche. Les pays européens sont alors représentés au sein de
la concertation E3+3 par Mme Ashton, Haute Représentante de l'Union.
L’Union
européenne applique les sanctions décidées par les Nations unies, mais
a également adopté des sanctions autonomes complémentaires, de sa
propre initiative, de même que les Etats-Unis.
Le
Conseil Affaires étrangères du 26 juillet 2010, a ainsi adopté en
réaction à la poursuite par l’Iran de son programme nucléaire, des
sanctions ciblées touchant à la fois à la non-prolifération et à
certains secteurs économiques, dont celui des hydrocarbures.
Ces
sanctions autonomes européennes ont été renforcées à plusieurs
reprises, notamment lors du Conseil Affaires étrangères du 23 janvier
2012 qui a décidé d’un renforcement supplémentaire sous la forme d’une
interdiction d’importation du pétrole brut iranien et d’un gel des
avoirs de la Banque centrale d’Iran dans l’Union européenne. L’accès de
l’Iran à l’opérateur de transactions internationales Swift a également été interrompu.
L’embargo
pétrolier européen est intervenu après la décision des Etats-Unis d’en
faire autant puisque le Congrès a adopté une législation en ce sens en
décembre 2011.
Il est entré en vigueur pleine et entière, le 1er
juillet 2012. Ce différé a permis aux trois pays qui achetaient le plus
de brut iranien (l’Italie, la Grèce et l’Espagne) de se tourner vers
des sources alternatives d’approvisionnement. Par la suite, un dernier
train de sanctions est intervenu en octobre 2012. Par effet de
contagions, certains pays asiatiques ont réduit leurs importations
iraniennes, aussi.
Le
principal effet des sanctions a donc été de réduire le nombre des pays
importateurs de brut iranien à six contre vingt et un auparavant : la
Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Turquie et Taïwan.
Selon l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA),
l’embargo a réduit en 2012 par rapport à 2011 de 1 million de barils
jour les exportations iraniennes. Les recettes d’exportations se sont
effondrées de 47 % et les rentrées fiscales de 11 %.
Pour 2013, le niveau moyen a été de 1,1 million de barils par jour avec une accélération en fin d’année.
Pour
les premiers mois de l’année 2014, la moyenne est passée à 1,4 million
de barils jour, soit une augmentation de 28 %, selon les estimations de
l’Agence internationale de l’énergie à partir des données douanières.
Les sanctions pétrolières relèvent d’une catégorie distincte de celles mises en œuvre
par l’Union européenne au titre des violations des droits de l’Homme
perpétrées en Iran dans la période qui a suivi l’élection présidentielle
du 12 juin 2009 : mesures restrictives autonomes (interdiction de
visas, gel d’avoirs) contre les personnes responsables de graves
violations ; embargo européen sur les exportations de technologies de
censure et de contrôle des moyens de communication décidé le 23 mars
2012.
Les Etats-Unis sont souvent cités parmi les pays ayant mis en œuvre
des sanctions pétrolières unilatérales. Dans leur ouvrage précité sur
la géopolitique du pétrole, MM. Cédric de Lestrange, Christophe
Alexandre Paillard et Pierre Zelenko estiment que c’est « un instrument
privilégié » de la politique étrangère américaine.
Les
premières sanctions ont été prises contre Cuba en 1960. Un embargo est
décidé le 13 octobre de cette même année, plus d’un an et demi après
l’arrivée de Fidel Castro à la tête du pays. Les trois quarts du pétrole
consommés par l’île sont alors d’origine américaine. C’est en
représailles à la nationalisation en juin précédent des trois
raffineries et du réseau de distribution détenus par Texaco, Shell et Exxon,
et à l’accord d’avril prévoyant des importations de pétrole russe en
dessous du prix du marché, pour environ 20 % de la consommation du pays.
Cuba
a tenu jusqu’en 1990 grâce à l’aide soviétique, mais a dû ensuite
s’approvisionner sur les marchés internationaux. Ce n’est qu’au début de
l’année 2015 que le président Obama a entrepris les démarches pour
renouer les relations entre les deux pays.
La
Libye est un deuxième exemple d’embargo américain. Celui-ci est imposé
en 1982 par mesure de rétorsion contre le soutien au terrorisme
international. Est interdite toute importation aux Etats-Unis de
pétrole libyen et toute exportation de marchandise vers la Libye est
soumise à un régime de contrôle strict.
A
partir de 1992, l’ONU décide d’appliquer à la Libye des sanctions à la
suite du refus d’extrader vers les Etats-Unis et l’Allemagne deux agents
libyens soupçonnés d’avoir commis l’attentat qui a conduit à
l’explosion d’un avion civil au-dessus de la ville de Lockerbie, en
Ecosse.
L’ONU ne va cependant pas jusqu’aux sanctions pétrolières.
En 1996, les Etats-Unis adoptent l’Iran and Libya Sanctions Act,
dite loi d’Amato/Kennedy, qui sanctionne les Etats « voyous » (soutien
au terrorisme et volonté d’acquérir des armes de destruction massive).
A
partir de 2003, la Lybie accepte de renoncer à son programme d’armes de
destruction massive, puis accepte de dédommager les ayants droit des
victimes des attentats de Lockerbie et du DC 10 d’UTA. Sa situation
s’est donc progressivement normalisée jusqu’au printemps arabe de 2011
qui a conduit à la chute du Colonel Kadhafi.
C.
DEUX ILLUSTRATIONS TRÈS DIFFÉRENTES DE LA CAPACITÉ DES ETATS
PÉTROLIERS ET GAZIERS À JOUER UN ROLE INTERNATIONAL MAJEUR SANS COMMUNE
MESURE AVEC LEUR POIDS DÉMOGRAPHIQUE OU POLITIQUE
1.
La Russie : le maintien d’une grande politique de puissance et
d’influence grâce au gaz, mais la vulnérabilité face aux sanctions
A
la suite de l’effondrement de l’URSS, la Russie est restée un acteur
international de premier plan grâce au secteur des hydrocarbures et,
au-delà, au secteur des matières premières.
Son rôle politique va bien au-delà de ce que son poids comme neuvième économie mondiale semblerait lui permettre de jouer.
La
Russie est le troisième producteur mondial d’hydrocarbures liquides,
avec 10,4 millions de barils jour en 2012 et de deuxième producteur de
gaz naturel.
Elle
représente en effet 11,5 % de la production pétrolière mondiale et 19 %
de celle de gaz naturel. Elle dispose de 17 % des réserves prouvées de
gaz, selon BP. Certains observateurs avancent parfois le chiffre de 30 %.
La production de pétrole a augmenté de 60 % ces dernières années et celle des produits pétroliers de 40 %.
Les
combustibles fossiles représenteraient 20 à 25 % de l’économie russe
(10 % selon les statistiques officielles) et 70 % des exportations, et
même 62 % pour les seuls hydrocarbures. C’est là l’essentiel des
matières premières exportées, lesquelles assurent au total 90 % des
exportations russes.
Après
la phase de privatisation des années 1990, le secteur des hydrocarbures
a été progressivement repris en main par l’Etat. La loi de juin 2003 a
ainsi durci les dispositions antérieures sur les accords de partage de
production. Les critères d’inscription d’un gisement sur la liste
approuvée par la Douma sont plus stricts et ces accords deviennent donc
l’exception et non plus le cas général. En 2005, le ministère russe de
Sibérie indique que seules les sociétés majoritairement à capitaux
russes auront des licences pour exploiter le gaz et le pétrole de
Sibérie. Sur le plan géographique, il y a glissement de la production
russe des hydrocarbures vers le Nord et l’Est. Pour le gaz en effet, la
production a été lancée en 2012 dans la péninsule de Yamal, dont le
projet de gaz Yamal GNL de Novatek en partenariat avec Total, et CNPC, et le gisement de Shtokman dans la mer de Barents, réparti entre Gazprom et Total, après le désengagement de Statoil.
Pour le pétrole, les gisements de Sibérie occidentale, exploités depuis
1964, sont en voie d’épuisement et les nouveaux gisements sont en
Sibérie orientale et en Extrême-Orient. La carte suivante représente les
principaux gisements russes.
Gisements pétroliers et gaziers russes
Source : EIA
L’armée russe dispose actuellement du troisième budget militaire dans le monde, derrière les Etats-Unis et la Chine.
Cet effort s’est accru puisque selon les comparaisons d’IHS Inc en
février dernier, la Russie, qui a affecté 68,9 milliards de dollars à
la défense en 2013 (contre 582 pour les Etats-Unis et 139 pour la
Chine), a prévu d’augmenter de 44 % cet effort pour les trois prochaines
années, à raison de 98 milliards de dollars en 2016. Cela représente un
rehaussement de 15,7 % à 20 % des dépenses militaires dans le budget.
Or,
la moitié des recettes budgétaires russes dépend des exportations
d’hydrocarbures, et plus précisément du secteur pétrolier. Selon
certaines sources, 78 dollars étaient prélevés sur un baril de pétrole
qui était alors à 100 dollars. Le prix autour duquel a été construit
l’équilibre du budget est comme on l’a vu de l’ordre de 100 dollars le
baril selon les éléments publiés par M. Patrick Artus (Forte dégradation de la situation économique de la Russie : quels effet ? – Flash Economie – Natixis
– 6 novembre 2004). Parfois, des chiffres plus élevés de 105 dollars
voire 115 dollars le baril sont cités comme étant nécessaires pour
équilibrer le budget russe.
c. Un secteur partiellement sous sanctions depuis l’annexion de la Crimée et la crise ukrainienne de 2014
C’est
cette dépendance qui a conduit l’Union européenne, lors de la crise
ukrainienne, à viser le secteur russe des hydrocarbures.
Pour
ce qui concerne les hydrocarbures, seul le secteur pétrolier a été
frappé par les sanctions prises par l’Union européenne à l’encontre de
la Russie. Le secteur du gaz n’a pas pour sa part été concerné.
En effet, l’Union européenne a adopté trois types de mesures restrictives à l’encontre de la Russie :
• La phase I :
décidée en mars, elle vise la suspension des discussions sur les visas
(tant sur l’accord de facilitation, qui était en voie de finalisation,
que sur le processus de libéralisation), et des négociations en vue d’un
nouvel accord global Union européenne-Russie. Elle s’est également
traduite par l’annulation du sommet UE-Russie de Sotchi (3 juin 2014) et
des sommets bilatéraux périodiques entre Etats membres et Russie, le
soutien à l’annulation du sommet du G7 à Sotchi (4-5 juin) et le soutien
à la suspension des négociations relatives à l’adhésion de la Russie à
l’OCDE et à l’AIE ;
• La phase II :
intervenant en mars également, le 17, elle a été constituée de mesures
ciblées contre des entités et des individus (interdictions de visas et
gel d’avoirs) ;
• La phase III :
décidée le 29 juillet, elle consiste en des mesures économiques
sectorielles prises en juillet et élargies en septembre 2014 dans quatre
domaines : un embargo non rétroactif sur les armes ; la limitation à
l’accès aux marchés et financements européens ; les restrictions aux
exportations de biens à double usage ; les restrictions aux exportations
de technologies sensibles dans le secteur pétrolier.
Les restrictions relatives aux hydrocarbures concernent précisément l’exploration et la production de pétrole offshore
en eaux profondes, l’exploration et la production de pétrole dans
l’Arctique et les schistes bitumineux. L’interdiction n’est pas
rétroactive car elle ne vise pas les contrats ni les contrats cadres
antérieurs au 12 septembre 2014, comme le précise le règlement (UE)
n° 960/2014 du 8 septembre 2014.
Au
niveau européen, la question fait l’objet d’une grande attention au
regard de l’accord dit de Minsk 2 de février 2015 sur le cessez-le-feu
dans les régions orientales de l’Ukraine.
d. La proximité des entreprises du secteur des hydrocarbures, notamment de Gazprom, et de l’Etat russe
Le secteur énergétique russe est dominé par quatre acteurs. Gazprom pour le gaz et Rosneft pour le pétrole, et aussi le gaz, qui a repris TNK BP,
après rachat à 100 %, sont les opérateurs historiques. La privatisation
a été davantage poussée pour le pétrole que pour le gaz et a été le
point d’entrée d’indépendants dont les plus importants sont Lukoil ainsi que Novatek.
Gazprom
est issue de la transformation de l’ancien ministère soviétique de
l’industrie gazière. Elle est dirigée depuis 2001 par M. Alexeï Miller,
réputé proche du Président Poutine. L’Etat russe en est actionnaire
majoritaire.
C’est
le premier producteur et exportateur de gaz dans le monde. Avec un
chiffre d’affaires de 116,4 milliards de dollars en 2013 et 25,8
milliards de profit net, c’est également la première entreprise russe.
Le groupe est présent sur l’ensemble la chaîne gazière avec pour
principales activités l’extraction et le transport de gaz naturel. Il se développe également sur le pétrole et l’électricité.
Gazprom
représente 8 % du PIB russe et est à l’origine de 20 % de ses recettes
budgétaires. Il emploie 400.000 salariés. Il indique détenir 18 % des
réserves mondiales de gaz et 70 % des réserves russes.
En 2013, il a produit 487 milliards de mètres cubes de gaz, contre 62 pour Novatek.
La force de Gazprom
a été fondée sur le monopole sur l’exportation et sur le réseau des
gazoducs. Elle a perdu en 2014 une partie de son monopole du gaz avec la
libéralisation de la vente de GNL vers de nouveaux marchés en Asie.
C’est à la suite de la demande de Novatek et Rosneft.
Cette dernière envisage de porter, à l’horizon 2000, sa production
annuelle de moins de 40 milliards de mètres cubes à 100 milliards. Cette
évolution est interprétée comme une prise en compte des difficultés de
Gazprom à évoluer et à s’adapter. Comme le rappelle l’article de M.
Pavel Baev publié par l’IFRI en mars dernier, « Rosneft, Gazprom et l’Etat : qui décide de la politique énergétique russe ? »,
c’est l’un des éléments de réponse à une certaine insatisfaction du
président et du Gouvernement russes vis-à-vis de l’inefficacité de
Gazprom, sans aller jusqu’à son démantèlement.
Gazprom reste cependant l’acteur stratégique pour la Russie.
En pleine crise ukrainienne, en effet, Gazprom
a signé le 21 mai dernier, lors d’une visite à Pékin du président
Vladimir Poutine, le contrat de long terme de livraison de gaz à la
Chine, prévoyant 38 milliards de mètres cubes par an sur trente ans, à
partir des gisements de Sibérie orientale, et un montant de l’ordre de
300 milliards d’euros. La signature de ce « contrat du siècle » était en
cours de négociation depuis plusieurs années et était considérée comme
bloquée.
Il
s’agit avant tout d’un signal politique car en l’état, l’essentiel de
la production russe provient des gisements de Sibérie occidentale (70 à
80 %).
Pour ce qui concerne le pétrole, Rosneft a assuré 37 % de la production russe en 2013, à raison de 203 millions de tonnes sur 523, devant Lukoil (91millions de tonnes), Surgutneftegaz (61 millions) et Gazpromneft (51 millions).
e. La politique de l’accès préférentiel au gaz pour les pays voisins qui adhèrent au projet eurasiatique
Pour
les pays voisins de la Russie, ceux de l’ancienne Union soviétique et
qui n’ont pas de gaz ou n’en ont pas suffisamment, le prix des
livraisons de gaz est une arme politique.
En
décembre 2013, la Russie a signé avec l’Arménie un accord permettant à
cette dernière de bénéficier de livraisons de gaz russe à tarif
préférentiel.
Il
permet à cet Etat de bénéficier de livraisons de gaz au prix de
189 dollars les 1000 mètres cubes, alors qu’il est habituellement vendu
plus de 384 dollars. L’annonce a également été assortie d’une réduction
de 35 % des droits d’exportation sur le pétrole.
La
Biélorussie est également bénéficiaire d’un tel tarif préférentiel, à
raison de 160 dollars les mille mètres cubes de gaz, en tant que membre
de l’Union douanière.
Dans
les relations entre la Moldavie et la Russie, le prix du gaz a
également joué lorsque le pays a rejoint en 2009 la Communauté de
l’énergie, créée en 2005 pour intégrer l’Europe de l’Est et les Balkans
au marché énergétique européen. Deux paramètres sont intervenus :
l’arriéré impayé ; le nouveau tarif de vente des livraisons. En
l’absence de nouveau contrat remplaçant l’ancien, venu à expiration en
2011, les modalités sont renouvelées chaque année ce qui maintient une
pression permanente sur le pays.
Les
relations entre la Russie et l’Ukraine sont, depuis l’indépendance de
la seconde en 1991, très denses pour des raisons géographiques,
historiques, linguistiques et culturelles, communautaires (8 millions
de « Russes ethniques » en Ukraine) et économiques (premier partenaire
commercial). Elles sont encadrées par le Grand traité d’amitié et de
coopération, reconduit le 1/10/2008 pour 10 ans, dans lequel s’inscrit
un calendrier fourni de rencontres diplomatiques.
Ces
relations se sont particulièrement tendues après la « Révolution
orange » de 2004 pendant le mandat de Viktor Iouchtchenko (2004-2010)
sur l’ensemble des sujets essentiels : stratégiques (Otan, flotte de la
mer Noire), commerciaux (gaz), historiques et mémoriels (grande famine
de 1932-1933 ; appréciation du rôle de l’OuPA (Armée insurrectionnelle
ukrainienne) dans les années 1941-1954). L’évolution de la politique
extérieure russe depuis 2008 (intervention en Géorgie et reconnaissance
des entités séparatistes, politique de « zone d’influence », loi sur les
interventions extérieures) a été ressentie comme une menace.
Deux
crises sont ainsi intervenues pendant cette période au sujet du gaz
avec trois sources de différents commerciaux : la dette gazière de
l’Ukraine ; le tarif acquitté par elle, la Russie souhaitant mettre fin
au tarif préférentiel dès lors que l’Ukraine ne menait pas la politique
qu’elle souhaitait ; le montant des droits de transit pour le gaz russe
destiné à l’Union européenne.
La
difficulté tient à ce que l’Ukraine, contrairement aux pays de l’Union
européenne, n’est pas liée par des contrats de long terme. Le gaz fait
l’objet de négociations annuelles, qui compte tenu des relations entre
les deux pays, sont permanentes.
En 2005, Gazprom
a souhaité aligner le prix du gaz ukrainien, jusque-là nettement en
dessous du prix payé en Europe (50 dollars les 1 000 mètre cubes contre
230 sur le marché européen, se fondant sur le fait que l’Ukraine avait
obtenu le statut d'économie de marché.
La polémique est vite montée, Gazprom accusant Naftogaz Ukraina de se surapprovisionner en gaz et de revendre le surplus à l'Europe.
Après
la mise à exécution de la menace de couper le gaz à l’Ukraine en ne
laissant que passer celui à destination de l’Europe le 1er
janvier 2006, et la diminution consécutive du débit à destination de
l’Europe, l’Ukraine accepta de mettre fin aux prélèvement illégaux le
3 janvier 2006 et un accord prévoyant une augmentation moins importante
du prix du gaz, lequel était en partie d’origine turkmène. Ce gaz a été
livré par l’intermédiaire d’une structure ad hoc RosUkEnergo,
créée en 2004 en Suisse, et filiale à 50 % de Gazprom, avec une
incertitude sur la détention effective de l’autre moitié du capital.
En
2008, la question des arriérés de paiement est revenue au premier plan
des relations entre les deux pays. Le désaccord sur les prix du transit
et de l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine ayant conduit à l’échec de
la négociation le 31 décembre 2008, les livraisons à l’Ukraine ont été
interrompues le 1er janvier 2009, y compris les livraisons de
gaz russe destinées à l’Union européenne. Il a fallu près de trois
semaines pour obtenir un accord, finalement conclu le 19 janvier,
permettant la reprise du transit et la fin de la crise. Les pays de
l’Union européenne, notamment ceux situés à l’Est, ont été gravement
affectés.
Les
termes de l’accord se sont globalement traduits par un rabais au profit
de l’Ukraine et par la disparition de l’intermédiaire de 2006.
On
observera que le contenu très politique des négociations alors menées
entre le président Vladimir Poutine et Mme Ioulia Timochenko est apparu
au grand jour l’année suivante avec les accords de Kharkiv d’avril 2010,
portant aux accords de 2010 des clauses complémentaires concernant les
prix du gaz, les volumes d'approvisionnement, ainsi que sur le système
de sanctions prévu, en échange de la prolongation du bail de la base
navale de Sébastopol (où est établie toute la flotte russe de la Mer
noire). L’Ukraine a obtenu un rabais de 30 % jusqu'en 2020 contre le
maintien de la présence russe en Crimée jusqu’en 2042.
L’élection
présidentielle de 2010 a été remportée par M. Viktor Ianoukovitch avec
49 % des voix contre 45,5 % à Mme Ioulia Timochenko. La politique du
nouveau président a été dans le sens d’une certaine détente, même si
tous les différends n’ont pas été effacés. En arrière-plan se situe la
pression de la Russie pour que l’Ukraine adhère à l’Union douanière
qu’elle promeut, et à son projet d’Union eurasiatique.
La
dernière crise gazière est la conséquence directe de la décision du
président Ianoukovitch, fin novembre 2013, à quelques jours du sommet du
Partenariat oriental à Vilnius, de ne pas signer l’Accord d’association
avec l’Union européenne, laquelle a déclenché des manifestations
massives de Maïdan à Kiev et dans tout le pays et ont ensuite conduit à
son départ.
En
outre, la lassitude de la population vis-à-vis de la mauvaise gestion
de l’Ukraine, de la corruption au grand jour et à très grande échelle de
ses dirigeants et de l’absence de respect de l’Etat de droit a joué un
rôle majeur.
La
crise politique entre la Russie et l’Ukraine a alors éclaté avec,
d’abord, l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en mars et
ensuite l’apparition dans l’Est d’un séparatisme armé de la part
d’extrémistes de la minorité russophone contrôlant des territoires qui
se prétendent indépendants et dont les mouvements armés sont
matériellement soutenus par la Russie.
Le contentieux gazier est revenu à l’ordre du jour, mais dans des conditions bien pires.
La crise a été plus grave encore qu’en 2009 avec l’arrêt total des livraisons russes à l’Ukraine en juin quand Gazprom
a décidé de passer à un système de prépaiement. Le pays a été
ravitaillé par la Slovaquie grâce à la mise en place depuis 2009 des
mécanismes des flux inversés.
Les
négociations ont abouti le 30 octobre, sur les conditions de la
reprise des livraisons de gaz russe à Kiev et sur le paiement de la
dette gazière de l’Ukraine à la Russie.
L’Ukraine doit acquitter des arriérés de dette pour un total
de 3,1 milliards de dollars (2,4 milliards d’euros) en deux tranches :
la première, avant fin novembre (1,45 milliard de dollars) ; la seconde
(1,65 milliard de dollars) avant fin décembre. Ces sommes dont destinées
à Gazprom, premier producteur de gaz au monde, dont l’Etat russe
est actionnaire majoritaire. La Russie évaluait la dette gazière
ukrainienne à un total de 5,3 milliards de dollars, et estime donc avoir fait une concession.
Pour
sa part, le tarif consenti à l’Ukraine est de 385 dollars environ les
1.000 mètres cubes, soit 100 dollars de moins que le tarif
antérieurement proposé, et l’Ukraine ne s’engage pas sur les quantités.
Elle devra acquitter ce qu’elle consomme, mais régler en avance.
Cet arrangement, valable jusqu’en mars 2015, permet aussi aux Européens de sécuriser leurs approvisionnements en gaz sans être l’otage des relations entre les deux pays.
La
crise a de nouveau rebondi en février 2015. Le 18 février en effet, la
Russie a décidé d’approvisionner directement – sans passer par les
gazoducs habituels contrôlés par l’Ukraine – les deux régions rebelles
indépendantistes de la région de Donbas (Donetsk et Lugansk), après que Naftogaz eut décidé d’interrompre leur approvisionnement, invoquant les dommages aux gazoducs dans la région. Gazprom a réduit d’autant le gaz livré à Kiev, tout en facturant le montant total.
Grâce
à la médiation européenne du Commissaire chargé de l’énergie, M. Maros
Sefcovic, un accord gelant la question a été trouvé le 2 mars, avec la
perspective de la relance des négociations à la fin du mois pour un
nouvel accord d’approvisionnement.
Au
XIXe siècle, l’expression de Rudyard Kipling a désigné la lutte
d’influence de la Russie et du Royaume-Uni autour de l’Asie centrale et
de l’Afghanistan, la préservation de l’Empire des Indes impliquant pour
le second que la première reste aussi éloignée que possible des passes
d’accès à la plaine de l’Indus et du Gange.
L’indépendance
des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, après
l’éclatement de l’URSS en 1991, a relancé un tel grand jeu avec deux
acteurs de proximité, la Russie et la Chine, le premier exportateur et
le second importateur d’hydrocarbures, ainsi que l’Union européenne et
un acteur porteur en arrière-plan des mêmes valeurs de démocratie et de
libre commerce, les Etats-Unis.
En outre, deux acteurs régionaux majeurs ont aussi des intérêts dans la zone, l’Iran, voisin direct du Turkménistan, et l’Inde.
Enfin,
la Turquie a renoué des relations avec les populations qui sont pour
l’essentiel des turcophones d’Asie centrale, car même si les langues ne
sont pas les mêmes, elles sont étroitement apparentées.
Contrairement
à l’Azerbaïdjan, qui a bénéficié de l’ouverture de l’oléoduc BTC en
2001, reliant Bakou à Ceyhan en Turquie via la Géorgie, les Etats d’Asie
centrale n’ont pas bénéficié de telles infrastructures de liaison.
Ainsi
enclavés, les trois Etats du Kazakhstan, du Turkménistan et de
l’Ouzbékistan, lequel est d’ailleurs sur-enclavé car il n’est pas
riverain de la Caspienne, contrairement aux deux autres, ont été
presqu’exclusivement dépendants de la Russie pour leurs exportations,
en raison de l’orientation et du tracé des gazoducs et oléoducs.
Depuis les années 2000, les trois pays ont nourri des projets d’infrastructures pour se désenclaver vers l’Asie.
C’est
vers la Chine que les infrastructures ont été construites. Dès 2005, un
oléoduc a relié le port kazakh d’Atasu sur la Caspienne à Urumshi, dans
le Xinjiang.
Pour
le gaz, c’est en 2009 qu’a été mis en place le premier gazoduc du
Turkménistan à la Chine, via l’Ouzbékistan et le Kazakhstan, d’une
capacité de 40 milliards de mètres cubes par an.
En
2013, un nouvel accord a été signé pour un autre gazoduc transitant
cette fois ci par le Tadjikistan, et d’une capacité de 25 à 30 milliards
de mètres cubes. Il devrait être achevé en 2016.
Il
y a aussi des projets notamment de passage à travers l’Afghanistan et
aussi de développement des infrastructures de la Caspienne pour exporter
vers l’Ouest sans passer par la Russie via les Etats du Caucase.
La carte suivante permet de visualiser ces éléments.
Projets de désenclavement de l’Asie centrale
Source : EIA
Dans
l’attente de ces ouvertures, la dépendance vis-à-vis de la Russie est
totale. Selon les statistiques de BP, le Kazakhstan a ainsi exporté en
2013 la presque totalité de sa production vers la Russie à raison de
11,5 milliards de mètres cubes. En revanche, grâce au premier gazoduc,
le Turkménistan a pu s’affranchir pour plus de la moitié de sa
production de la dépendance russe, à raison de 24,4 milliards mètres
cubes vers la Chine sur 40,1 milliards de production. En outre, 10 %,
soit 4 milliards, ont été exportés vers l’Iran.
Pour
sa part, l’Ouzbékistan qui a exporté environ 12 milliards de mètres
cube en 2013 comme en 2012 dépend beaucoup de la Russie qui absorbe la
moitié de ses exportations, le reste allant aux pays voisins
Kazakhstan, Kirghizistan et Tadjikistan.
Un accord stratégique a été conclu entre Uzbekneftegaz et Gazprom en 2002, mais en 2012, dans le cadre de la diversification, deux nouveaux accords ont été conclus, l’un avec Gazprom et l’autre avec l’entreprise chinoise CNPC
pour des livraisons de gaz à la Chine une fois augmentées le gabarit du
gazoduc Asie Centrale-Chine en 2014, avec à la clef un investissement
chinois de 74 millions de dollars pour le réseau ouzbek de distribution
de gaz, destiné à faciliter les exportations vers la Chine.
L’autre
voie de sortie des Etats d’Asie centrale est la Caspienne qui donne
notamment accès soit pas bateau, soit par pipeline, à l’Europe via
l’Azerbaïdjan. Elle est étroitement dépendante de la question du
règlement de son statut.
L’avancée
russe au Sud du Caucase et en Asie centrale au XIXème siècle a conduit à
restreindre à deux le nombre des Etats riverains de la Caspienne : la
Russie, puis l’Union soviétique, et l’Iran. Deux accords ont été conclus
en 1921 et en 1940 pour en fixer le statut.
L’éclatement
de l’Union soviétique a porté à cinq le nombre des Etats riverains,
ajoutant l’Azerbaïdjan à l’Ouest, ainsi que le Turkménistan et le
Kazakhstan à l’Est. Inéluctablement s’est posée la question de son
statut : mer ou bien lac.
L’Iran
et la Russie ont estimé que la Mer Caspienne est un lac et que le son
régime juridique restait fixé, en attendant la conclusion de nouveaux
accords, par les textes de 1921 et 1940.
A
l’opposé, les nouveaux Etats, notamment l’Azerbaïdjan, ont été tentés
d’y voir une mer avec par conséquent l’application des règles du droit
de la mer, en particulier la Convention des Nations unies sur le droit
de la mer de Montego Bay, de 1982, notamment pour le partage des
fonds marins. A l’arrière-plan, il y avait aussi deux considérations :
d’abord, la faculté de joindre l’Azerbaïdjan à l’Ouest par des
infrastructures de transport, oléoducs et gazoducs, assurant de
désenclavement de l’Asie centrale ; ensuite, la présence maritime de
pays tiers.
En
outre pour la Russie, l’intérêt d’un contrôle indirect des gisements
d’Asie centrale est non seulement politique, mais aussi commercial, car
il garantit plus aisément l’exécution des contrats de long terme alors
même que les gisements de Sibérie occidentale tendent à s’épuiser.
Finalement,
les positions se sont rapprochées et une déclaration politique a été
signée par les cinq chefs d’Etats concernés le 29 septembre dernier lors
du Sommet d’Astrakhan, en Russie. Les conclusions en sont les
suivantes : la Capsienne n’est pas une mer et si un zone nationale de 25
miles marins sera délimitée, un partage est prévu pour l’exploitation
du fond, tandis que la navigation restera libre. L’Iran a renoncé au
principe d’un partage entre cinq parts égales.
Plusieurs
accords de coopération techniques ont été paraphés lors du sommet,
notamment l’un sur la prévention et l'élimination des situations
d'urgence en mer Caspienne et l’autre, sur la préservation et
l’exploitation rationnelle des ressources biologiques marines.
Le
principe de l’absence de toute présence militaire étrangère sur les
eaux de la Caspienne a également été posé, ce qui vise en pratique les
forces américaines ou de l’OTAN.
Aucune publicité n’a cependant été faite sur le détail de l’accord.
2. Le Qatar : une visibilité politique, économique et même sportive et culturelle grâce aux recettes du GNL
Le
Qatar est le troisième producteur mondial de gaz, avec une production
de 161 milliards de mètres cubes en 2013, et le deuxième exportateur
avec 120 milliards de mètres cubes en 2012 et 126 en 2013. Les
hydrocarbures sont à l’origine de 58 % de son PIB, soit 111 milliards de
dollars sur 192. Ils sont à l’origine de 95 % de ses exportations et
75 % de ses recettes budgétaires. Cette situation lui assure un excédent
de balance courante de 32,8 % du PIB, soit plus de 60 milliards de
dollars, et un excédent budgétaire de 8,1 % du PIB, selon les données du
ministère des affaires étrangères et du développement international.
Les premiers clients du Qatar sont les pays asiatiques. Selon les données du BP statistical review
pour 2013, le pays a livré aux pays de la zone Asie Pacifique les trois
quarts des 105,6 milliards de mètres cubes de méthane de ses
exportations totales de GNL.
Ces
75 milliards de mètre cubes correspondent en presque totalité aux
livraisons destinées à ses cinq premiers clients dans le monde, qui sont
précisément le Japon (21,8 milliards de mètres cubes), la Corée du Sud
(18,3 milliards), l’Inde (15,3 milliards), la Chine (9,1 milliards) et
Taïwan (8,5 milliards). En regard, les pays européens représentent des
livraisons moindres. Le Royaume-Uni est le premier client européen du
Qatar avec 8,5 milliards de mètres cubes en 2013, suivi de l’Italie avec
5,2 milliards, puis viennent ensuite l’Espagne (3,5 milliards), de la
Belgique (3,2 milliards) et de la France (1,8 milliard).
Avec
une superficie de 11.737 kilomètres carrés, similaire à celle de
l’Ile-de-France), le Qatar est l’un des plus petits Etats du monde
arabe, mais aussi l’un de ceux dont la situation économique et
financière est la plus favorable : son PIB/habitant supérieur à 100.000
dollars en 2012. Sa population totale de deux millions d’habitants est
constituée à 90 % de travailleurs étrangers (indiens, pakistanais,
sri-lankais, philippins) et connaît une forte croissance. Ainsi le Qatar
est-il en mesure de jouer un rôle de premier plan en matière
diplomatique, économique et même culturelle et sportive.
En
matière diplomatique, le Qatar est un acteur régional à part entière
dans le monde arabe et même au-delà, comme le rappelle les éléments
suivants qui ne sauraient prétendre à l’exhaustivité. Le printemps arabe
a marqué une nouvelle étape dans la stratégie d’affirmation régionale
du Qatar qui s’est vite rangé du côté des insurgés. Tel est notamment en
Syrie avec un appui à l’opposition syrienne depuis mai 2011. Les
efforts qataris ont contribué à l’unification et à la structuration de
l’opposition politique syrienne, laquelle a ouvert sa première
représentation diplomatique au Qatar en mars 2013. Doha est depuis
longtemps en faveur d’une action ferme de la communauté internationale
et pour l’exclusion de Bachar Al Assad de toute solution politique.
S’agissant de la Palestine, l’émirat a parrainé le 6 février 2012
« l’accord de Doha » entre le Fatah et le Hamas. Pour ce qui concerne
l’Iran, le Qatar se distingue de son allié saoudien par une position
plus conciliante que ses voisins du Golfe et veille à entretenir des
relations de bon voisinage avec Téhéran. L’émirat a reconnu que l’accord
de Genève du 24 novembre 2013 représentait une « très bonne nouvelle
pour la région, notamment sur le plan économique » et a accueilli le
ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, lors de
sa tournée du Golfe en décembre 2013. Le Qatar se positionne aussi comme
médiateur sur certains dossiers régionaux et son soutien à des groupes
proches des Frères Musulmans (Tunisie, Egypte, Syrie, Yémen, conflit
entre Djibouti et l’Erythrée). Le Qatar est également intervenu en Libye
en 2011. Il a été le seul Etat arabe, avec les Emirats arabes unis, à participer
à l'intervention militaire au sein de la coalition internationale
coordonnée par l'OTAN et à laquelle la France et le Royaume-Uni ont pris
une part majeure.
Il
s’emploie également à organiser un grand nombre de forums
internationaux : sommet des Nations Unies sur le financement du
développement, Conférence internationale sur le dialogue
inter-religieux, Conférence des Etats parties à la convention des
Nations Unies contre la corruption, conférence des Nations Unies sur les
changements climatiques (CNUCC). Enfin, le Qatar finance certaines
organisations islamiques, mais comme il l’a encore récemment affirmé à
propos du prétendu Etat islamique, il indique ne pas financer le
terrorisme ou les groupes qui lui sont affiliés. Sur le plan économique,
les réserves de la banque centrale du Qatar ont quadruplé entre 2007 et
2012 (37 milliards de dollars) et, pour les générations futures, le
pays a constitué une réserve financière gérée depuis 2005 par un fonds
d’investissement souverain (le Qatar Investment Authority).
Celui-ci dispose d’environ 115 milliards de dollars d’avoirs. Il est
particulièrement actif. En 2010, il a représenté à lui seul près du
quart des investissements totaux directs des fonds souverains dans le
monde (Agricultural Bank of China, Industrial & Commercial Bank of China, Harrods…).
Sur le plan des médias, le Qatar a lancé en 1996 la chaîne Al Jazeera,
qui émet en continu depuis 1998 et dispose de sites Internet depuis
2001. Celle-ci a défendu pendant le printemps arabe les révolutions et
le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le Qatar dispose d’une
grande visibilité dans le domaine sportif. Il a été désigné le 2
décembre 2010, comme pays organisateur de la Coupe du monde de football
2022 (premier pays arabe à organiser cette compétition), ce qui a
constitué un important succès. Doha accueillera par ailleurs le
championnat du monde de natation en 2014 et la Coupe du monde de
handball en 2015.
I.
UNE OFFRE PÉTROLIÈRE ET GAZIÈRE SUFFISANTE QUI A PERMIS D’ALIMENTER LE
MARCHÉ ET DE SURMONTER CES DERNIÈRES ANNÉES PLUSIEURS CHOCS
GÉOPOLITIQUES ET ÉCONOMIQUES MAJEURS
La
demande pétrolière a été croissante. Elle a cru en effet de 76 millions
de barils jour en 2000 à 91 millions de barils jour en 2013. Dans le
même temps, la capacité de production mondiale s’est accrue, mais pas
dans les mêmes proportions, passée de 82 à 91,4 millions de barils jour.
C’est ce que reflète le graphique suivant, établit par l’UFIP.
En
2014, la production mondiale a encore fortement augmenté, passant de
91,4 millions de barils jour en 2013 à 93,3 millions de barils jour.
Dans
le même temps, on a assisté à une réduction de l’écart entre les
capacités de production et la demande au cours de la dernière décennie,
laquelle ne s’est pas traduite par une envolée des prix.
La
réduction de l’écart entre demande et capacités de production s’est
d’abord traduite par une tension sur les prix qui ont augmenté jusqu’en
2008, et ceux-ci sont ensuite restés élevés, mais ils ont été contenus.
On
est en effet passé d’un prix de 24 dollars le baril en 2002 à plus de
140 dollars en juillet 2008 et ensuite à quelque 100 dollars le baril
environ.
C’est ce que rappelle le graphique suivant pour le brut américain, le WTI.
Source : EIA
La
forte chute des prix au moment de la crise économique de 2008 a, à son
tour, été contenue par l’ajustement de l’offre et de la demande, l’OPEP
et notamment l’Arabie saoudite jouant le rôle de régulateur d’appoint du
marché.
En
2008 et 2009 en effet, l’Arabie saoudite avait lancé le mouvement de
réduction de la production dans le cadre de l'OPEP, mais elle s'était
retrouvée seule à le faire.
Elle est ainsi temporairement passée au deuxième rang des producteurs mondiaux, mais a préservé le niveau des cours.
Cette
capacité à la stabilité des prix au début de la décennie est d’autant
plus notable que les stocks mondiaux ont eu tendance à diminuer sauf
dans les pays de l’OCDE, qui disposent notamment depuis le premier choc
pétrolier d’un mécanisme de stocks stratégiques.
Evolution des stocks pétroliers entre 2001 et 2012
Source : Cité par Mme Céline Antonin, Pétrole vers un troisième choc pétrolier ? Perspectives économiques de l’OFCE 2012-2013
2.
Plusieurs événements géopolitiques majeurs, aisément surmontés, dans
la zone stratégique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord
Dans
un tel contexte du marché pétrolier en pleine croissance et de
réduction de stocks, une fois le plus fort de la crise de 2008 surmonté,
le niveau des prix aurait dû augmenter en raison des différents chocs
politiques intervenus en même temps que le printemps arabe. En avril
2011, au plus fort de l’instabilité en Libye, le prix du baril de Brent a ainsi connu un pic à 124 dollars le baril.
Comme le montre le graphique suivant, la production libyenne n’a ensuite pas durablement retrouvé niveau antérieur.
Production de la Libye depuis 2010
Dans la période, de manière générale, les chocs n’ont pas manqué.
Après
l’interruption totale des exportations libyennes quelques mois en
2011, le durcissement des sanctions contre l’Iran a conduit à un retrait
d’une quantité a peu près équivalente.
Les
exportations iraniennes de brut sont ainsi passées de plus de
2,2 millions de barils jour en 2011 à environ 1,2 actuellement.
Le
Nigéria, dont le delta du Niger assure les trois quarts de la
production, exporte environ 2,2 à 2,4 millions de barils jour et est
lui-même en proie à une forte instabilité.
La
situation n’a pas non plus cessé d’être tendue au Soudan, et la
sécession en juillet 2011 du Sud-Soudan, ne s’est pas accompagnée de
toute la stabilité souhaitée avec les conflits interne au nouvel Etat.
Comme le montre le graphique suivant les exportations n’ont que très faiblement repris.
Exportations de pétrole du Soudan et du Sud-Soudan
Enfin,
deux producteurs et exportateurs marginaux, mais néanmoins
significatifs en termes géopolitique, le Yémen à proximité du détroit de
Bab et Mandeb et la Syrie, voisin de l’Irak, ont eu aussi été
particulièrement affectés.
Les
quatre années de guerre civile en Syrie, les difficultés de la
stabilisation de l’Irak et très récemment l’expansion du prétendu Etat
islamique en Irak et au Levant, aussi appelé Daech, complètent la liste
de ces événements.
3. Un marché pétrolier alimenté de manière plus que marginale grâce au pétrole de schiste nord-américain
Deux facteurs principaux ont permis l’absorption des chocs géopolitiques du tournant des années 2010 sans difficulté majeure.
Le premier a été l’augmentation de la production conventionnelle en compensation des interruptions.
Dans
une étude publié dans les Perspectives économiques 2012-2013 de l’OFCE,
Mme Céline Antonin, cite ainsi une légère augmentation de la production
de l’OPEP, notamment de l’Arabie saoudite et de l’Irak entre mai et
novembre 2011, ainsi que de l’Angola. La Russie est également
mentionnée.
Le
second facteur, qui est devenu un élément majeur, est en fait la mise
sur le marché de pétrole non conventionnel essentiellement issu de la
roche mère et appelé communément huile ou pétrole de schiste.
En
tout état de cause, le graphique publié en juin dernier à partir des
données de l’Agence internationale de l’énergie sur le marché pétrolier à
moyen terme montre que la production conventionnelle a globalement
stagné depuis environ 2005 et que la croissance de la consommation ces
dernières années est intervenue grâce à la production non
conventionnelle américaine.
Rôle de la production d’huile de schiste américaine dans la production mondiale de pétrole
De
manière plus précise, la production non conventionnelle nord-américaine
estimée par l’Agence américaine d’information sur l’énergie à
3,5 millions de barils jour en 2014, comme on l’a vu.
Elle
est essentiellement le fait des Etats-Unis et marginalement du Canada.
En l’état, deux champs américains ont beaucoup produit : ceux d’Eagle Ford et de Bakken.
Production d’huile de schiste des principaux gisements américains et du Canada
Plus
précisément, la production de pétrole non conventionnel (pétrole de
réservoir compact ou pétrole de schiste) a décollé en 2008, à la suite
de la mise en œuvre
des techniques déployées à grande échelle pour l’exploitation du gaz de
schiste. L’accélération de la production pétrolière à partir de 2010 a
été favorisée par la hausse des prix du pétrole, notamment en poussant
les entreprises à favoriser les gisements riches en liquides au
détriment des gisements gaziers.
La
production de pétrole de réservoir compact qui représentait 1 million
de barils jour en 2010 a atteint 3 millions dans la deuxième moitié de
l’année 2013. Cette nouvelle production fait croître le volume produit à
terre, et a modifié la donne des Etats pétroliers aux Etats-Unis.
Le
marché pétrolier ne fonctionne correctement que s’il existe une
capacité de production inutilisée, de manière à absorber tout écart
imprévu et donc de court terme entre l’offre et la demande. S’il est en
tension, comme tout marché de matière stratégique, il est hautement
spéculatif et les prix s’emballent.
A
partir de 2010, la montée en puissance de la production d’huile de
schiste a permis de rétablir une capacité de production excédentaire au
niveau mondial, ce qui a assaini le marché. Avant que n’éclate la crise
financière, un tel écart entre production et consommation n’existait
plus et les spéculations sur un pétrole à 200 dollars le baril allaient
bon train.
C’est ce qu’illustre le graphique suivant.
Source : Natixis
c.
Un indicateur structurel intéressant : l’évolution, favorable, du
rapport entre la production américaine de pétrole et la consommation
chinoise
Le 3 décembre dernier, Natixis a publié dans la série Macro Research
les 15 graphiques essentiels à la compréhension des grandes évolutions
économiques pour 2015, parmi lesquels est particulièrement intéressant
celui qui retrace le rapport arithmétique entre la consommation
pétrolière chinoise et la production américaine. Ce rapport s’est
inversé sous l’effet de la production d’huile de schiste dès le début de
la décennie et la tendance est à sa diminution. C’est le lien direct
entre la capacité des deux principaux consommateurs de pétrole d’assurer
par eux même l’équilibre du marché dans le contexte où la consommation
de l’un croît très fortement.
Consommation de pétrole de la Chine et production américaine
Source : Natixis
C.
UN MARCHÉ GAZIER LUI AUSSI ASSEZ PEU TENDU, MALGRÉ LA FORTE
AUGMENTATION DE LA CONSOMMATION ET LES CONSÉQUENCES DE L’ACCIDENT DE
FUKUSHIMA, GRÂCE AU GAZ DE SCHISTE AMÉRICAIN
En
matière de gaz naturel, la production américaine de gaz de schiste a
profondément modifié les données économiques internationales.
En
effet, les Etats-Unis, et ce point sera développé plus tard, sont
passés en quelques années du statut d’importateur net à celui de grand
pays consommateur autosuffisant et potentiellement exportateur dans
quelques années.
S’en
est suivi un retrait du marché mondial du gaz naturel qui s’est fait au
détriment des grands exportateurs, notamment la Russie.
La
production américaine de gaz a augmenté de 26 % entre 2007 et 2013,
atteignant 679,9 milliards de mètres cubes, grâce à l’essor de la
production de gaz de schiste, qui a représenté 40 % de la production,
contre seulement 3 % en 2002. Selon les projections de l’Agence
américaine d’information sur l’énergie, la production augmenterait de
56 % entre 2012 et 2040, où la part du gaz de schiste atteindrait 53 %.
En
conséquence, les besoins en approvisionnement extérieurs ont diminué et
la courbe des importations américaines de gaz naturel fait ainsi
apparaître une baisse à partir de 2005.
Importations de gaz naturel par les Etats-Unis
Source : EIA
Cette inflexion est encore plus marquée pour les importations de GNL qui ont progressivement cessé.
Importations de GNL par les Etats-Unis
La
différence tient à la nature des contrats, les approvisionnements par
gazoduc à partir du Canada correspondant à des relations commerciales de
plus long terme et donc moins flexibles que celles de GNL.
Les
projets d’installations russes de GNL dans le Grand Nord sont devenus
sans objet. Le champ de Chtokman, en mer de Barents, qui représente 2 %
des réserves mondiales de gaz conventionnel et qui devait drainer
30 milliards de dollars d’investissements, est devenu moins stratégique
car il devait servir à approvisionner le marché américain.
La
principale conséquence a été de permettre sans difficulté majeure
l’absorption des conséquences de l’accident nucléaire de Fukushima, qui
ont conduit le Japon a produire son électricité à partir du gaz naturel
et non plus à partir du nucléaire du jour au lendemain.
C’est
en partie dû à la réorientation des exportations du Qatar, comme l’a
indiqué lors de son audition M. Edouard Sauvage, directeur de la
stratégie de GDF-Suez : « Originellement, ses exportations ont été
prévues en trois tiers : l’un vers les Etats-Unis, l’autre vers l’Asie,
notamment l’Inde, et le dernier vers l’Europe. Les plans initiaux ont
été revus. Ainsi les livraisons de GNL du Qatar à l’Europe se sont
ajoutées à celles venant d’Algérie et du Nigéria, mais c’est
principalement vers l’Asie, notamment l’Inde, la Chine, et le Japon, que
le pays s’est réorienté. Les autres fournisseurs de l’Asie sont
l’Australie ainsi que la Russie, avec les gisements de Sakhaline. Il y a
aussi le projet de gazoduc de la Sibérie vers l’Asie. »
En
définitive, la principale incidence a été de créer au sein du marché
gazier un compartiment spécifique à l’Asie, avec comme on l’a vu
précédemment, un niveau plus élevé de 50 % environ par rapport au prix
européen.
II. UN RETOUR DE LA PUISSANCE ÉCONOMIQUE AMÉRICAINE ET UN DÉMENTI AU PRONOSTIC, D’AILLEURS RÉCURRENT, SUR SON DÉCLIN
Les conséquences économiques de la mise en exploitation du gaz et de l’huile de schiste aux Etats-Unis ont été spectaculaires.
Elles
ont déjà été commentées, notamment par M. Frédéric Barbier, dans le
rapport n° 1919 (30 avril 2014) sur l’impact économique de
l’exploitation du gaz de schiste.
Elles sont surtout un démenti au pronostic récurrent sur le déclin américain.
De même que pour Internet
et l’économie numérique, les Etats-Unis ont montré avec les
hydrocarbures non conventionnels une réelle capacité d’innovation et ils
illustrent une nouvelle fois que la croissance économique n’est pas
quelque chose d’abstrait, mais un cycle économique fondé sur le
développement d’un secteur ou de produits correspondant à des besoins
réels, ceux d’une population suffisamment solvable pour y avoir accès.
Comme
le souligne M. Pierre-René Bauquis, l’exploitation des hydrocarbures
non conventionnels est aussi ancienne, voire plus ancienne que celles
des gisements conventionnels.
L’exploitation en a rapidement cessé pour des raisons non pas techniques, mais économiques.
La technique actuellement pratiquée aux Etats-Unis de la fracturation hydraulique n’est d’ailleurs pas propre au secteur.
Si
elle a été inventée en 1947 pour faciliter l’exploitation des gisements
conventionnels de pétrole, elle est appliquée sous le nom « plus doux »
de « stimulation hydraulique » à la géothermie profonde.
C’est
sous l’effet de programmes de recherche américains lancés dans la
perspective de palier l’épuisement des gisements conventionnels que la
fracturation hydraulique a été appliquée aux gisements de roche-mère.
Il
n’est pas nécessaire ici de revenir sur les aspects techniques
parfaitement traités dans le cadre du rapport n° 1587 (27 novembre 2013)
présenté au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et technologiques (OPECST), par MM. Christian Bataille,
député, et Jean-Claude Lenoir, sénateur, sur les techniques alternatives
à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des
hydrocarbures non conventionnels.
Il
est significatif d’observer que la technique est le fruit de plusieurs
programmes de recherche d’initiative publique dont les premiers ont été
lancés dans les années 1970, après le premier choc pétrolier et au début
de la décroissance de la production pétrolière américaine.
La chronologie en a été dressée et commentée dans un récent article du Breaktrough Institute de 2012, dont le premier auteur est M. Michael Schellenberger, intitulé Where the shale gas revolution comes from : government’s role in the development of hydraulic fracturing in shale.
Les grandes étapes ainsi recensées sont :
– le projet Eastern Gas Shale dans les années 1970, avec des démonstrations de forages en partenariat public privé ;
– des consortiums de recherche bénéficiant des subventions de la commission fédérale de régulation de l’énergie (Federal Energy Regulatory Committee ou FERC) ;
– les premières expériences de fracturation et de forages directionnels associant notamment ce qui deviendra le Department of Energy et le National Energy Technology Laboratory ;
– les aides fiscales au développement du secteur non conventionnel, qui ont été en vigueur de 1980 à 2002 ;
– le
versement de subventions publiques et le partage des coûts pour les
premières expériences réussies, en Virginie occidentale en 1986, et au
Texas en 1991, avec la forage du premier puits horizontal par la société
Mitchel sur le site de Barnett ;
– le développement de la technique de l’imagerie microsismique et de la télémétrie électromagnétique ;
– les débuts de la commercialisation du gaz de schiste par Mitchell Energy en 1998.
En 2001, 2 % du gaz américain était déjà d’origine non conventionnelle.
a.
Une production abondante notamment grâce à six gisements majeurs : les
Etats-Unis premiers producteurs mondial de gaz, voire de pétrole
La
croissance de la production pétrolière américaine a été très forte ces
dernières années et a même retrouvé les niveaux de production voisins
de ceux des années 1970, comme l’indique le graphique suivant :
Evolution de la production américaine de pétrole brut
Source : EIA
Les
Etats-Unis pourraient même être devenus le premier producteur mondial
de pétrole en 2014, mais il faut rester prudent dans l’attente des
statistiques annuelles mondiales.
La
croissance de ces dernières années résulte principalement de l’essor de
la production de pétrole non conventionnel (pétrole de réservoir
compact ou pétrole de schiste) qui a décollé en 2008, suite à la mise en
œuvre des
techniques déployées à grande échelle pour l’exploitation du gaz de
schiste. L’accélération de la production pétrolière à partir de 2010 a
été favorisée par la hausse des prix du pétrole, notamment en poussant
les entreprises à favoriser les gisements gaziers riches en liquides. La
production de pétrole de réservoir compact qui représentait 1 million
de barils jour en 2010 a atteint plus de 3 millions dans la deuxième
moitié de l’année 2013. Cette nouvelle production fait croître le volume
produit à terre, et a modifié la donne des Etats pétroliers aux
Etats-Unis. Le Dakota du Nord, avec la formation de Bakken, est devenu
un des principaux producteurs de pétrole de réservoir compact. Il est
désormais le deuxième Etat pétrolier des Etats-Unis après le Texas. Le
graphique suivant récapitule ces éléments.
Evolution de la production d’huile de schiste aux Etats-Unis
(en millions de barils jours)
Source : EIA
S’agissant
du gaz naturel, le phénomène est identique, si ce n’est que l’écart
entre le pic historique de production et le niveau d’avant
l’exploitation du gaz de schiste est moindre.
Evolution de la production de gaz naturel aux Etats-Unis
Source : EIA
La croissance de la production de gaz de schiste est encore plus spectaculaire.
Evolution de la production de gaz de schiste aux Etats-Unis
(en pied cubique – 35 pieds cubiques = 1 m3)
Source : EIA
Six
gisements majeurs contribuent donc à cette importante production, même
si 48 Etats sont concernés par le phénomène. La carte en est la
suivante :
Carte des six principaux gisements d’hydrocarbures de roche-mère aux Etats-Unis
Dans
une perspective de long terme, la puissance économique des Etats-Unis
qui s’est fondée sur l’exploitation d’un territoire particulièrement
bien doté en matières premières, renoue avec l’un de ses fondamentaux.
En
effet, comme l’indique le graphique suivant, après avoir décliné
pendant plusieurs décennies et être passée sous la production saoudienne
au début des années 1990 puis sous la production russe au début des
années 2000, la production pétrolière américaine est progressivement
revenue à parité avec elles à partir de 2008.
C’est ce qu’illustre le graphique suivant.
Evolution de la production des trois premiers producteurs de pétrole
Source : Centre des hydrocarbures non conventionnels
3.
Un impact essentiel non seulement sectoriel, mais aussi
macroéconomique : une véritable révolution économique que ne doit pas
occulter le dépassement probable de l’économie américaine par l’économie
chinoise en 2014
Grâce
à la forte croissance de la production, les Etats-Unis ont connu une
baisse spectaculaire des prix du gaz, qui ont atteint un niveau
particulièrement bas en 2012. Le prix Henry Hub est passé de 12 dollars
par million d’unité thermique britannique ($/MBtu) (soit 30 €/MWh
environ) fin 2008 à 1,9 $/MBtu (soit 4,75 €/MWh environ) en avril 2012,
pour s’établir en moyenne sur l’année à 2,75 $/MBtu (soit 7,3 €/MWh).
A
ce niveau, la rentabilité de la production gazière n’était d’ailleurs
plus assurée, ce qui a poussé les industriels à se tourner vers les
gisements gaziers riches en liquides de gaz naturel et les gisements
pétroliers.
Si
l’effort de production a diminué (notamment le nombre de forages), les
progrès techniques et la rentabilité accrue des activités de forage ont
permis que la production continue d’augmenter, malgré le faible niveau
des prix. Le cours a ensuite connu en 2013 une très forte progression à
hauteur de 34 %, qui corrige la baisse de 2012.
Le prix Henry Hub à 3,7 $/Mbtu (9,6 €/MWh) en 2013 s’est en fait ajusté à un niveau plus en ligne avec les coûts de production.
Le
graphique suivant permet de visualiser la modification de la
répartition des forages directionnels en fonction de la dominante
gazière ou pétrolière du puits, constatant ainsi la forte chute du
nombre des puits secs, sans pétrole.
Evolution du nombre de forages directionnel à dominante gazière et pétrolière
La révolution du gaz de schiste a accru l’avantage de compétitivité de l’industrie américaine.
Elle
a non seulement impliqué une baisse du prix du gaz, à la fois comme
combustible et comme matière première dans ses utilisations en chimie,
mais aussi celle de l’électricité, puisque la part de la production de
l’électricité provenant du gaz a presque doublé, passant en quelques
années de 16 %, en 2000, à 30 % en 2012.
Les deux courbes suivantes montrent que l’avantage compétitif des Etats-Unis s’est beaucoup creusé.
Pour
le gaz naturel, les Etats-Unis sont maintenant à un niveau de l’ordre
de la moitié de la moyenne de l’OCDE et du tiers de celui de l’Europe.
Source : Ministère de l’écologie du développement durable et de l’énergie
Pour
l’électricité, l’avantage comparatif est du même ordre, y compris
vis-à-vis de la France pourtant bien placée en Europe grâce à la
réussite du programme nucléaire, comme l’illustre le graphique suivant.
Source : Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Cet
effet est renforcé par le fait que le gaz naturel représente 48 % de
l’énergie directement consommée, soit sous forme gazeuse, soit sous
forme liquide.
Dans un article publié le 10 juin dernier par le New York Times, M. Vali R. Nasr, Doyen de la John Hopkins School of Advanced International Studies,
estime que l’unification des différents facteurs économiques dans le
cadre de la mondialisation implique que le coût de l’énergie va devenir
l’élément majeur de la compétitivité d’un pays.
Il
en résulte pour les Etats-Unis un facteur essentiel d’avantage
comparatif de long terme dans le commerce international, que l’on
constate déjà de manière sectorielle comme globale.
c. Des secteurs de la pétrochimie et du raffinage revigorés et faisant notamment concurrence au raffinage européen
Le
secteur américain du raffinage est très dynamique ces dernières années,
et particulièrement en 2013 et 2014 : le secteur a affiché des taux
d’activité record en juillet 2014, au plus haut depuis l’été 2005. La
profitabilité des raffineries américaines est nettement supérieure à
celle des raffineries européennes depuis 2011 (7 $/b de plus en moyenne
en 2013).
Le développement des ressources non conventionnelles a conduit le secteur à bénéficier d’un double avantage compétitif :
– un
approvisionnement énergétique à bas coût, qui réduit les frais fixes,
grâce au faible coût du gaz sur le marché américain : l’énergie
représente ainsi environ 30 % des coûts d’une raffinerie américaine
contre 40 % en Europe ;
– un approvisionnement en matière première dont le prix a baissé, avec un important rabais du WTI ainsi que des différents pétroles de réservoir compact et des prix du pétrole canadien indexé sur le WTI.
Le Brent, référence de prix du pétrole pour l’Europe, évolue à un niveau de prix sensiblement plus élevé que le WTI
depuis février 2011. L’écart de prix a été en moyenne de 9 dollars par
baril ($/b) entre 2011 et 2013. Il a atteint un pic de près de 28 $/b en
octobre 2011 et varié selon les périodes, avant de se réduire
progressivement en 2013, jusqu’à une parité ponctuelle le 19 juillet
2013. Depuis, les cours ont recommencé à diverger, maintenant un écart
de prix en 2014 compris entre 5 et 7 $/b. L’écart de prix pourrait
persister dans le futur tout en se réduisant. L’Agence américaine
d’information sur l’énergie anticipe un WTI inférieur de 2 $/b au Brent en 2020.
Si initialement seul le raffinage du Midwest
a pleinement bénéficié du brut américain bon marché, l’extension des
capacités de transport a permis à l’ensemble du raffinage américain d’en
profiter. C’est particulièrement remarquable sur la côte Est, qui a
connu une crise du raffinage ces dernières années sur le modèle de ce
qui a touché l’Europe, le parc destiné à raffiner du brut léger importé
souffrant des prix élevés du Brent. La reprise du raffinage sur la Côte
Est a comme conséquence une diminution du déficit en essence et donc une
diminution du débouché pour le raffinage européen, qui
traditionnellement exporte de l’essence vers la Côte Est.
Le
dynamisme du raffinage s’est traduit par une croissance des
exportations de produits. Les Etats-Unis sont devenus exportateurs nets
de produits raffinés en 2011 et devraient le rester jusqu’en 2040.
Compte tenu de l’interdiction d’exporter du brut, la croissance des
exportations de produits, qui ne sont pas réglementées, représente le
meilleur débouché de la production pétrolière en hausse. A la recherche
de nouveaux marchés, le raffinage américain fait une concurrence
croissante au raffinage européen, qui a besoin de l’exportation pour
écouler ses produits légers, l’essence en particulier.
La
croissance de la production de liquides de gaz naturel offre aux
Etats-Unis un approvisionnement croissant en composants légers de type
éthane et propane :
– à destination de l’étranger : les Etats-Unis sont devenus exportateur net de propane en 2012 ;
– à
destination de leur secteur pétrochimique qui gagne en compétitivité,
notamment par rapport à la pétrochimie asiatique qui s’approvisionne en
naphta (produit à partir de brut importé). La pétrochimie américaine
tend ainsi à favoriser le développement des vapocraqueurs à l’éthane,
qui permettent de dégager davantage de marge, à la place des
vapocrapeurs de naphta.
Comme
l’a fait remarquer notamment Mme Cécile Maisonneuve, de l’IFRI, la
pétrochimie américaine est devenue plus compétitive que celle du
Moyen-Orient alors qu’elle se trouvait en position intermédiaire
auparavant.
Les
effets de l’attractivité américaine sur les investissements ont été
précisés dans la note de l’IFRI de Mme Sylvie Cornot-Gandolphe, Impact du développement des gaz de schiste aux États-Unis sur la pétrochimie européenne, d’octobre 2013 : « L’American
Chemistry Council (ACC) a réalisé une étude portant sur une centaine de
projets d’investissement recensés à fin mars 2013 dans la chimie
américaine (hors produits pharmaceutiques). Ces projets représentent un
investissement total de 72 milliards de dollars d’ici à 2020. Ils
augmenteraient le chiffre d’affaires de l’industrie chimique de 67
milliards de dollars (dollars 2012) en 2020 et créeraient 1,2 million
d’emplois pendant la période de construction. En 2020, les recettes
supplémentaires pour l’économie américaine s’élèveraient à 201 milliards
de dollars, les recettes fiscales atteignant 14 milliards de dollars.
L’ACC estime qu’avec ces investissements, les États-Unis vont devenir
exportateurs nets de produits chimiques, éliminant le déficit commercial
lié à l’importation croissante de produits pharmaceutiques. »
d.
L’inutile controverse sur l’ampleur du phénomène, puisqu’il touche
l’essentiel du territoire américain, à des degrés divers, et de son
économie
L’ampleur économique de la Révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis a été contesté par une étude de l’IDDRI, Unconventional wisdom : an economic analysis of US shale gas and implications for the EU réalisée par MM. Thomas Spencer et Oliver Sartor, ainsi que Mme Mathilde Mathieu.
Elle peut être ainsi résumée comme l’a fait M. Spencer lors de son audition : « L’impact
de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels sur la
compétitivité de l’économie a pu être mesuré par l’IDDRI. Il est limité
à quelques secteurs fortement utilisateurs de gaz naturel, soit comme
matière première (matières plastiques, pétrochimie et engrais), soit
comme combustible (engrais, chimie organique). Pour le reste, son impact
économique sectoriel est inférieur à celui des dépenses de santé à la
charge des entreprises américaines. Il n’y a donc pas de
réindustrialisation générale aux Etats-Unis sous l’effet du gaz de
schiste. Ce constat est partagé par le FMI. »
Notamment,
M. Spencer invoque la faible part du gaz dans les coûts d’exploitation
industriels, sauf pour un nombre limité de secteurs, comme l’indiquent
les graphiques suivants :
Source : IDDRI
Il
ajoute qu’à l’exception des quelques secteurs, il n’a pas été mis fin à
la dégradation de la balance commerciale américaine, ce qu’illustre le
graphique suivant :
Source : IDDRI
Les données présentées sont, en effet, incontestables.
En revanche, les rapporteurs n’en tirent pas les mêmes conclusions que les auteurs de l’étude.
D’une
part, l’effet macroéconomique global n’est pas mesuré, car il est très
difficile de le faire. Or, on constate que sur le plan géographique, les
Etats qui ont mis en exploitation le gaz et le pétrole de schiste
connaissent un boom économique, notamment le Texas et le Dakota du Nord.
Dans l’ensemble, tous les Etats américains sont impactés à des degrés
divers, puisque le gaz et le pétrole de schiste peuvent faire l’objet
d’une exploitation dans 48 Etats (le Vermont et l’Etat de New York ont
interdit la fracturation hydraulique). La carte suivante montre
l’ampleur géographique de la ressource à l’échelle des Etats-Unis.
D’autre
part, la compétitivité est un élément de long terme et les conclusions
de l’étude de l’IDDRI ne tiennent par définition pas compte des
investissements très importants en cours aux Etats-Unis, qui ont été
décidés et sont mentionnés par l’IFRI dans l’étude précitée.
Par ailleurs, l’effet du gaz de schiste sur la compétitivité industrielle américaine est très important.
Comme le relève M. Patrick Artus dans une étude de Natixis de la série Flash Economique- Recherche économique (26 septembre 2012), « le
gaz naturel est progressivement substitué au pétrole dans tous ses
usages possibles (électricité, industrie transport, habitation).
L’avantage
d’un prix du gaz à 7 dollars par Mbtu a été ainsi chiffré à
126 milliards de dollars pour l’industrie américaine, soit 14 % de la
masse salariale et 7 % de la valeur ajoutée.
Ce niveau de 7 dollars n’a maintenant plus lieu d’être avec un prix autour de 3 à 4 dollars le Mbtu.
En
février 2012, l’avantage avait été chiffré par le même auteur, en
termes de masse salariale comparable à 6 % vis-à-vis de la zone euro,
donnée citée par M. Jacques Percebois lors de son audition, et à 12 %
vis-à-vis du Japon.
L’effet
sur l’investissement productif, par rapport à la zone euro, et donc sur
le renouveau économique de long terme est lui aussi mesurable, comme le
montre le graphique suivant, publié en janvier 2013, par M. Patrick
Artus dans la même série d’études.
La
croissance de la production américaine d’huile de schiste se traduit
par une réduction de la dépendance aux importations des Etats-Unis.
Cette tendance a été amorcée dès 2005, mais s’est accélérée depuis, car
la production américaine augmente tandis que la consommation tend à
décliner. En 2005, la dépendance aux importations était de 60 %, elle
est tombée à 33 % en 2013. L’EIA prévoit, dans son scénario de
référence, que la baisse se poursuit pour atteindre 25 % en 2019, avant
de remonter à 32 % en 2040. Les importations nettes de pétrole brut ont
baissé de 10,6 % en 2013 et, à 7,6 millions de barils jours,
s’établissant à leur plus faible niveau depuis 1996.
En
plus de l’effet positif lié à la baisse des volumes de brut importés,
malgré un poids financier en hausse à cause de l’augmentation des cours
pétroliers internationaux depuis 2010, les Etats-Unis ont bénéficié du
dynamisme de leurs exportations de produits pétroliers permettant de
réduire le déficit lié à leur facture énergétique. Le graphique suivant
illustre ces éléments.
Part du déficit pétrolier dans le déficit de la balance commerciale
Source : EIA
De
même, le déficit de la balance commerciale lié au gaz naturel a
fortement diminué au cours des dernières années : les importations
correspondants ont diminué, passant de 26 milliards de dollars en 2008 à
4 milliards en 2013.
Les
flux commerciaux gaziers sont bien inférieurs, en termes de valeur
monétaire et de contenu énergétique, aux flux commerciaux pétroliers
décrits dans la partie précédente. Cependant, la valeur du flux
commercial gazier net a fortement diminué au cours des dernières années,
à la fois parce que le prix et le volume net des importations gazières
ont baissé pendant plusieurs années.
En
2012, la valeur des importations par gazoduc a atteint son plus bas
niveau depuis 1995. Les volumes d’importations par gazoduc ont baissé de
7 % en 2013 par rapport à 2012. Cependant, comme les prix du gaz ont
augmenté par rapport au point bas de 2012, la valeur des importations
nettes de gaz naturel par gazoduc a augmenté en 2013. Le prix total des
importations nettes de gaz naturel a diminué de 14 % en 2013 par rapport
à 2012
Evolution de la « balance commerciale gazière »
Source : EIA
Sans
que ceci soit encore précisément mesuré, il faut également tenir compte
de ce que l’amélioration de la compétitivité de l’industrie américaine a
amélioré la balance commerciale du pays par rapport à ce qu’elle aurait
été.
Dans l’édition du 9 juillet 2013 de la série Eco Focus,
le Crédit agricole a donné une estimation globale de l’amélioration de
la balance commerciale américaine que l’on constate sur le graphique
suivant :
Evolution de la balance commerciale américaine
f. Un effet, purement économique, de réduction de la production d’électricité d’origine nucléaire aux Etats-Unis
Les
Etats-Unis produisent une partie de leur électricité à partir de
centrales nucléaires : 19 % en 2013, contre 7 % pour l’hydraulique, 6 %
pour les autres renouvelables et 67 pour les combustibles fossiles,
comme on l’a vu.
Selon les éléments actualisés du DoE, 62 sites comprenant 100 réacteurs nucléaires et implantés dans 31 Etats. Ils sont exploités par 30 opérateurs.
Quatre réacteurs ont été fermés en 2013 et le mouvement se poursuit.
Ce n’est pas le résultat d’un choix, mais des données économiques.
Au
contraire, comme les autorités du DoE rencontrées lors du déplacement
aux Etats-Unis l’ont bien indiqué, le pays souhaite dans l’ensemble,
même si chaque Etat membre a ses propres orientations, recourir de
manière pragmatique à la diversification des sources d’énergie primaire,
dont le nucléaire et les renouvelables, qui relèvent de la même
catégorie des sources d’énergie dites décarbonées.
C’est
en fait pour des raisons économiques, car le faible prix du gaz de
schiste rend non rentable la production de certaines centrales
nucléaires, malgré un taux d’utilisation assez élevé, plus élevé qu’en
France notamment, comme l’a fait remarquer M. Jacques Besnainou.
Le
faible prix du gaz naturel reporte aussi l’ouverture de nouveaux
réacteurs, en dépit de l’intérêt que lui marque l’Administration Obama,
comme l’a rappelé le sous-secrétaire d’Etat à l’énergie nucléaire, le Dr
Peter B. Lyons.
Quatre réacteurs sont prévus pour entrer en service d’ici 2020. En 2012, la Commission de régulation du nucléaire a approuvé « la construction et la mise en service des réacteurs trois et quatre de Vogtle ». Il s’agit de deux unités de type AP 1000 de Toshiba.
g.
Un impact indirect sur le renforcement de l’utilisation du charbon
dans le reste du monde, notamment en Europe, et plus particulièrement en
Allemagne
Le faible prix du gaz de schiste fait que pour la production d’électricité, le charbon est évincé du marché américain.
Comme
l’indique le graphique suivant, c’est essentiellement à son détriment
que s’est fait le passage de 16 % en 2000 à 30 % en 2012 de la
production d’électricité.
Sources de la production d’électricité aux Etats-Unis
La
conséquence en est que le charbon américain, dont le prix est faible, a
tendance à être utilisé en Europe en remplacement du gaz, notamment en
Allemagne, mais aussi en remplacement du charbon européen, en Pologne en
particulier.
Le
prix de l’électricité produite à partir du gaz naturel est donc
inférieur aux Etats-Unis à celle produite à partir du charbon, mais
c’est le contraire en Europe.
Plus
précisément, la diminution de la consommation de charbon aux Etats-Unis
a entraîné une augmentation des exportations américaines de charbon
(passées de 81,7 millions de tonnes (Mt) en 2010 à 117,7 Mt en 2013),
notamment à destination de l’Europe (50,1 Mt en 2012 contre 31,7 Mt en
2008), où le prix du gaz est resté élevé et où le prix du quota
d’émission de CO2 a fortement baissé, renforçant la compétitivité du charbon.
Les
esprits sceptiques, voire les adversaires du gaz et de l’huile de
schiste en Europe au sens large, y compris en Russie, dénoncent le
caractère éphémère du gaz et du pétrole de schiste aux Etats-Unis.
Ils sont cependant démentis par l’état actuel de nos connaissances.
Leur
erreur est partiellement compréhensible, car, comme on l’a vu,
contrairement aux hydrocarbures conventionnels, le gaz et le pétrole de
schiste exigent de nombreux forages assez rapprochés car la portion de
couche géologique concernée accessible à partir d’un seul puits est
limité : la production dépend donc directement du nombre de puits ;
chaque puits a une durée de vie limitée.
Ce
n’est donc pas sur le rendement d’un puits qu’il faut se fonder, mais
sur l’ampleur de la couche géologique concernée pour apprécier la
durabilité de l’exploitation d’un gisement.
Sur
l’exploitation du gaz et de l’huile de schiste aux Etats-Unis, les
prévisions de l’Agence américaine d’information sur l’énergie et celle
de l’Agence internationale de l’énergie qui peuvent différer concluent
de manière convergente à la durabilité de la production de gaz comme de
pétrole de schiste.
Pour
sa part, l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA), estime
qu’en matière de gaz naturel, gaz de schiste et gaz de réservoir
compact, la production devrait croître de manière continue jusqu’en 2040
assurant ainsi une grande continuité de la production américaine. La
production augmenterait de 56 % entre 2012 et 2040.
Le graphique suivant illustre ces éléments.
Pour ce qui la concerne, dans son étude World Economic Outlook 2014,
l’Agence internationale de l’énergie a un diagnostic légèrement
différent, mais qui ne remet pas en cause la conclusion : la production
croîtrait de 681 milliards de mètres cubes en 2012 à 930 milliards au
milieu des années 2030, avant de connaître une légère décroissance
jusqu’en 2040.
S’agissant
du pétrole, de l’huile de schiste, les projections de l’EIA indiquent
que la production de pétrole de réservoir compact atteindrait un pic de
4,8 millions de barils jours en 2021 (scénario de référence) et la
production de liquides pétroliers, qui est actuellement de 10 millions
de barils jour connaîtrait son pic en 2019 à 14,6 millions.
Cependant,
il n’y aurait pas de décroissance forte par la suite. En effet,
celle-ci se ferait au contraire selon une pente douce.
Estimations de la production pétrolière américaine
Pour
sa part, l’Agence internationale de l’énergie estime que la production
d’huile de schiste aux Etats-Unis est essentiellement une question de
prix, compte tenu la nécessité d’amortir sur un plus grand nombre de
puits le cas des forages infructueux dont le nombre s’accroît au fur et à
mesure que le gisement se rapproche de l’épuisement.
Elle retient donc elle-aussi l’hypothèse d’un pic dans les années 2020 avec ensuite une lente décroissance.
Pour
le gaz naturel, l’actuelle production assure l’autosuffisance et compte
tenu de l’isolement du marché, dans des conditions de prix très peu
élevées, comme on l’a vu.
Cette autosuffisance est d’ailleurs en partie sous-estimée, car comme l’ont confirmé les entretiens au DoE notamment,
l’insuffisance actuelle des infrastructures de gaz conduit à brûler les
excédents de gaz naturel dans des torchères, au Dakota du Nord.
En
l’état, les prévisions sont celles d’une exportation nette de gaz
naturel américain, au milieu de la décennie, et d’une capacité
d’exportation ensuite croissante, comme l’indique le graphique suivant.
Capacités d’exportation de gaz naturel par les Etats-Unis
Source : Department of Energy
La
durée de certains contrats et l’intégration très étroite des marchés
des trois pays d’Amérique du Nord, le Canada, les Etats-Unis et le
Mexique, fait que pour des raisons purement commerciales, et non pas de
dépendance extérieure, les Etats-Unis continueront à importer du gaz du
Canada, notamment pour pouvoir en exporter davantage par gazoduc au
Mexique.
Il
y aura une capacité nette croissante des exportations des Etats-Unis,
mais hors du continent nord-américain, sous forme de GNL.
Le graphique suivant permet de visualiser ce phénomène et les quantités concernées.
Origine et mode de transport des échanges extérieurs de gaz naturel par les Etats-Unis
Source : Department of Energy
Pour
cette exportation sous forme de GNL, les opérations matérielles ne
pourront débuter qu’une fois les actuels projets de terminaux
d’exportation seront achevés.
A
ce jour, seuls six projets ont reçu l’autorisation d’exporter vers des
pays n’ayant pas d’accord de libre-échange avec les Etats-Unis sur un
total de vingt-neuf demandes. Ces six projets représentent cependant une
capacité d’exportation de près de 70 millions de tonnes par an ce qu’il
faut mettre en parallèle d’un volume de 237 millions échangées en 2013.
Ce
sont des projets lourds d’inversion de terminaux de GNL pour les
transformer en terminaux d’exportation, de gazéification, sont en cours.
b. Une réduction de la dépendance extérieure en pétrole brut, avec en perspective une très large autonomie
Pour
ce qui concerne le pétrole, les estimations de l’EIA sont celles d’une
forte réduction de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, sans
atteindre cependant l’autosuffisance.
Le niveau de dépendance a déjà été très fortement réduit passant de 60 % au début des années 2000 à 30/33 % actuellement.
En
l’état, le niveau se réduirait autour de 25 % au cours des années 2020
et recroîtrait par la suite pour rester en dessous d’un tiers en 2040.
Evolution des importations de pétrole brut par les Etats-Unis
Cette
large autonomie implique compte tenu de l’importance de la production
du Canada et aussi du Mexique que l’Amérique du Nord serait, dans son
ensemble, autosuffisante en pétrole.
c.
Le maintien d’un courant d’importation en raison non seulement de
l’inertie des contrats, mais aussi des contraintes techniques du
raffinage
Tous les pétroles n’ont pas les mêmes caractéristiques.
Comme l’indique le graphique suivant, la densité et la teneur en soufre les distingue, pour l’essentiel.
Classification des différentes qualités de pétrole par gisements d’origine
Ces
différences dans les qualités de pétrole empêchent de réaliser sans
procéder à de lourds investissements, une substitution rapide de l’huile
de schiste au pétrole plus lourd, celui du Proche-Orient notamment.
C’est
pourquoi les Etats-Unis vont quand même garder au moins pendant un
certain temps des relations commerciales avec les pays de la région,
comme l’ont confirmé non seulement Mme Cécile Maisonneuve, de l’IFRI,
mais également aux Etat-Unis les interlocuteurs du DoE et de la US Chamber of Commerce.
En 2013 ainsi, comme le rappelle le BP Statistical Review 2014, les
Etats-Unis ont importé 2 millions de barils jour du Moyen-Orient en
2013, contre 0,9 du Mexique, 3,12 du Canada et 1,7 de l’Amérique du Sud.
Les
Etats-Unis sont devenus exportateurs de produits pétroliers raffinés
grâce à la compétitivité renouvelée du secteur du raffinage.
Les projections de l’Agence d’information concluent à un excédent légèrement croissant, à long terme, jusqu’en 2040.
Echanges extérieurs des Etats-Unis en produits raffinés
Le
développement du gaz de schiste et du pétrole de schiste aux Etats-Unis
a été non pas le fait des grandes entreprises pétrolières, des Majors, mais au contraire, des petites entreprises du secteur.
C’est
donc le fruit de la présence unique au monde d’environ un millier de
petites entreprises du secteur des hydrocarbures, avec un savoir-faire
particulier, mais aussi d’un secteur financier qui a suivi.
Par
ailleurs, la maîtrise des technologies nécessaires à l’exploitation du
gaz et du pétrole de schiste (forages horizontaux et fracturation
hydraulique) s’est accrue ce qui a entraîné des coûts de moins en moins
élevés, au fur et à mesure du développement des techniques.
Un
deuxième facteur de réussite a été la bonne desserte du territoire
américain en infrastructure de transport. Il est l’un des plus
développés au monde. Il est toutefois insuffisant à certains égards.
Ainsi, pendant la période de froid très intense l’hiver dernier, on a vu
le prix du gaz atteindre le niveau record de 80 dollars le Mbtu à
Boston, soit 40 fois le niveau normal, en raison de l’insuffisante
capacité des gazoducs desservant le Nord Est et la Nouvelle-Angleterre,
laquelle a créé un goulet d’étranglement.
De même, comme cela a été plusieurs fois indiqué pendant le déplacement à Washington, notamment lors des entretiens au DoE, le Dakota du Nord connaît une production excédentaire de gaz de schiste et les surplus sont brûlés dans des torchères.
Enfin,
trois autres facteurs ont été essentiels, notamment le dernier qui fait
l’objet d’un développement séparé : l’ampleur du territoire américain,
et la faible densité de la population, ce qui a réduit les réticences
environnementales ; l’abondance de l’eau, qui permet le recours à la
fracturation hydraulique sans difficulté, alors que tel ne serait pas le
cas dans les pays au climat plus sec ; le régime de la propriété du
sous-sol, qui suit celle du sol aux Etats-Unis.
Lors
de l’entretien avec l’ancien sénateur M. Pete Domenici, la première
question relative aux possibilités d’exploitation des hydrocarbures a
été : quel est, dans les autres pays, le régime de la propriété du
sous-sol ?
Le droit civil américain prévoit en effet que la propriété du sous-sol suit celle du sol, ce qui est unique dans le monde.
Cette
spécificité est l’un des facteurs clefs de la réussite américaine, car
les populations des territoires prospectés puis mis en exploitation ont
été très directement associées à la réussite économique d’ensemble.
Dans
les autres pays, l’Etat est propriétaire du sous-sol et c’est le droit
minier qui fixe les conditions et modalités d’une indemnité versée au
propriétaire du sol.
III.
DEUX ÉLÉMENTS ESSENTIELS POUR UNE RÉVOLUTION MAJEURE DANS LES ÉCHANGES
MONDIAUX D’ÉNERGIE : LA PRODUCTION D’HYDROCARBURES HORS DES ZONES
TRADITIONNELLES ; L’UNION EUROPÉENNE ET LES GRANDS ÉMERGENTS D’ASIE,
SEULS IMPORTATEURS NETS À LONG TERME
A.
DES PERSPECTIVES, NOUVELLES, DE PRODUCTION D’HYDROCARBURES DANS DE
NOMBREUX PAYS HORS DES ZONES D’EXTRACTION TRADITIONNELLES
1.
Une nouvelle géographie des gisements et des perspectives de
production très différentes de celle des gisements conventionnels
Les hydrocarbures non conventionnels ne sont pas répartis sur la terre comme le sont les gisements conventionnels.
Les
roches mères sont en effet réparties de manière bien plus homogène que
les gisements conventionnels sur l’ensemble des continents.
C’est ce que montre clairement la carte des gisements éventuels, établie par l’Agence américaine d’information sur l’énergie, l’EIA, et actualisée en 2013.
Carte des gisements possibles de gaz et de pétrole de roche mère dans le monde
Cette
carte montre l’ampleur géographique des territoires concernés : les
deux parties du continent américain, l’Afrique du Nord et l’Afrique du
Sud, l’Europe, notamment la France et l’isthme de la Mer noire à la
Baltique, la Sibérie, la Chine, l’Asie du Sud Est et l’Inde, mais dans
une moindre mesure, et l’Australie.
C’est potentiellement un bouleversement majeur de l’économie du pétrole et du gaz, avec trois cas de figure :
– l’opportunité
pour les pays sans ressources ou bien dont les ressources
conventionnelles sont épuisées ou en voie de l’être, de s’affranchir,
partiellement ou en totalité, de la contrainte énergétique. C’est
particulièrement le cas de l’Europe, de la Chine, mais aussi de
l’Argentine ;
– la
faculté pour les pays déjà producteurs de renforcer ou de diversifier
leur production, comme c’est le cas pour les Etats-Unis et le Canada ;
– la
certitude pour des grands exportateurs actuels, dont la Russie,
l’Algérie ou l’Australie, de la pérennité de la ressource en
hydrocarbures.
On
observe également que la zone pétrolière historique du Moyen-Orient et
du bassin caspien n’est pas spécialement favorisée, ce qui explique la
réouverture de la géopolitique de l’énergie par le gaz et le pétrole non
conventionnels.
b.
Les quantités estimées : une concentration des ressources dans les
grandes puissances, les Etats-Unis, mais aussi la Chine et la Russie
L’Agence
américaine d’information sur l’énergie a procédé aux estimations des
quantités exploitables de gaz et de pétrole de roche mère.
Ces
évaluations doivent naturellement être prises en compte avec leurs
limites, car seuls des forages permettent de vérifier la réalité de la
ressource et de la possibilité de l’exploiter. Néanmoins, elles sont
établies sur la base des données géologiques connues, et sont révisées.
En
matière de pétrole, les réserves mondiales sont estimées en l’état à
345 milliards de barils, et les dix premiers pays qui les détiennent
seraient la Russie (75 milliards), les Etats-Unis, 58 milliards, dont 10
déjà extraits, soit 48 milliards de barils encore extractibles, puis la
Chine (32 milliards) et l’Argentine (27 milliards).
Le tableau suivant récapitule ces éléments.
Les dix pays ayant les plus grandes ressources en huile de schiste
(en milliards de barils)
1
|
Russie
|
75
|
2
|
Etats-Unis
|
58 (48)
|
3
|
Chine
|
32
|
4
|
Argentine
|
27
|
5
|
Libye
|
26
|
6
|
Australie
|
18
|
7
|
Venezuela
|
13
|
8
|
Mexique
|
13
|
9
|
Pakistan
|
9
|
10
|
Canada
|
9
|
Total
|
Total mondial
|
345
|
Source : EIA
En matière de gaz, les ressources les plus importantes seraient a priori
en Chine à raison de 31.600 milliards de mètres cubes, puis en
Argentine, à raison de 22.710 milliards et, ensuite, en Algérie, à
raison de 20.020 milliards, les Etats-Unis ne se trouvant plus qu’en
quatrième position.
Les dix pays ayant les plus grandes ressources en gaz de schiste
(en milliards de mètres cubes)
1
|
Chine
|
31.573
|
2
|
Argentine
|
22.710
|
3
|
Algérie
|
20.020
|
4
|
Etats-Unis
|
18831 (32876)
|
5
|
Canada
|
16.226
|
6
|
Mexique
|
15.433
|
7
|
Australie
|
12.374
|
8
|
Afr. du Sud
|
11.044
|
9
|
Russie
|
8.070
|
10
|
Brésil
|
6.938
|
Total
|
Total mondial
|
206.686 (220.731)
|
Source : d’après l’EIA (conversion des pieds cubiques et mètres cubes)
L’Argentine est un Etat producteur de pétrole et de gaz naturel, mais sa production conventionnelle décline.
Selon
l’Agence américaine d’information sur l’énergie, sa production de brut a
culminé à 916.000 barils jour en 1996 et a été de 707.000 en 2013.
La
production de gaz naturel a pour sa part connu son maximum en 2006 avec
46 milliards de mètres cubes, et elle est maintenant de 35 milliards de
mètres cubes. Les réserves conventionnelles prouvées ont diminué par
deux dans la même période, ne représentant que 3.390 milliards de mètres
cubes fin 2013.
Le pays est importateur net de pétrole et de gaz et souhaite mettre fin à cette situation.
Comme
l’a confirmé lors de son audition S. E. Mme Maria del Carmen Squeff,
ambassadeur de la République d’Argentine en France, le pays est dans une
phase d’exploration et ne s’attend pas à produire en quantité notable
avant plusieurs années en raison de l’importance des investissements à
effectuer, non seulement pour la production, mais aussi pour les
transports des hydrocarbures qui seront extraits.
Ceux-ci sont d’ailleurs difficiles à obtenir, la situation du pays sur la scène internationale étant délicate.
L’Argentine reste considérée comme un pays à risque en raison de l’expropriation de la compagnie RepSol en 2012 : celle-ci a en effet perdu ses parts (51 %) dans la compagnie nationale YPF,
sans dédommagement, le gouvernement estimant qu’elle n’investissait pas
suffisamment. Néanmoins, soucieux de réduire sa dépendance énergétique
le gouvernement argentin souhaite en parallèle accueillir des
investisseurs étrangers pour exploiter ses réserves de pétrole et gaz de
schiste.
De
plus, la loi argentine rend les coûts d’exploitation élevés, notamment
du fait des restrictions sur les importations d’équipements, et des
montants minimums d’investissement imposés aux sociétés privées.
Conscient de sa mauvaise image à l’international et de l’importance
d’attirer des investisseurs sur ses terres, le gouvernement argentin est
donc en train de flexibiliser sa législation.
L’Argentine possède des ressources d’hydrocarbures non conventionnels considérables. Selon l’EIA,
elle pourrait détenir le plus gros potentiel après l’Amérique du Nord.
Les premières estimations offrent de réelles perspectives pour le pays
puisque 8.700 milliards de mètres cubes de gaz de schiste et
16,2 milliards de barils de pétrole de schiste sont avancés pour le seul
bassin de Neuquèn, l’un des 4 bassins clefs du pays, d’une surface de
30.000 kilomètres carrés. Parmi les gisements contenant du gaz de
schiste et du pétrole, le plus prometteur est celui de Vaca Muerte (bassin de Neuquèn) pour lequel l’entreprise Chevron a beaucoup investi. Total est également présent sur ce bassin.
Comme on l’a vu, la production d’huile de schiste a déjà commencé en Argentine, mais pour des quantités modestes.
La
consommation de gaz naturel de la Chine est amenée à croître
significativement au cours des prochaines années sous les effets
conjugués de la croissance économique et des plans de protection de
l’environnement visant à diminuer l’usage du charbon.
Le
manque de gaz conventionnel sur le territoire chinois incite donc le
gouvernement à promouvoir le développement du gaz de schiste et des
autres hydrocarbures non conventionnels. Le plan de développement pour
la période 2011-2015 a d’abord fixé pour les gaz de schistes des
objectifs : 6,5 milliards de mètres cubes produits par an en 2015 et
entre 60 et 100 milliards en 2020.
L’objectif
pour 2015, qui reposait largement sur les projets des grands groupes
publics, semble cependant hors de portée, la production de gaz de
schiste ne dépassant pas 200 millions de mètres cube en 2013. Les
autorités chinoises ont ainsi divisé par deux leur objectif de
production de gaz de schiste à l’échéance de 2020, établi à 30 milliards
de mètres cubes.
En
effet, bien que le potentiel de la Chine dans le domaine des gaz de
schistes soit réel, leur développement reste sujet à des obstacles de
différente nature.
Il
y a d’abord les obstacles d’ordre géologique. Si l’Agence américaine
d’information sur l’énergie a donné une estimation de 31 200 milliards
de mètres cubes techniquement exploitables. Cependant, les résultats des
sondages réalisés dans plusieurs régions montrent que de nombreux
gisements correspondent à des formations géologiques plus profondes et
plus complexes qu’aux Etats-Unis. Le coût de leur exploitation serait
donc plus élevé, d’autant qu’en pratique, la rentabilité des projets
actuels est dépendante des subventions publiques.
Il
faut ensuite mentionner des obstacles d’ordre technique. A la
différence des Etats-Unis, où l’on a pourtant vu leurs limites, les
infrastructures de transport (gazoducs) sont encore insuffisamment
développées en Chine.
Enfin,
il faut mentionner les éléments d’ordre administratif. Comme pour
l’ensemble du secteur de l’énergie en Chine, les projets liés au gaz de
schiste sont difficiles d’accès pour les entreprises privées ou
étrangères. Ces dernières ont l’obligation de créer des coentreprises ou
d’opérer conjointement avec un partenaire chinois.
Le
plan pour le développement des gaz de schistes (2011-2015) améliore
toutefois l’environnement juridique de leur exploration et de leur
exploitation.
La
coopération internationale pourrait en tout état de cause faciliter
l’essor de la filière. Afin de la soutenir, le gouvernement chinois a
notamment décidé en novembre 2013 d’exempter de droits de douanes les
importations d'équipements destinés à la production de gaz de schiste.
Les grands groupes chinois ont par ailleurs conclu de nombreux
partenariats en Chine avec des entreprises étrangères, essentiellement
dans une logique de prospection pour l’instant. C’est en particulier le
cas de Sinopec avec Total, Exxon Mobil ou encore BP.
Ces partenariats ne sont cependant pas toujours couronnés de succès, en
raison notamment des procédures administratives et des oppositions
locales. Par ailleurs, les données concernant le sous-sol chinois,
conservées par le Ministère des territoires et des ressources, sont peu
accessibles.
L’une
des principales difficultés techniques auxquelles se heurte en l’état
la Chine est l’insuffisance des ressources hydriques.
Dans
l’ensemble, pour la Chine, le gaz et l’huile de schiste resteraient
donc des ressources d’appoint au regard des besoins. Comme on l’a vu, la
production de gaz de schiste a déjà commencé, mais pour des quantités
très modestes, en Chine.
Lors
de l’entretien qu’il a bien voulu accorder aux rapporteurs, S.E.
M. Zhai Jun, Ambassadeur de Chine en France, a confirmé le souhait de la
Chine de faire évoluer son bouquet énergétique en recourant à
l’innovation technologique et à la coopération internationale, en
s’appuyant notamment sur les renouvelables, dont elle est le premier
consommateur au monde. Vis-à-vis des hydrocarbures de schiste,
l’approche reste favorable et la Chine est bien le troisième pays à
s’être lancé dans l’exploitation du gaz après les Etats-Unis et le
Canada. L’objectif d’une extraction de 60 à 100 milliards de mètres
cubes par an bien été révisé à la baisse, avec une production qui
s’établirait plutôt à 30 milliards à l’horizon 2020. Pour le pétrole,
les réserves sont estimées à 150 milliards de tonnes, dont seulement 3 à
6 milliards récupérables. L’exploitation n’a pas encore commencé. Gaz
et pétrole de schiste sont donc des ressources d’avenir.
c. L’Australie : la pérennité de la production d’abord sur le gaz de houille, et ensuite sur le gaz de schiste
L’Australie
est un modeste producteur de pétrole, à raison de 446.000 barils jour
en 2013, ce qui ne couvre que 45 % de ses besoins, après un pic de
828.000 barils jour en 2001, selon l’Agence américaine d’information sur
l’énergie.
C’est
en revanche un producteur majeur de gaz naturel à raison de
60 milliards de mètres cubes en 2013, dont près de la moitié exportée
(26 milliards).
Le
Gouvernement australien estime que la production totale annuelle de
gaz, avec l’apport du gaz non conventionnel, sera en 2035 d’environ 212
milliards de mètres cubes, contre 43 en 2013. Cela devrait permettre à
l’Australie de devenir le premier exportateur mondial de GNL (gaz
naturel liquéfié) en 2018, devant le Qatar.
En l’état, les perspectives les plus prometteuses sont celles du gaz de houille en raison de son faible coût.
Selon
les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie, la production
de gaz de houille devrait atteindre 59,5 milliards de mètres cubes en
2020, soit 50 % de la production totale de gaz.
Cette
évolution devrait se poursuivre à l’horizon 2035 et le gaz de houille
devrait continuer à dominer le plus secteur des gaz non conventionnels.
Ce
n’est donc qu’à long terme mais sans aucune réticence, que le pays
envisage, ainsi que l’a indiqué S.E. M. Chris Barett, ambassadeur
d’Australie auprès de l’OCDE, l’exploitation du gaz de schiste. Celui-ci
en est actuellement à la phase exploratoire.
Le
rapport de l’Agence américaine d’information sur l’énergie de juin 2013
estime à 12 200 milliards de mètres cubes les ressources australiennes
de gaz de schiste techniquement récupérables, ce qui place le pays à la 7ème
position dans le classement mondial. Ses ressources en gaz de houille
sont évaluées à 5 750 milliards de mètres cubes, dont environ 935
seraient dès maintenant économiquement exploitables. En comparaison, les
ressources en gaz compact seraient relativement faibles, puisqu’elles
ne dépasseraient pas 566 milliards de mètres cubes. L’Australie ne
produit pas actuellement de gaz de réservoir compact et les perspectives
de développement semblent limitées.
Avec
des conditions géologiques et industrielles semblables à celles des
Etats-Unis et du Canada, l’Australie a le potentiel pour devenir l’un
des prochains pays exportateurs de gaz de schiste. Comme aux Etats-Unis,
l’exploration des bassins gaziers a été conduite par de petites
entreprises indépendantes et les Majors ne sont entrées que récemment sur ce marché, en prenant des participations dans ces entreprises indépendantes.
L’exploration
du gaz de schiste est encore récente en Australie puisque le premier
puits d’exploration du gaz de schiste a été foré début 2011, mais elle a
fortement augmenté ces dernières années.
Toutefois,
en raison de l’éloignement géographique des différents bassins gaziers
et du manque d’infrastructures, le développement du secteur se fera
probablement à un rythme plus modéré qu’aux Etats-Unis
Dans
un contexte de forte demande de gaz naturel liquéfié (GNL) dans le
bassin Asie-Pacifique, l’Australie affiche clairement sa volonté d’en
devenir l'un des plus grands exportateurs mondiaux et, comme on l’a vu,
de rivaliser avec le Qatar d’ici à la fin de la décennie.
Il
existe ainsi actuellement de nombreux projets d’unités de liquéfaction,
notamment à partir de gaz non conventionnel, et en particulier de gaz
de houille. Ils concernent tous le bassin de Gladstone (Queensland). Les
principaux sont : Gladstone LNG, Arrow project, Australia Pacific project et Queensland Curtis LNG.
Ils devraient, d’ici à la fin de la décennie, représenter une capacité
d’exportation estimée à environ 50 milliards de mètres cubes.
La
Russie est le premier exportateur et le second producteur de gaz au
monde, comme on l’a vu, de même que le deuxième producteur de pétrole.
L’arrivée
du non conventionnel ne lui était pas nécessaire, et une large partie
des réserves qui ont pu être exprimées à son égard, notamment de la part
de Gazprom, sont expliquées par la crainte qu’inspire un nouveau concurrent.
Certains
ont même émis, à l’occasion des divers entretiens, sans qu’aucune
preuve ne puisse être apportées, que les intérêts gaziers russes
n’étaient pas insensibles aux pourfendeurs du gaz de schiste à l’Ouest.
En
tout état de cause, le pays est très bien doté en matière
d’hydrocarbures non conventionnels, avec le bassin ouest sibérien qui
est très prometteur en termes de pétrole de schiste, le plus grand au
monde d’après l’Agence américaine d’information sur l’énergie, avec 75
milliards de barils.
La
production pétrolière russe, peu dynamique ces dernières années,
pourrait donc connaître un nouvel essor avec un nouveau « Bakou ». Le
ministre russe de l’énergie estime pour sa part que le pétrole de
schiste pourrait représenter 11 % de la production pétrolière russe
d’ici 2020, selon les éléments communiqués par le ministère de
l’écologie et du développement durable.
Plus précisément, la majorité des réserves se trouve dans le bassin de Bazhenov qui est souvent comparé au bassin américain de Bakken (Dakota Nord), mais ses réserves actuelles seraient 10 fois supérieures.
En
outre, la Russie possèderait par ailleurs 83.700 milliards de mètres
cubes de gaz non conventionnel (gaz de schiste y compris), soit plus du
double des réserves actuelles qui s’élèvent à 31,3 milliards de mètres
cubes.
Etant
donné que la production pétrolière russe tend à stagner, la stratégie
du pays vis-à-vis des hydrocarbures non conventionnels devrait porter
davantage sur le pétrole de schiste que sur le gaz de schiste. Une des
incertitudes porte sur le fait que le pays va avoir besoin des
technologies occidentales pour extraire ses hydrocarbures non
conventionnels, ce qui peut s’avérer compliqué notamment du fait des
sanctions européennes et américaines, prises en rétorsion avec
l’implication de la Russie dans la crise ukrainienne. Comme on l’a vu,
celles-ci visent justement l’accès à certaines technologies.
Plusieurs joint-ventures sont en cours dont une entre Gazprom et Shell et trois entre Rosneft et des entreprises étrangères (BP, ExxonMobil et Statoil). Ces joint-ventures permettent à la fois le transfert de technologie et les sources de financement.
Compte
tenu de ses réserves conventionnelles, les deuxièmes au monde, après
celles du Venezuela, et aisément extractibles, qui plus est, l’Arabie
saoudite a surpris lorsque le P-DG de la société nationale, l’Aramco,
a annoncé que celle-ci allait investir 7 milliards de dollars en plus
de 3 milliards déjà engagés, dans la recherche du gaz de schiste.
Les
réserves seraient estimées à 17.000 milliards de mètres cubes, soit
deux fois les actuelles réserves prouvées, selon le ministre du pétrole.
Cette
confirmation d’une intention d’exploiter ces réserves, déjà relevée par
M. Francis Perrin, montre la volonté du pays de rester dans la course
face à cette nouvelle frontière que représente le non conventionnel.
L’Algérie
est créditée par les études réalisées aux Etats-Unis d’être le
quatrième pays le mieux doté en gaz de schiste, et même le troisième si
l’on tient compte des quantités déjà extraites aux Etats-Unis.
Cette
ressource considérable a fait l’objet d’une grande attention de la part
du Gouvernement, qui a annoncé fin janvier que les forages pilotes
seraient « achevés à brève échéance » mais que l'exploitation proprement dite n'était « pas encore à l'ordre du jour ».
En
effet, le pays affronte la baisse des exportations de gaz conventionnel
en raison de l’épuisement progressif de la ressource. Le volume des
exportations a diminué de 25 % depuis son maximum de 2005.
La
démarche fait l’objet de contestations et de manifestations, d’ordre
politique davantage qu’environnemental, dans la région d’In Salah, où
ont lieu les forages.
La
production ne devrait démarrer qu’assez lentement, même si le recyclage
à 30 % de l’eau devrait aider à régler la question essentielle de
l’insuffisance de la ressource hydrique pour procéder à la fracturation
hydraulique en plein désert. Le président de la Sonatrach a en
effet indiqué lors de la conférence internationale sur l’industrie du
gaz, le 12 octobre dernier, que l’entreprise escomptait produire
10 milliards de mètres cubes de gaz de schiste en 2025, ce qui ne
représente qu’un cinquième des exportations actuelles vers l’Union
européenne.
g. Un délai de dix ans entre le début des forages exploratoires et les retombées industrielles de la production
L’expérience
américaine montre qu’entre le début de l’exploration en nombre de la
présence de gaz ou d’huile de schiste et les conséquences industrielles
de sa production, s’écoule environ un délai de dix ans.
3.
Les conséquences de l’absence dans les autres pays des conditions, de
succès, spécifiques aux Etats-Unis : un coût de production probablement
plus élevé
Toutes
les personnes entendues par les rapporteurs ont insisté sur le
caractère unique, « non réplicable » des conditions constatées aux
Etats-Unis pour l’exploration et la production de pétrole et de gaz de
roche mère.
L’impossibilité
de répliquer le modèle ne signifie pas pour autant que l’on ne puisse
pas produire, dès lors que la géologie et la technique le permettent.
La principale conséquence est que la production se fera vraisemblablement à un coût supérieur à ce qu’il en est aux Etats-Unis.
Cette
différence de coût donne aux Etats-Unis un avantage compétitif
appréciable, mais n’interdit nullement la production hors de leur
territoire, dès lors que les coûts de transports du GNL sont importants
et dès lors que la production nord-américaine ne peut en tout état de
cause par alimenter le reste du Monde pour la totalité de sa
consommation.
B.
LA PERSPECTIVE DE LONG TERME D’UN FACE-À-FACE TRÈS DIRECT DE L’EUROPE
ET DES GRANDS CONSOMMATEURS DE L’ASIE VIS-À-VIS DES GRANDS EXPORTATEURS
DE PÉTROLE ET DE GAZ AUX CAPACITÉS PARFOIS INCERTAINES
L’évolution
de la consommation énergétique dans les prochaines décennies conduit à
faire la distinction entre les pays de l’OCDE, où la consommation
d’énergie va stagner, augmentant de 3 % à l’horizon 2040, soit 1 % par
décennie, et celle des pays émergents, qui va au contraire croître.
De
manière plus précise, c’est essentiellement en Chine, en Inde, en
Afrique et en Asie du Sud Est, et aussi au Moyen-Orient, que la
consommation d’énergie va croître.
Le rôle moteur du reste du monde hormis la Chine et les pays de l’OCDE est illustré par le graphique suivant :
Evolution de la consommation mondiale d’énergie d’ici 2014
Source : World Energy Outlook 2014
De
manière plus précise, 62 % de la consommation supplémentaire d’énergie
serait due à Asie, hors Japon et Corée, 12 % à l’Afrique, 8 % à
l’Amérique latine, comme l’indique le graphique en marge de la carte
suivante.
Evolution de la demande totale d’énergie d’ici 2040
Source : World Energy Outlook 2014
Les
évaluations de l’Agence internationale de l’énergie font apparaître une
modification du mix énergétique mondial avec en particulier un
développement des renouvelables et du nucléaire, dans le cadre de la
promotion des énergies décarbonées, et du gaz naturel dans toutes les
régions, sauf en Europe.
Pour
le pétrole, le développement de sa consommation serait particulièrement
significatif au Moyen-Orient, sous l’effet de l’augmentation de la
consommation, à modes de consommation inchangés.
Dans
la perspective du futur accord climatique, ce devrait être ce dernier
qui devrait prioritairement être mis à l’écart en l’absence de
développement de modes de consommation différents, notamment de captage
et de séquestration du CO2.
Evolution des modes de production d’énergie d’ici 2040
Source : World Energy Outlook 2014
i. Le scénario de référence de l’Agence internationale de l’énergie
En
l’absence de changement par rapport aux tendances actuelles, la demande
pétrolière devrait passer de 90 millions de baril jours en 2013 à
103,9 millions de barils jours en 2040.
C’est le résultat d’une évolution de deux mouvements contraires :
– une
diminution de la demande dans les pays de l’OCDE, de l’ordre de
10 millions de baril jours, notamment avec le développement des
renouvelables sous l’effet des efforts déjà engagés de maîtrise des gaz à
effet de serre ;
– une
augmentation de l’ordre de 20 millions de barils jour de la
consommation des pays émergents, dont 11,4 pour la Chine et l’Inde, le
reste étant réparti entre le Moyen-Orient (3,7 millions de barils
jour), le reste de l’Asie (2,3) et l’Afrique (2,5).
Le graphique suivant récapitule ces éléments.
Evolution de la consommation de pétrole par zones géographique
Source : World Energy Outlook 2014
ii. L’impact éventuel, en définitive assez limité, d’un accord climatique
La consommation de pétrole serait impactée par l’accord sur le climat prévu pour 2015.
Dans
ce cas, elle diminuerait à partir de 2025 environ, progressivement pour
atteindre 65 millions de barils jour en 2040, comme le montrent la
courbe correspondant au scénario dit 450 établi par l’Agence
internationale de l’énergie. Comme on l’a déjà indiqué, le scénario
actuel, dit des nouvelles politiques, conduit lui à une consommation de
103,9 millions de barils jour en 2040. Il est déjà en diminution par
rapport aux 120 millions de barils jour antérieurement prévus par les
projections.
Le schéma suivant récapitule ces éléments.
Evolution de la consommation de pétrole selon les différents scénarios de l’AIE : ancien scénario (current) ; scénario anticipé (New Policies) ; accord climatique limitant à 450 ppm la concentration du CO2 (450 scenario)
Source : World Energy Outlook 2014
Pour
ce qui concerne le gaz naturel, les prévisions de l’Agence
internationale de l’énergie prévoient une augmentation de la
consommation dans chacun des trois scénarios retenus. La principale
différence tient dans le plafonnement autour de 4.000 milliards de
mètres cubes de la consommation mondiale, contre 3.500 milliards
actuellement, dans le scénario climatique le plus strict, contre 1.000 à
1.500 milliards de plus dans les autres scénarios, comme l’indique le
graphique suivant.
Evolution de la consommation de gaz naturel selon les différents scénarios de l’Agence internationale de l’énergie
L’évolution
de la demande montre que celle-ci augmenterait essentiellement en Chine
et au Moyen-Orient, et dans une moindre mesure en Inde en Afrique et en
Amérique latine, comme le montre le graphique suivant.
Evolution de la demande de gaz par zone géographique
Source : World Energy Outlook 2014
2.
Trois facteurs d’incertitude sur l’alimentation future du marché par
les grands exportateurs d’hydrocarbures : l’importance des
investissements nécessaires au maintien de capacités de production ; le
poids de la démographie ; les réformes nécessaires à leur mode de
consommation énergétique
Les
pays exportateurs de pétrole et de gaz ne peuvent durablement le rester
que si deux conditions sont remplies : les investissements y ont été
suffisants pour continuer à produire ; les besoins de la population
laissent un surplus lui-aussi suffisant.
Comme l’a indiqué lors de son audition M. Christophe-Alexandre Paillard : « un changement complet des politiques d’investissement des grandes compagnies internationales est intervenu.
« La
première conséquence en a été la limitation du volume des
investissements vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Les pays qui
recevaient auparavant d’importants investissements, l’Egypte, la Lybie,
l’Algérie, l’Irak et la Syrie, et même les pays du Golfe, ont subi un
net ralentissement. L’instabilité et le printemps arabe ont eu leur
rôle. L’Iran est sous embargo. Seul le Qatar, qui continue à investir,
fait exception.
« Même
l’Arabie Saoudite est réticente pour investir, en raison des
incertitudes sur la consommation future des hydrocarbures. Le site
Internet de l’OPEP montre que depuis deux décennies, les producteurs se
posent la question de la sécurité de l’offre compte tenu des
préoccupations des pays consommateurs en matière de diversification des
sources d’approvisionnement ou de développement des renouvelables. Le
message est que les investissements doivent avoir pour contrepartie une
demande certaine. C’est un peu le type discours que tiennent aussi les
Russes, même s’il est différent. L’Aramco en Arabie saoudite ou la KPC
au Koweït n’investissent donc pas suffisamment pour garantir un
approvisionnement des marchés dans les vingt ou trente années qui
viennent. Or, le secteur des hydrocarbures fonctionne sur des cycles
d’investissement très longs, d’au minimum 20 ans et qui s’étendent
aujourd’hui jusqu’à 30 ou 40 ans. Les montants sont en outre très
importants. Une décision d’investissement qui n’est pas prise maintenant
a donc des conséquences sur la production en 2035.
« L’ensemble de la région Afrique du Nord-Moyen Orient est en sous-investissement chronique depuis une dizaine d’années. »
La
question du niveau des investissements nécessaire au maintien des
capacités de production future fait d’ailleurs l’objet d’une grande
attention de la part de l’Agence internationale de l’énergie.
Son dernier rapport World Energy Outlook 2014
rehausse de 1.600 à 2.000 milliards de dollars son estimation du flux
d’investissements annuels indispensables sur les 25 prochaines années,
soit 50.000 milliards de dollars pour l’ensemble des secteurs de
l’énergie.
Pour
ce qui concerne l’extraction et le transport des combustibles fossiles,
ce sont 30.000 milliards de dollars qui sont estimés nécessaires au
maintien des capacités de production à un niveau adapté.
Le reste est destiné à la production d’électricité et notamment au développement des techniques bas-carbone.
Si
l’on ajoute les 500 milliards de dollars indispensables à
l’amélioration de l’intensité énergétique, l’on obtient la somme de
66.000 milliards de dollars.
Plus
de la moitié l’investissement de capacités est jugée nécessaire pour le
maintien de la production, notamment celles de pétrole (14 379
milliards de dollars) et de gaz naturel (11.172 milliards).
Plus des deux tiers de ces investissements concernent la zone hors OCDE, notamment la Chine, l’Afrique et l’Amérique latine.
Investissements nécessaires dans les secteurs énergétiques
Source : World Energy Outlook 2014
La
seconde question est plus délicate. Elle interfère avec la capacité des
Etats et des Gouvernements à orienter les actuelles subventions qui
favorisent une consommation d’énergie peu efficace vers de modes de vie
et de consommation énergétique qui le sont davantage.
Elle
est clairement liée aux objectifs climatiques. Il faut relever que les
pays du Golfe sont les principaux émetteurs de gaz carbonique par
habitant, loin devant les pays industrialisés.
3. Une concentration avérée des besoins d’importation d’hydrocarbures sur l’Asie, notamment la Chine et l’Inde, et l’Europe
a.
Les perspectives du marché global de l’énergie à l’horizon 2040 :
déficits européens et asiatiques ; excédents ou équilibres ailleurs
A
l’horizon 2040 et pour le prochaines décennies, les prévisions de
l’Agence internationale de l’énergie font apparaître un déficit en
pétrole et en gaz de l’Europe, des pays asiatiques membres de l’OCDE et
surtout de l’Asie émergente, Chine et Inde naturellement, mais des
autres pays d’Asie du Sud-Est aussi.
En
revanche, les autres grandes régions du monde, notamment les Amériques
et l’Afrique, et naturellement le Moyen-Orient, seraient excédentaires.
Les grands excédents en gaz et en pétrole seront au Moyen-Orient, en Russie et dans la zone caspienne.
Le tableau suivant donne en pourcentage le niveau d’excédent ou de déficit des différentes zones géographiques.
Evolution des échanges énergétiques par grande zone géographique
Source : World Energy Outlook 2014
On
constate que globalement les régions importatrices en gaz et en pétrole
vont se trouver face à face pour l’accès aux ressources des pays
exportateurs, notamment du Moyen-Orient et de Russie.
b.
Les échanges de pétrole : une forte pression de l’Asie émergente dont
les besoins excéderont arithmétiquement la capacité exportatrice du
Moyen-Orient
Pour
ce qui concerne plus précisément le pétrole, l’évolution par grande
région de la consommation fait apparaître la pression de l’Asie
notamment de la Chine puis de l’Inde, comme principal facteur de la
demande.
Evolution de la consommation pétrolière hors OCDE
Source : World Energy Outlook 2014
Cette
dynamique recèle une évolution géographique significative : il faut en
effet observer qu’arithmétiquement, les importations pétrolières
actuelles de l’Asie représentent les exportations du Moyen-Orient. A
l’avenir, tel ne sera plus le cas : cela implique ainsi que les
capacités exportatrices du reste du monde soient accrues ou que ses
besoins importations le soient tout autant. Le shéma suivant fait
apparaître qu’environ 5 à 6 millions de barils jours seront nécessaires
pour couvrir les besoins des émergents d’Asie.
Exportations de pétrole du Moyen-Orient vs importations d’Asie
Source : World Energy Outlook 2014
c. Une nouvelle géographie des échanges de gaz naturel : l’Europe et la Chine en face de la Russie et du Moyen-Orient
Le secteur du gaz naturel devrait être caractérisé par deux évolutions.
La
première est le maintien de la part des cinq premiers producteurs, ce
qui implique que les nouveaux acteurs attendus, notamment l’Australie et
le Mozambique en Afrique de l’Est, permettraient d’éviter une
aggravation de la concentration de l’offre, contrairement au pétrole.
C’est ce qu’indique le schéma suivant.
Les cinq premiers producteurs de gaz et de pétrole
Source : World Energy Outlook 2014
Néanmoins,
les très grands exportateurs de gaz naturel resteraient la Russie et le
Moyen-Orient, ainsi que les pays de la Caspienne, avec respectivement
en 2040 un total de 285 milliards de mètres cubes, de 208 et de 159.
Aussi importantes soient elles, les capacités de l’Australie et de
l’Afrique et de l’Amérique du Nord seraient inférieures. C’est ce
qu’indique le tableau suivant.
Exportation de gaz naturel à l’horizon 2050
Source : World Energy Outlook 2014
La
seconde évolution est l’augmentation considérable de la demande
chinoise et de la demande de l’Europe, qui resteraient les grands
importateurs, avec dès 2025, des importations de 386 milliards de mètres
cubes pour l’Union européenne, contre 304 en 2012, et de 171 milliards
pour la Chine, contre 40 actuellement. Le tableau suivant récapitule ces
éléments.
Importations de gaz naturel à l’horizon 2040
Source : World Energy Outlook 2014
Progressivement,
les échanges de gaz naturel devraient davantage passer par le GNL et
les méthaniers, plutôt que par les gazoducs, avec dès 2025 une
répartition à peu près égale des deux modes de transport.
Répartition des exportations par gazoduc et par GNL
Source : World Energy Outlook 2014
Ce
développement du GNL sera en principe de nature à faire émerger un
marché mondial avec sinon un prix unique, au moins une convergence des
prix des grands marchés d’importation : l’Asie et l’Europe.
L’offre
devrait en effet considérablement évoluer, avec l’apparition de trois
acteurs majeurs membres de l’OCDE : l’Australie, d’une part, qui devrait
représenter 20 % des exportations de GNL à l’horizon 2040 contre 10 %
actuellement ; l’Amérique du Nord, Etats-Unis et Canada, dont la part de
marché actuellement très réduite devrait s’élever à 14 % en 2040 ;
l’Afrique de l’Est, Mozambique et Tanzanie, dont les gisements très
prometteurs récemment mis au jour devraient permettre 12 % des
exportations de GNL à l’horizon 2040.
Principaux exportateurs de GNL en 2012 et en 2040
Source : World Energy Outlook 2014
Néanmoins,
la moitié des livraisons de gaz naturel devrait continuer à passer par
gazoduc, ce qui implique pour les principaux importateurs, l’Asie,
notamment la Chine, et l’Europe, de faire appel à la Russie et au Bassin
caspien, les nouvelles offres ne servant que d’appoint.
C’est ce que montrent les deux schémas suivants.
Pour
l’Europe, la Russie resterait le premier fournisseur de gaz, mais son
rôle pourrait être réduit par l’augmentation des importations du
Proche-Orient, ainsi que par l’arrivée du GNL nord-américain et le gaz
de la Caspienne.
Origine des importations de gaz naturel de l’Europe
Source : World Energy Outlook 2014
Pour
l’Asie, et notamment la Chine, les importations supplémentaires de gaz
naturel seraient essentiellement assurées par la Russie et le bassin
caspien, ainsi que par l’Australie.
Source : World Energy Outlook 2014
On
constate ainsi que le futur des échanges énergétiques va dessiner une
nouvelle géopolitique autour des besoins de l’Asie et notamment de la
Chine, et de l’Europe, et de la capacité du reste du Monde à assurer une
diversification permettant d’éviter le monopole des producteurs
traditionnels d’hydrocarbures : Russie, Moyen-Orient, pays de la
Caspienne.
TROISIÈME PARTIE : TROIS CONSÉQUENCES OU ENSEIGNEMENTS GÉOPOLITIQUES MAJEURS POUR LES PAYS EUROPEENS
Historiquement,
l’implication des Etats-Unis au Moyen-Orient a économiquement débuté
dans l’Entre-Deux-Guerres, avec le partage de la Région entre les
intérêts des Majors américaines et ceux des entreprises britanniques, Shell et l’Anglo-Persian, la future BP, alors détenue par l’Etat depuis 1914.
En
1919, l’Iran reste monopole anglais, l’Irak est partagée entre les
intérêts anglais, dominants, les intérêts français puisque les traités
de Paix ont attribué à la France les intérêts allemands d’avant 1914
dans la Turkish petroleum, et les intérêts américains. Les pays
de l’ancien Empire ottoman sont partiellement gelés en raison de
l’accord dit de la « Ligne rouge » qui interdit l’un des associés de la Turkish d’opérer sans les autres.
La
rive Sud du Golfe est ouverte à la concurrence entre les entreprises
pétrolières et la situation tourne à l’avantage des intérêts américains,
qui ne sont pas accompagnés, contrairement aux anglais qui exercent un
protectorat sur les petits pays de la rive Sud du Golfe, d’une
composante politique.
Les
intérêts anglais et américains parviennent à un modus vivendi au
Koweït, protectorat britannique hors de la Ligne rouge, où la Gulf Oil s’associe à l’Anglo-Persian
et y découvre en 1938 un gisement géant, celui de Burgan (300 mètres
d’épaisseur sur 80 kilomètres carrés), mais Bahreïn et l’Arabie saoudite
sont en revanche dévolus aux intérêts américains : le premier faute
d’avoir suscité l’intérêt des ingénieurs anglais ; la seconde par choix
politique.
Le sultan Ibn Séoud, préférant éviter les Anglais, octroie en effet à la Standard Oil of California, la Socal,
qui y a aussi mis le prix, en 1933, une concession de 60 ans. Les
gisements sont découverts à partir de 1938. La production ne débutera
qu’après-guerre.
Sur le plan politique, l’alliance est formalisée par l’accord dit du Quincy conclu le 14 février 1945 entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, sur le croiseur USS Quincy,
par le président Roosevelt, alors de retour de la Conférence de Yalta,
et le roi Ibn Séoud. Le volet politique de la protection de la sécurité
saoudienne par les Etats-Unis, est assorti d’une coopération des
compagnies américaines et des intérêts saoudiens. Est créée en 1948 l’Aramco (Arabian American Oil Company), contrôlée principalement par des compagnies américaines à raison de 30 % pour la Socal comme pour Texaco et pour Esso et 10 % pour Mobil.
C’est
ce que l’on appellera par la suite l’accord pétrole contre sécurité. La
stabilité de l’Arabie saoudite fait partie des intérêts vitaux des
Etats-Unis.
L’intérêt
pétrolier de la région est alors majeur avec un tiers des réserves
connues et surtout son sous-sol est considéré comme le plus prometteur.
C’est pour les Etats-Unis essentiel, car l’évolution de leur économie et
du mode de vie de leur population entraîne un bouleversement majeur.
Alors qu’ils représentent 70 % de la production mondiale de pétrole en
1945, ils passent très vite, en trois ans, de 1945 à 1948, du statut
d’exportateur net de pétrole (4,5 % de la production de 1945), à celui
d’importateur net. Le niveau de leurs importations ne va cesser de
croître pour atteindre 30 % de leurs besoins en 1970.
Conclu pour 60 ans, le pacte initial a été renouvelé en 2005 par le président George W. Bush.
Pendant
la Guerre froide, les Etats-Unis se substituent au Royaume-Uni, qui
n’en a plus les moyens et permet aux petits Etats du Golfe d’accéder à
l’indépendance au début des années 1970, comme puissance garante de la
sécurité régionale. Dès 1967 aussi, le Premier ministre britannique,
Harold Wilson, annonce ainsi l’évacuation des bases à l’Est de Suez.
Le
rôle stratégique de l’ensemble du Proche-Orient a été d’ailleurs pris
en compte dans les plans de défense américains dès 1947-1948.
Formellement,
le dispositif américain de sécurité, assuré en Europe de l’Ouest, par
le traité de l’Atlantique Nord à partir de 1949, est prolongé vers l’Est
avec l’adhésion de la Turquie à l’Alliance et à l’OTAN en 1952.
Au-delà, un dispositif spécifique, en association étroite avec le
Royaume-Uni, encore très présent à l’Est de Suez grâce aux protectorats
sur les monarchies du Golfe, est organisé dans le cadre du Pacte de
Bagdad, à partir de février 1955. Les signataires sont le Royaume-Uni,
la Turquie, l’Iran, le Pakistan, ainsi que l’Irak.
En
1956, après la crise de Suez, qui scelle le rapprochement entre
l’Egypte et l’URSS, le président des Etats-Unis définit la « doctrine
Eisenhower » : les Etats-Unis s’engagent à accorder une assistance
économique et militaire à tout pays du Moyen-Orient qui en fera la
demande en vue d’assurer et de protéger son intégrité territoriale et
son indépendance économique contre une agression armée ouverte de toute
nation contrôlée par le « communisme international ». Celle-ci est
appliquée au Liban en 1958.
Jusqu’à
la Révolution de 1979, l’Iran, dont le Shah a été rétabli après le coup
d’Etat contre Mossadegh en 1953, avec l’aide américaine (le rôle de la
CIA a été reconnu en 2013), est aussi une pièce maîtresse de l’influence
américaine.
Les
deux guerres du Golfe, celle de 1990-1991 pour rétablir la souveraineté
du Koweït, et celle de 2003, décidée contre l’avis de la France, puis
l’implication des Etats-Unis dans le pays jusqu’à maintenant confirment
le rôle des Etats-Unis comme garant d’une région difficile.
Les
importations américaines de pétrole provenant du Proche-Orient ne
représentent qu’une faible part de la consommation pétrolière
américaine.
En
volume, elles n’ont représenté en 2013 que 2 millions de barils jour,
ce qui est en retrait par rapport aux maximums tant de 1977, avec
2,4 millions de barils jour, que de 2001, avec 2,76 millions. C’est ce
qu’indique le graphique suivant.
Importations de pétrole provenant du Golfe arabo-persique
En
proportion de la consommation totale, c’est une part qui s’est
affaiblie puis la consommation des Etats-Unis a globalement augmenté sur
l’ensemble de la période, même si elle a diminué ces dernières années
pour s’établir à 18,5 millions de barils jour en 2013, comme l’illustre
le graphique suivant.
Consommation américaine de pétrole
C’est donc actuellement moins d’un baril de pétrole sur 9 consommés aux Etats-Unis qui provient du Golfe.
Sur
ce total d’ailleurs, les importations saoudiennes n’en représentent
l’essentiel, à raison de 1,3 millions de barils jour en 2013, au total,
brut et produits raffinés.
La
quantité est assez stable depuis le début de années 1990, légèrement
inférieure à 1,5 millions de barils jour, mais elle a connu encore une
forte décroissance en 2014.
Importations américaines de pétrole brut saoudien
Source : Centre des hydrocarbures non conventionnels.
La liste des 15 premiers fournisseurs de brut en 2013 établie par l’EIA
fait d’ailleurs apparaître seulement trois pays du Golfe : l’Arabie
saoudite, l’Irak pour 372.000 barils jour et le Koweït pour 316.000.
En
fait, l’essentiel des importations proviennent du Canada, qui est, loin
devant l’Arabie saoudite, le premier fournisseur des Etats-Unis, avec
2,5 millions de barils jour, ainsi que du Mexique (825.000) et du
Venezuela (753.000).
La
seule raison du maintien d’un courant d’importation provenant du
Proche-Orient est, comme on l’a vu, la différence de qualité des bruts.
Comme
l’ont rappelé certains interlocuteurs aux Etats-Unis, mais aussi en
France, les raffineurs américains ont beaucoup investi sur les
équipements requis par les bruts lourds, notamment ceux du Golfe du
Mexique.
Or,
l’huile de schiste est un pétrole léger. Ce n’est donc que
progressivement que la donne va pouvoir changer, notamment en fonction
du maintien ou non de l’interdiction d’importer du pétrole brut.
M. Pierre Sigonney a confirmé cet élément lors de son audition : « Pour
optimiser le fonctionnement de leurs raffineries, les américains ont en
outre besoin d’une part non négligeable de brut lourd, soit du brut
saoudien, soit du brut vénézuélien, soit du brut mexicain ou bien
brésilien. La plupart des bruts d’Amérique du Sud sont des bruts lourds,
de même que les bruts du Moyen-Orient, ou encore les bruts extra lourds
du Canada.
« En
revanche, les huiles de schistes sont des bruts légers. Ces derniers
peuvent certes être traités dans les raffineries américaines mais,
généralement, ils doivent être complétés par des bruts lourds.
« La
logique spontanée des raffineurs de la côte américaine est donc de
fonctionner avec une proportion assez importante de bruts lourds. Les
raffineurs américains sont en train de développer dans leurs raffineries
des unités de distillation supplémentaires pour traiter une proportion
plus importante de bruts légers, de manière à s’adapter à l’huile de
schiste. »
3. Plusieurs motifs d’ordre politique ou économique pour un maintien de la présence américaine au Moyen-Orient
Comme
l’a indiqué lors de son audition M. Justin Vaïsse, notamment, les
Etats-Unis ont un intérêt économique indirect dans la stabilité de la
région du Golfe.
C’est en effet la garantie de « l’approvisionnement
du marché mondial du pétrole, de manière que celui-ci ne s’oriente pas
vers des prix prohibitifs. La Guerre du Golfe en 1991 était motivée par
le pétrole d’Irak et du Koweït, non pour son exploitation par les
compagnies américaines, mais pour éviter la mainmise sur ces gisements
et leur retrait du fonctionnement normal du marché. L’intérêt premier
des Etats-Unis est que le système international fonctionne, que leurs
Alliés soient prospères et que le Japon qui est entièrement dépendant ne
se trouve pas dans une situation trop difficile en raison d’un prix
trop élevé des hydrocarbures. »
Au-delà
du souci de veiller à la stabilité de leurs Alliés, les Etats-Unis
eux-mêmes ne pourraient supporter les conséquences économiques d’une
déstabilisation ou même d’un incident tel que le minage du détroit
d’Ormuz, qui projetterait le prix du pétrole vers des sommets.
D’abord,
dans une économie mondialisée, le choc global serait tel que toutes les
économies seraient durement affectées, notamment les deux premières,
les Etats-Unis et la Chine.
Ensuite,
les marchés des produits énergétiques sont connectés et le marché du
pétrole est mondial. Une augmentation en flèche du prix mondial les
affecterait donc aussi sur le plan énergétique.
C’est donc un risque que les Etats-Unis ne peuvent se permettre de courir.
b.
Les motifs d’ordre politique : le rôle des Etats-Unis comme première
puissance mondiale ; la stabilité régionale ; la sécurité d’Israël ; la
lutte contre le terrorisme
Que
ce soit lors des entretiens aux Etats-Unis ou en France, le diagnostic a
été largement partagé : les Etats-Unis resteront impliqués au
Moyen-Orient.
Au-delà
du seul volet de la disparition des intérêts pétroliers, la question
méritait d’être posée en raison des trois éléments récents qui ont
changé la perception que l’on pouvait avoir du degré de l’engagement
politique américain dans la région : le désengagement en Irak, en
parallèle avec la fin de la mission de la FIAS en Afghanistan ; le refus
d’intervenir en Syrie ; plus généralement, le rééquilibrage ou pivot
vers le Pacifique de la puissance américaine.
Comme l’a relevé M. Hubert Védrine: « Disposant
de beaucoup de gaz de schiste et de pétrole de schiste bon marché, les
Etats-Unis ont moins besoin d’importer du pétrole du Moyen-Orient et de
la péninsule arabique. On se demande par conséquent si leur politique ne
va pas changer – ils disposent en outre avec le Canada et le Mexique, à
proximité, de sources d’approvisionnement qui renforcent ce
raisonnement–, et si le Moyen Orient ne va pas devenir secondaire dans
leur stratégie, d’autant que le président Obama a été élu pour mettre
fin aux impasses des guerres du président George W. Bush au Moyen
Orient. Les Etats-Unis se sont d’ailleurs clairement désengagés, comme
on l’a vu en Irak et en Afghanistan, et l’Administration poursuit cette
même ligne avec la résistance à tout nouvel engagement dans la région.
« L'interprétation
assez générale actuelle d’un repliement isolationniste des Etats-Unis
est cependant exagérée et même simpliste. »
D’abord,
et c’est un élément qui notamment été indiqué lors de son audition par
M. Justin Vaïsse, le rôle des Etats-Unis comme seule puissance capable
d’intervenir, seule ou avec ses alliés, notamment ses alliés occidentaux
de l’OTAN, fait que ceux-ci ne peuvent se désengager de la région : « Une
puissance est actuellement responsable de l’ordre mondial, les
Etats-Unis. Lorsque la communauté internationale doit intervenir, au
Moyen-Orient ou ailleurs, ce sont les Etats-Unis qui le font le plus
souvent, car ils ont la capacité et l’intérêt d’assurer la stabilité et
de jouer le rôle de « gendarme » du monde. Cet élément suffit à lui seul
pour les faire rester au Moyen-Orient. On le constate actuellement. Le
président Obama a voulu réduire « l’empreinte américaine » au
Moyen-Orient, mais il y est de nouveau attiré par les événements ».
Ce constat correspond à une volonté politique affirmée, qui a pu être constatée lors du déplacement à Washington.
Tel
a été notamment le cas au Congrès. M. Jerry McNerney, représentant de
la Californie (démocrate), spécialiste des questions énergétiques, a
estimé que ce serait une « erreur » pour les Etats-Unis de se désengager
du Proche-Orient, opinion largement partagée par ses collègues.
C’est un élément qui a été plusieurs fois rappelé lors des entretiens avec les Think Tanks à Washington, notamment par Mme Frances Burwell, vice –présidente et directrice des relations transatlantiques de l’Atlantic Coucil of the United States.
Au
Département d’Etat, M. Amos Hochstein notamment a qualifié de
« théorie » l’hypothèse de ce désengagement, exprimant clairement son
désaccord avec ses tenants.
Au
Département de la Défense enfin, il a été clairement répondu que les
moyens militaires destinés hors Irak et Afghanistan à la sécurité du
Golfe et du détroit d’Ormuz n’étaient pas affectés par les réductions
budgétaires.
Cette
responsabilité générale dont les Etats-Unis ne peuvent se défaire
s’ancre également sur plusieurs constantes de la politique étrangère
américaine.
Il
y a d’abord l’appui à Israël qui est depuis les années 1960/1970 un
appui presque « automatique », selon les termes de M. Hubert Védrine, et
dont les entretiens à Washington ont montré l’extrême importance.
Il y a aussi l’impératif de la stabilité de la région, qu’aucune autre puissance ne peut assurer.
L’intervention
en Libye a montré la capacité des Alliés occidentaux, le Royaume-Uni,
et la France à mener une opération militaire, mais ceux-ci n’ont pu le
faire qu’avec l’assentiment et une assistance matérielle de l’OTAN et
des Etats-Unis.
De
même, lorsque la question de l’élimination des armes chimiques de la
Syrie a été à l’ordre du jour, c’est entre la Russie et les Etats-Unis
que la question a été réglée.
Les
Etats-Unis ont enfin à gérer l’évolution de la relation avec l’Arabie
saoudite et la question iranienne, qui font l’objet de développements
séparés.
Il
y a enfin les relations avec l’autre grande puissance, la Chine,
laquelle est de plus en plus présente sur le continent, notamment mais
pas seulement, avec sa stratégie du « collier de perles », même s’il ne
faut pas en exagérer la portée, comme l’a souligné lors de son audition
Mme Valérie Niquet : « On a beaucoup commenté la stratégie du
« collier de perles », mais il faut la relativiser. La Chine a financé
dans l’Océan indien un grand nombre de ports, notamment Chittagong au
Bangladesh et Gwadar au Pakistan. Mais ce sont des ports commerciaux. La
marine de guerre chinoise a certes fait des progrès, mais elle n’est
pas à ce niveau de capacités. En outre, et tel est le cas au Pakistan,
ces ports sont dans des zones extrêmement difficiles à contrôler. De
même, l’idée d’une ligne commerciale transcontinentale à travers le
Xinjiang vers Gwadar a été abandonnée. En l’état et même à moyen terme,
cette stratégie du « collier de perles » n’a pas de conséquence très
importante. »
Leur
conception de la société internationale, fondée sur la liberté
commerciale, ne peut non plus conduire les Etats-Unis à abandonner la
sécurité du Moyen-Orient à la Chine, si celle-ci en était capable sur
les plans maritime et militaire, ce qui n’est pas le cas.
Le
mode de fonctionnement de la Chine dans ses relations internationales
est en effet encore considéré comme suffisamment incertain, comme le
montrent les tensions territoriales avec d’ailleurs un enjeu pétrolier
probable pour certains ilots ou archipels, pour ne pas prendre le risque
de laisser le champ libre.
Comme l’a indiqué Mme Valérie Niquet, «l’analyse
stratégique de la Chine est une analyse de rapports de force. C’est une
vision très réaliste des relations internationales, au-delà de
l’intégration économique. »
En outre, il est certain que la rivalité entre les deux grandes puissances ne peut conduire à un tel retrait unilatéral.
Les
Etats-Unis ont avec l’Arabie saoudite une relation devenue assez
compliquée, notamment après le 11 septembre, et après le printemps
arabe, en raison des divergences sur des sujets majeurs comme la Syrie.
La lutte contre Daech est en outre venue compliquer la donne.
L’attachement,
également, de la diplomatie américaine aux Droits de l’Homme, même si
le sujet n’a pas été évoqué lors de la visite du président Obama en mars
2013, et les pressions à l’ouverture sur un régime qui doit faire face à
une contestation interne joue aussi.
Néanmoins,
les Etats-Unis s’ils ont des incertitudes sur le long terme, devraient
chercher à apurer les difficultés, ayant intérêt à des relations
maintenues dans une région déjà suffisamment déstabilisée.
Le diagnostic a en effet très clairement été posé par M. Hubert Védrine lors de son audition : « Il
ne s’agit pas pour les américains de favoriser la fin de l’actuel
régime, comme cela a été parfois le cas pour d’autres pays (Irak), mais
d’ajuster leur politique et de revoir leurs priorités. C’est d’autant
probable que c’est en Arabie, par un détournement des dons dans le cadre
de circuits non officiels que personne ne contrôle vraiment, que
l’islamisme radical trouve une source de financement. Même prudents,
certains aux Etats-Unis ne sont pas sûrs non plus de la stabilité
saoudienne à long terme. Les Emirats sont aussi artificiels, mais la
population y est très peu nombreuse. A long terme, quelle que soit sa
richesse, la situation de l’ensemble de la péninsule est incertaine. »
En
arrière-plan de ces relations délicates, il y a les négociations
nucléaires avec l’Iran et la crainte non seulement de l’Arabie, mais
aussi des autres monarchies du Golfe, sur les conséquences pour elles de
la levée de ce qui est considéré comme un obstacle au rapprochement des
deux pays, et face au risque d’ingérence de l’Iran dans les autres pays
du Golfe, à commencer par Bahreïn.
De ce point de vue, l’association de fait des pays de la coalition internationale dans la lutte contre Daech,
essentiellement par les frappes aériennes, et l’Iran, impliqué dans les
actions au sol de l’armée irakienne et des milices chiites, fait
craindre une mainmise de l’Iran sur son voisin.
Il
y a aussi la question de la concurrence entre les producteurs
américains d’huile et de gaz de schiste et la production saoudienne,
comme en témoigne certaines interprétations du refus de l’Arabie de
jouer en novembre dernier son rôle de producteur d’appoint et de réduire
son quota de production dans le cadre de l’OPEP, même si le fait que
les deux Etats les plus fragilisés soient la Russie et l’Iran, en raison
de l’effet amplificateur de la baisse des prix sur les sanctions,
suggère d’autres motifs d’ordre géopolitique.
En
arrière-plan de la question régulièrement soulevée d’une relation
américano-saoudienne dont les termes seraient revisités, il a été
observé lors de la succession au trône, à la suite du décès du roi
Abdallah, que le choix du prince héritier qui succèdera au nouveau roi
Salman, était celui d’un homme réputé comme un interlocuteur des
Etats-Unis.
Lors
de sa visite à Riyad le 5 mars dernier, le secrétaire d’Etat, M. John
Kerry, a souhaité rassurer ses alliés sur la vigilance américaine quant à
d’éventuelles actions déstabilisatrices de l’Iran et a confirmé la
disponibilité des Etats-Unis a apporté un parapluie nucléaire aux pays
du Golfe, c’est-à-dire à leur livrer un éventuel bouclier anti-missile.
4.
Une question encore en suspens malgré l’accord-cadre conclu le 2 avril
dernier et pleine de tensions entre le Président Obama et le Congrès :
une possibilité de première normalisation des relations avec l’Iran et,
dans l’affirmative, ses conséquences pour les relations avec les pays du
Golfe
L’Iran a été jusqu’à la chute du Shah en 1979 l’un des pivots régionaux sur lequel les Etats-Unis pouvaient s’appuyer.
L’éventualité
d’un accord nucléaire garantissant un usage uniquement civil du
nucléaire en éloignant suffisamment l’Iran, actuellement au « seuil
nucléaire » du point de fabrication de la bombe atomique, laissant aux
grandes puissances toute capacité de réaction en cas de violation de ses
engagements, a très tôt ouvert les spéculations sur un rapprochement,
historique, entre les Etats-Unis et l’Iran, grande puissance régionale
par son passé, sa population et ses richesses.
L’accord-cadre
conclu le 2 avril dernier doit être confirmé et déboucher avant le 30
juin prochain sur l’accord proprement dit, mais il permet déjà
d’envisager une modification des relations.
L’Iran est en l’état un « facteur permanent de maintien de l’engagement américain au Moyen-Orient. », selon l’expression de M. Hubert Védrine.
Le
processus engagé est incertain mais conduira en tout état de cause au
maintien d’une influence régionale américaine, même si la question est
très complexe : « Ce que le président Obama tente actuellement, avec
les négociations sur le nucléaire, est très incertain. Si c’est un
succès, ce sera un événement considérable qui fera de son second mandat
une réussite. Si tel n’est pas le cas, ce sera l’inverse. Il n’est pas
du tout évident que les négociations aboutissent. Il y a en Iran, en
Arabie saoudite, en Israël, aux Etats-Unis et ailleurs… des courants qui
jouent l’échec plutôt que la réussite. A l’opposé, beaucoup aux
Etats-Unis de ceux qui réfléchissent en termes de stratégie et de
puissance (ce qui au passage a disparu en Europe) voient dans l’Iran un
grand pays, que la société y est beaucoup plus moderne que dans la
péninsule arabique, et qu’un accord ouvrirait un relais stratégique très
importante. Une partie des think tanks américains estiment que l’Iran
c’est l’avenir. S’il n’aboutit pas maintenant sous la présidence Obama,
ce processus aboutira ultérieurement, dans les dix ans. (…) »
Même
dans l’hypothèse de la conclusion d’un accord à la fin du mois de juin
prochain, la relation avec les Etats-Unis n’en sera pas pour autant
réglée.
Il
faudrait en effet, pour que l’Iran cesse d’être une source de
préoccupation pour les Etats-Unis, que celui-ci mène une politique qui
ne heurte pas leurs conceptions ni leurs intérêts, ce qui est loin
d’être le cas.
La
convergence sur un intérêt objectif dans la lutte contre Daech a montré
que les deux pays peuvent s’entendre sur des éléments précis, mais
aucun cadre d’ensemble n’a été tracé pour la solution politique à la
crise syrienne, Téhéran continuant de soutenir Bachar el Assad.
En
outre, Israël est très réservé sur l’intérêt d’un accord avec l’Iran,
son actuel Gouvernement considérant que la question de l’enrichissement
est de fait réglée à l’avantage de l’Iran et qu’un accord ne viendrait
que valider cet état de fait.
Le
discours du Premier ministre, M. Benyamin Netanyahou devant le Congrès
le 3 mars dernier, illustre la stratégie déployée qui vise à s’appuyer
sur l’opposition entre le Congrès, ou plus exactement certains de ses
membres en escomptant qu’ils soient in fine majoritaires, et le président Obama.
Cette
tension a été levée à la suite d’un compromis conclu le 14 avril, qui
donne au Congrès un droit de regard sur le futur accord, mais il ne
règle pas la question des éventuelles divergences de fond.
La
levée des sanctions contre l’Iran aurait une dimension énergétique,
bien que l’objet des négociations soit uniquement politique, mais il est
clair que le niveau des investissements requis pour que le pays
retrouve une véritable capacité de production et d’exportation est tel
qu’il faudrait plusieurs années pour que le pays récupère sa position,
comme l’a notamment indiqué M. Hubert Védrine : « Un retour de l’Iran
sur le marché des hydrocarbures, qui ne pourrait intervenir qu’après un
certain délai en raison de l’importance des investissements
nécessaires, aurait des conséquences sur le marché mondial de l’énergie,
mais ce n’est pas l’énergie qui est à l’origine de la démarche du
Président Obama, ce sont des considérations stratégiques au sens
classique. »
C’est
d’ailleurs tout l’enjeu des négociations en cours au moment de la
rédaction du présent rapport, qui portent sur le rythme de levée des
sanctions, l’Iran demandant naturellement une levée immédiate. Dans
cette hypothèse, l’Agence américaine d’information sur l’énergie estime
que 600.000 barils jour pourraient revenir sur le marché d’ici la fin de
l’année 2016.
C’est donc sur le long terme que les réserves iraniennes de gaz et de pétrole joueraient en cas de normalisation iranienne.
B.
UNE CAPACITÉ D’INTERVENTION SUR LE MARCHÉ TRÈS POLITIQUE DU GAZ
NATUREL GRÂCE AUX EXPORTATIONS DE GAZ DE SCHISTE, AU BÉNÉFICE, LE CAS
ÉCHEANT, DU LIEN TRANSATLANTIQUE
a.
Une ressource suffisante pour des volumes de l’ordre de 90 à
100 milliards de mètres cube par an, dans le scénario le plus probable
Comme
on l’a vu, les Etats-Unis, qui sont déjà le premier producteur de gaz
mondial, ont déjà des excédents et disposent par conséquent d’une
capacité exportatrice.
Celle-ci
est estimée comme l’indique le graphique suivant, les projections
indiquent une capacité d’exportation brute de l’ordre de 5,4 milliards
de pieds cubiques par an, soit 150 milliards de mètres cubes au total,
compte tenu du maintien d’un flux d’importation provenant du Canada. De
ce total, il faut retirer ce qui serait exporté par gazoduc au Mexique
et au Canada, ce qui laisse une disponibilité pour le GNL d’environ 3
milliards de pieds cubiques.
Pour
sa part, M. Amos Hochstein a indiqué une capacité de 96 milliards de
mètres cubes, ce qui est cohérent avec ce résultat. Le graphique suivant
confirme ces éléments en montrant notamment le détail des importations
et exportations américaines prévues, compte-tenu, notamment, de
l’étroitesse des liens commerciaux et des flux croisés entre les
Etats-Unis, le Canada et le Mexique.
Exportations américaines de gaz naturel
Source : EIA
L’exportation
de telles quantités de GNL ferait en l’état, des Etats-Unis le
quatrième exportateur mondial, avec ce seul GNL, à raison actuellement
de 103 milliards pour la Norvège et de 121 milliards pour le Qatar,
après la Russie.
Selon
d’autres estimations, les Etats-Unis acquéraient un capacité
d’exportation de 84 millions de tonnes par an, supérieure à celle du
Qatar, de 77 millions de tonnes.
Pour
être plus précis, l’Agence américaine d’information sur l’énergie a
établi différentes projections, en fonction des hypothèses sur la
ressource et les prix. Le scénario de l’ordre de 90 à 100 milliards de
mètres cubes exportés par an est le scénario central. C’est ce que
confirme le schéma suivant avec une échelle en pieds cubiques :
Hypothèses sur les exportations américaines de GNL
Initialement, les Etats-Unis pensaient avoir besoin d’importer du GNL, notamment du GNL russe.
La
révolution du gaz de schiste est venue bouleverser ces projets, et les
perspectives d’excédents ont conduit à transformer les terminaux
d’importation, de gazéification, en terminaux d’exportation, et donc de
liquéfaction.
C’est un investissement très lourd de 18 milliards de dollars au total. Lors du déplacement à Washington, les responsables de Chenière ont confirmé la lourdeur de l’investissement des quatre trains de liquéfaction de Sabine Pass, à Cameron Parish,
en Louisiane. Les deux premiers trains devraient être opérationnels en
2015/2016. Le projet, commencé en 2012, sera achevé d’ici la fin de la
décennie.
A
ce jour, seuls six projets de terminaux d’exportation ont reçu
l’autorisation d’exporter vers des pays n’ayant pas d’accord de libre
échange avec les Etats-Unis sur un total de vingt-neuf demandes.
Ces six projets représentent cependant une capacité d’exportation de près de 70 millions de tonnes.
Terminaux d’exportation de GNL envisagés
Source : ministère de l’écologie et du développement durable
Les opérations commerciales sont déjà en cours.
Les premiers contrats sont déjà passés. EDF a annoncé le 17 juillet avoir contracté avec une filiale de Chenière pour acquérir du GNL issu du gaz de schiste.
C’est pour la fin de l’année 2015 que le premier chargement test est prévu pour Sabine Pass.
Selon
les informations publiées en début d’année, la baisse actuelle des prix
du pétrole, qui a des contrecoups sur le marché du gaz, n’a pas modifié
les termes de projets de terminaux pour lesquels des engagements
commerciaux de long terme avaient été conclus.
En revanche, tel pourrait n’être pas toujours le cas. Ainsi, le projet de Lavaca Bay au Texas, porté par Excelerate Energy, a été annoncé comme reporté dès décembre 2014.
Le
premier choc pétrolier a entraîné un contrôle des exportations
d’hydrocarbures aux Etats-Unis avec un régime d’autorisation édicté en
1975 dans le cadre de l’Energy Policy and Conservation Act.
Pour
le brut, c’est en pratique une interdiction d’exporter presque absolue
qui est en vigueur. Seul le régime de la loi de 1975 s’applique et les
exportations ne peuvent être autorisées que si elles répondent à un
intérêt national.
L’interdiction
n’a pas été remise en cause jusqu’à 2014. Des exportations de bruts
très légers ont été autorisées cette année pour la Corée du Sud, mais en
quantité très limitées.
L’abondance
pétrolière retrouvée a rouvert le dossier cette année d’une réouverture
des exportations, mais pas encore au niveau politique.
Les
producteurs sont favorables à l’abandon d’une mesure que la pénurie
seule justifiait. Ils observent que le brut américain de référence, le
WTI, est maintenant moins cher que le brent depuis 2011 comme le montre le graphique suivant.
Ecart de prix entre le baril de Brent et celui de WTI
Source : EIA
En
revanche, l’opinion publique, très sensible au prix du gallon
d’essence, et les raffineurs, dont c’est l’un des éléments de la
compétitivité, y sont hostiles.
ii.
Pour le gaz naturel, un double régime d’autorisation et un régime de
faveur pour les pays ayant conclu un accord de libre-échange avec les
Etats-Unis
C’est dans le Natural Gas Act
de 1938 que figurent les dispositions sur le régime d’autorisation
d’exportation (et d’ailleurs aussi d’importer) du gaz naturel, sachant
que la loi de 1975 mentionne également cette matière première.
Ce texte prévoit une double autorisation avec une autorisation d’exportation délivrée par le Departement of Energy (DoE),
et une autorisation de l’équipement d’exportation, du terminal de
liquéfaction en pratique, délivrée par la commission fédérale de
régulation de l’énergie (FERC). Les modifications d’installation sont également soumises à décision du FERC notamment pour le respect des prescriptions du National Environment Protection Act.
Les autorisations d’exportation de gaz hors des Etats-Unis délivrées par le DoE
dont sont normalement délivrées au coup par coup. Elles doivent
répondre à un objectif d’intérêt public, qui fait l’objet d’une
instruction. Toute demande est cependant présumée répondre à cette
condition, car c’est uniquement lorsqu’un tel intérêt public n’est pas
démontré que l’autorisation est refusée.
Les
autorisations d’exportation vers les pays qui ont un accord de
libre-échange avec les Etats-Unis sont facilitées car dans ce cas la
condition d’intérêt public est supposée acquise. Il y a automaticité.
Toutefois comme le rappelle le CSIS dans l’étude précitée New Energy, New Geopolitics,
un seul pays gros consommateur de gaz a conclu un accord de
libre-échange avec les Etats-Unis, la Corée du Sud. En revanche, deux
Etats ont des accords qui ne remplissent pas les critères permettant
l’automaticité précitée, le Costa Rica et Israël (note 6, page 10).
En août dernier, le DoE
a simplifié les conditions de délivrance des autorisations
d’exportation, cessant de le faire à titre conditionnel dans l’attente
de savoir si les prescriptions du National Environment Protection Act étaient remplies.
Comme
les éventuelles exportations de pétrole, les exportations de GNL
américain donnent lieu à débat : les utilisateurs, particuliers et
industriels, craignent les effets de l’augmentation de prix ; en
revanche, les producteurs de gaz appuyés d’ailleurs par les producteurs
d’autres sources d’énergie, sont favorables à un élargissement du marché
qui reconnecterait les prix du gaz naturel américains aux niveaux de
ceux des autres continents.
L’inclusion,
à la demande des Etats européens, de l’énergie dans les négociations
sur le partenariat transatlantique en matière de commerce et
d’investissement (TTIP : Transatlantic Trade and Investment Partnership) s’inscrit dans cette perspective d’un accès facilité au gaz de schiste américain.
3.
Quelle stratégie américaine d’exportation du GNL ? : le choix en
faveur de l’approvisionnement des marchés mondiaux plutôt que de
l’utilisation des exportations comme levier politique, à ce stade
Les excédents de gaz de schiste américains peuvent faire l’objet de deux approches pour leur exportation.
La
première est économique. Il s’agit d’alimenter le marché mondial pour
assurer sa stabilité et réduire ainsi les conséquences des éventuels
catastrophes ou événements géopolitiques qui l’affecteraient.
L’objectif est aussi de réduire, en offrant une alternative aux pays
consommateurs concernés, le poids des pays exportateurs qui utilisent à
des fins politiques leurs capacités exportatrices.
La
seconde est politique. Elle repose sur le ravitaillement des alliés et
des pays partenaires ou en difficulté. Elle présente sur le plan
intérieur l’avantage de pouvoir mieux contrôler les quantités exportées,
et ainsi de gérer au plus près les intérêts des industriels américains
de l’aval.
En
pratique, les deux peuvent parvenir à des résultats voisins ce qui
explique un certain manque de clarté dans la stratégie américaine
d’exportation.
Le
26 mars dernier, le président Obama, en visite à Bruxelles, a ouvert
les perspectives d’un accès des Etats européens au GNL américain, il est
vrai avec prudence.
Selon l’Agence Europolitics, le président américain a déclaré : « Les
Etats-Unis comme source d'énergie sont une possibilité (...) mais nous
aussi faisons des choix et sommes face à certaines difficultés et défis
du développement énergétique, l'Europe devra en partie passer par les
mêmes débats », après avoir indiqué qu’il pensait « que
l'Europe collectivement va devoir examiner, à la lumière de ce qui s'est
passé [avec l'Ukraine], ses politiques énergétiques pour voir s'il
existe des moyens supplémentaires pour diversifier la dépendance
énergétique. ».
C’était
une évolution par rapport au discours aux Nations unies indiquant le 24
septembre 2013 que les Etats-Unis assureraient la libre circulation de
l’énergie (free flow) de la région (l’Amérique du Nord) vers le Monde.
L’OTAN a inscrit la sécurité énergétique au plus haut de son Agenda.
Le
paragraphe 109 de la déclaration des chefs d’Etat et de Gouvernement
qui a clôturé le sommet du Pays de Galles, le 5 septembre dernier,
indique que « la stabilité et la fiabilité des approvisionnements
énergétiques, la diversification des itinéraires d’acheminement, des
fournisseurs et des ressources énergétiques, et l’interconnexion des
réseaux énergétiques demeurent d’une importance critique », tout en
reconnaissant que cela relève d’abord des Etats et des organisations
internationales compétentes. La sécurité énergétique est d’ailleurs
mentionnée comme l’un des sujets de la coopération OTAN-UE dans la
déclaration.
Pour
les Alliés européens, c’est donc une double sécurité car l’Union
européenne est également en charge de la sécurité énergétique du
continent.
d.
Les conditions de livraison de GNL à l’Europe : la prévalence de
l’approche économique sur l’approche politique, qui présente plusieurs
avantages pour les Etats-Unis
Lors
du déplacement aux Etats-Unis, les réponses à la question sur la
destination du titre de l’un des chapitres de l’étude précitée du CSIS :
les contours de la politique d’exportation du gaz de schiste restent
flous (unclear).
Comme
l’a indiqué M. Sami Andoura lors de son audition, c’est en raison de la
contradiction entre l’objectif politique et les enjeux économiques : « Lorsque
le président Obama était à Bruxelles, il a présenté les Etats-Unis
comme le partenaire de confiance pour se substituer au gaz russe, son
discours s’adressait notamment aux pays d’Europe centrale et orientale.
Cependant, les pays asiatiques ont tendance à attirer bien plus les
exportations américaines que nous européens, parce qu’ils paient le gaz
plus cher. »
Cette
absence de clarification a été corrigée car tant au département d’Etat,
qu’au département de l’Energie et naturellement dans les Think Tanks, les
interventions ont été très favorables à ce que dans le futur les
énergéticiens européens contractent avec des exportateurs américains,
mais dans les conditions du marché naturellement.
Cette
approche ne doit cependant pas être mal comprise et ainsi mal perçue,
car elle n’est pas que mercantile, mais éminemment politique.
Elle
relève en effet d’une stratégie indirecte car l’alimentation du marché
mondial par le GNL américain suffira en elle-même en raison des volumes
escomptés à terme, à réduire le pouvoir de pression des grands
exportateurs actuels, et naturellement de la Russie.
Sur
le plan moral, ce qui est toujours essentiel dans l’approche américaine
de la politique étrangère, les Etats-Unis peuvent obtenir un résultat,
sans eux-même avoir recours à l’instrument qu’ils reprochent à l’autre
partie d’utiliser.
En
outre, l’ambiguïté des déclarations est suffisante pour qu’en cas de
nécessité le ravitaillement en urgence de l’Europe de l’Est soit assuré.
Par ailleurs, coupler les exportations américaines de gaz et les importations européennes serait doublement inopportun.
D’abord, les volumes ne suffiront pas.
Ensuite,
ce serait faire des pays occidentaux une forteresse énergétique qui
risquerait tant de les couper inutilement de leurs partenaires
asiatiques, qui font face aux besoins énergétiques de la Chine et
bientôt de l’Inde, et aussi des grands exportateurs de gaz hors Russie
avec lesquels les relations économiques méritent d’être maintenues pour
éviter que les relations politiques ne deviennent un cadre vide.
C. UN RISQUE POLITIQUE MAJEUR TRÈS PEU PROBABLE, MAIS À NE PAS MÉCONNAITRE POUR AUTANT : LE RETOUR D’UN CERTAIN ISOLATIONNISME
Lors des entretiens à Washington, le risque du retour à une situation de type isolationniste a été écarté sans grand débat.
Cet engagement international d’une élite américaine consciente de ses responsabilités doit être apprécié.
Néanmoins,
la question doit rester présente à l’esprit des Européens, car les
opinions peuvent changer, et nul ne peut dire ce que sera la future
opinion publique américaine.
Le
basculement vers l’Asie n’est pas uniquement politique. Il est aussi
sociologique avec des relations transpacifiques chaque jour plus
importantes.
Trois
éléments conduisent en effet à considérer que le risque d’un retour
isolationniste aux Etats-Unis, si faible soit-il, n’est pas nul.
D’abord,
l’ambition du président George W. Bush d’un Grand Moyen-Orient remodelé
selon les principes wilsoniens de l’économie de marché et de la
démocratie s’est heurtée aux réalités du terrain. L’échec global depuis
plusieurs décennies des Etats-Unis face aux défis du Moyen-Orient, qui
s’aggrave, peut conduire à un sentiment d’inutilité. Même si les
relations pétrolières avec le Moyen-Orient étaient faibles, la situation
structurellement importatrice des Etats-Unis validait implicitement
l’idée d’un engagement à titre d’ultime sécurité dans l’opinion,
davantage sensible au prix du gallon d’essence qu’à son origine. Tel ne
sera plus le cas dans le futur.
Ensuite,
il y a après les engagements en Irak et en Afghanistan, de 10 ans pour
un résultat assez peu brillant, une certaine lassitude générale de
l’intervention américaine outre-mer.
Enfin,
et c’est un élément qui est venu au fil des conversations à Washington,
mais qui est très significatif, l’opinion publique pourrait mal
percevoir les exportations américaines de GNL vers l’Europe si celle-ci
se refuse à explorer et exploiter ses propres réserves.
Cela
serait probablement perçu comme la volonté pour l’Europe de bénéficier
du gaz et pétrole de schiste sans le moindre effort, ce qui est tout à
fait contraire à l’esprit de confiance qui fonde dans l’opinion
américaine la pertinence de cette relation spéciale qu’est le lien
transatlantique.
II. UNE INTERPRÉTATION DÉLICATE DES CONSÉQUENCES DE LA BAISSE DE PRESQUE 50 % ET DE L’ACTUEL NIVEAU DES COURS DU PÉTROLE
1. Un mouvement de prix rapide et important sur le pétrole avec un effet d’entraînement sur le gaz naturel
Sortant
d’une période de prix durablement élevés débutée fin 2010, les cours du
pétrole brut ont connu entre juin 2014 et janvier 2015 une baisse de
près de 60 %. Cette baisse a été dans un premier temps progressive,
passant en moyenne mensuelle, de 112 dollars le baril en juin à 80
dollars en novembre, avant de s’accélérer en fin d’année 2014 suite à la
décision prise par l’OPEP le 27 novembre 2014 de maintenir inchangés
les quotas de production de l’organisation. Le cours du Brent a atteint
46,6 dollars le 13 janvier 2015 à la clôture, un niveau qu’il n’avait
plus atteint depuis mars 2009.
Un
rebond de près de 30 % du cours du Brent est observé depuis fin
janvier, celui-ci s’échangeant aux alentours de 60 dollars, avant une
rechute du Brent à 53 dollars le 18 mars et du Light Sweet sud-américain à 43 dollars le 18 mars dernier.
Cette
baisse a profondément surpris notamment par son ampleur et aussi par
celle de la correction, a priori temporaire, qui s’en est suivi car le
passage du cours d’un minimum de 45 dollars le baril à 60 dollars
environ représente une correction importante en sens inverse.
La
baisse du prix du pétrole a eu un effet d’entraînement sur le prix du
gaz naturel, sachant qu’en Europe, plusieurs facteurs ont pesé sur la
consommation en 2014, notamment la clémence du climat et aussi le faible
prix du prix du charbon.
Comme le montre le graphique suivant, le prix du gaz naturel a baissé de l’ordre de 30 % en Asie, de 4 % sur le marché spot et de 19 % pour les contrats de long terme en Europe, et de 27 % aux Etats-Unis.
Source : IFP Energies nouvelles
La forte chute des prix est la conséquence d’un écart entre l’offre et la demande, et plus précisément d’un excès d’offre.
En
effet, la production mondiale a fortement augmenté en 2014, passant de
91,4 millions de barils jour en 2013 à 93,3 millions. Cette forte
augmentation de la production a entraîné une situation de déséquilibre
entre l’offre et la demande, l’excédent d’offre s’élevant en moyenne à
0,8 million de barils jour sur l’ensemble de l’année 2014, contre un
déficit de 0,5 en 2013.
Source : AIE – Oil market report janvier - 2015
Cette
forte croissance de l’offre mondiale s’explique principalement par
l’augmentation de la production des Etats-Unis en 2014 (+1,6 million de
barils jour), supérieure à la hausse déjà importante enregistrée en 2013
(+1,3). Portée par l’augmentation de la production de pétrole de
schiste, le niveau de la production américaine a ainsi été en 2014
supérieur aux prévisions, confirmant une tendance déjà observée en 2012
et 2013.
Au
début du mois de mars, la production de l’OPEP est restée stable par
rapport à 2013, la baisse de la production libyenne étant compensée par
l’augmentation des productions saoudienne, iranienne et tout
particulièrement irakienne, l’insurrection islamiste n’ayant eu qu’un
impact limité sur la production en Irak. La majeure partie de la
production irakienne, située dans le sud du pays, à l’écart de la zone
de conflit, a en effet pu être exportée normalement tout au long de
l’année 2014, ce constat de l’absence de répercussions de la crise
irakienne sur l’offre favorisant la détente du marché mi-2014. Au
contraire, la production irakienne a même connu une augmentation
importante en fin d’année 2014, notamment suite à l’accord intervenu
entre le gouvernement central de Bagdad et le gouvernement régional du
Kurdistan.
A
l’opposé, la demande a été moins dynamique qu’anticipée. La croissance
de la consommation s’est ainsi poursuivie en 2014 à un rythme moins
soutenu, dans un contexte économique dégradé, notamment en raison de la
réduction de la croissance chinoise. Le Fonds monétaire international
(FMI) a ainsi régulièrement revu en cours d’année les perspectives de
croissance de l’économie mondiale pour 2014. L’estimation finale de
3,3 % est semblable au niveau de la croissance de l’économie mondiale en
2013.
Malgré
ces révisions à la baisse des perspectives de croissance, l’Agence
internationale de l’énergie estime que la consommation pétrolière
mondiale s’est élevée à 92,4 millions de barils jour en 2014, soit un
niveau supérieur à la prévision qu’elle avait effectuée un an plus tôt
(91,8 millions). La consommation mondiale de produits pétroliers a
poursuivi sa croissance, augmentant de +0,6 million de barils jour en
2014, dynamique cependant inférieure à celle observée en 2013 (+1,1
million).
En
dépit du déséquilibre entre la production et la consommation mondiale,
l’OPEP a décidé fin 2014 de laisser inchangés ses quotas de production.
La perspective du maintien à court terme de la situation d’excédent de
la production par rapport à la consommation a favorisé l’accélération de
la baisse des cours du pétrole brut à la fin de l’année 2014.
On
constate que l’écart très faible entre la production est de moins de
1 %, soit à peine trois jours de consommations sur l’ensemble de
l’année. Compte-tenu des faibles capacités de stockage, c’est une
illustration, à la baisse cette fois-ci, de la très forte sensibilité
des marchés pétroliers aux écarts entre l’offre et la demande.
Les sites de stockage de pétrole brut extraits sont ainsi au plus haut depuis 1982.
La crainte d’une saturation fait que les anticipations sont fortes d’une baisse supplémentaire des cours. Le 13 mars, Le Monde a fait état d’un cours de 40 dollars.
B. DES TRANSFERTS AUSSI RAPIDES QU’IMPORTANTS ET BIENVENUS AU PROFIT DES PAYS CONSOMMATEURS, DONT LA FRANCE
Les
statistiques de l’Agence internationale de l’énergie pour 2013 font
apparaître que 48 % de la production mondiale de pétrole a fait l’objet
d’échanges internationaux.
Comme
l’a fait remarquer aux rapporteurs M. Jean-Louis Schilansky, le
transfert financier correspondant est de plusieurs centaines milliards
de dollars.
Il
a été estimé à 500 milliards par an des pays producteurs aux pays
consommateurs, selon les éléments fournis par le ministère de
l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Pour
la France, en se fondant sur l’hypothèse d’une cours du pétrole en 2015
de l’ordre de 60 dollars le baril et d’un prix du gaz de 7 dollars le
Mbtu, puisque les prix sont corrélés sur une large part des contrats de
long terme, l’IFP énergies nouvelles estime la réduction de la facture
pétrolière et gazière de 15 milliards d’euros, soit 0,7 % du PIB. Le
chiffre de 20 milliards d’euros un instant annoncé se fondait sur un
prix du baril durablement établi sous les 50 dollars.
En
2013, la facture pétrolière française s’est élevée à 47,8 milliards
d’euros. Pour de mêmes volumes et en tenant cotations actuels sur les
marchés à terme, la facture s’élèverait à 32 milliards en 2015. En
ajoutant le gaz naturel, la facture française en hydrocarbures en 2013
s’élevait à 62,5 milliards. Elle s’élèverait à 41 milliards en 2015 en
utilisant les mêmes hypothèses.
Pour
les autres grands pays consommateurs, le même calcul montre que
l’allégement de la facture énergétique est de l’ordre de 1 % du PIB,
avec un moindre effet en Chine et un effet plus important au Japon.
Effets de la baisse des prix du pétrole sur les pays consommateurs
Source : IFP Energies nouvelles
Sur
le plan sectoriel, dès le début des travaux, M. Jean-Louis Schilansky,
alors président de l’UFIP, a tiré la sonnette d’alarme sur les
conséquences industrielle sur l’Europe de la compétitivité retrouvée de
l’industrie américaine grâce au gaz de schiste à bas prix : « Les
effets sur la compétitivité sont très nets. Le secteur du raffinage
européen va mal, en particulier parce que les Etats-Unis, qui importent
certes du brut, exportent des produits raffinés à prix compétitifs. Le
secteur des produits de la pétrochimie va lui aussi être atteint. La
compétitivité des secteurs industriels européens intensifs en énergie
est également menacée. »
Le
raffinage européen connaît une situation difficile qui a alerté
l’Agence internationale de l’énergie. Depuis 2008, le secteur subit la
pression de ses concurrents. Ses marges sont inférieures à celles de
ses concurrents du Moyen-Orient, d’Asie et naturellement des Etats-Unis.
De
2008 à 2013, 15 raffineries en Europe ont fermé ou réduit leurs
capacités de production. C’est la France qui a été le plus touchée avec
une perte de capacité de 585.000 barils jour, pour un total européen de
1,8 millions de barils jour (8 % du total européen).
Les
éléments de ce diagnostic ont été très clairement exposés par
M. Frédéric Barbier, député, dans le cadre du rapport d’information
n° 1919, sur l’impact économique de l’exploitation des gaz de schiste,
présenté le 30 avril 2014, au nom de la commission des affaires
économiques, sur la pétrochimie :
« La pétrochimie européenne cumule plusieurs handicaps :
–
le marché fait face à des surcapacités, qui ont déjà conduit à des
fermetures de vapocraqueurs ; en France, Total a annoncé la fermeture du
vapocraqueur mosellan de Carling en septembre 2013, malgré une
reconversion du site dans le domaine de la résine d’hydrocarbure ;
–
90 % des vapocraqueurs européens ont plus de 30 ans et requièrent donc
des coûts de maintenance plus élevés ; ils sont aussi plus petits que
les unités modernes, et ne bénéficient donc pas d’effets d’échelle ;
– contrairement
à la situation américaine, 75 % des capacités européennes produisent
leur éthylène à partir du naphta ; comme nous l’avons vu, le
différentiel de compétitivité entre ces deux sources de production est
très important ; il assure aux unités américaines un taux de marge très
élevé leur permettant d’investir pour se renouveler et ainsi améliorer
leurs marges futures.
Conséquence
de ces handicaps, la pétrochimie européenne est décrochée dans la
compétition internationale. Alors qu’en 2005, elle rivalisait avec la
Chine et devançait les États-Unis, elle se situe désormais loin
derrière.
C’est ce que montre le graphique suivant :
Evolution de la compétitivité coût de l’éthylène dans le monde
Source : American chemistry council, in Frédéric Barbier, rapport précité
M. Barbier a donc anticipé donc à juste titre « une déstabilisation prévisible d’un fleuron de l’industrie française : la chimie organique de base » :
« Les
conséquences d’une telle situation sont claires : d’une part, des
capacités de production d’éthylène sont menacées en Europe ; d’autre
part, les chimistes européens dépendront bientôt du polyéthylène
américain ; si l’éthylène est difficilement transportable, le
polyéthylène, en revanche, présente un coût de transport très faible.
« Le
déficit de compétitivité en amont de la filière, sur l’éthylène et le
polyéthylène, se répercutera tout au long de la chaîne, menaçant ainsi
l’ensemble de la chimie de base française. Ce secteur, qui représente 78
000 emplois. »
Le
risque américain risque en outre d’être renforcé avec la perspective du
développement du gaz de schiste en Chine et des exportations
américaines de gaz vers l’Asie, lesquelles feraient converger
vraisemblablement les prix européen et asiatique du gaz.
Comme l’a observé M. Barbier « Le
prix du gaz européen, qui oscille entre 10 et 12$/Mbtu, demeure
inférieur au prix du gaz asiatique, de l’ordre de 16$/Mbtu. Par
conséquent, les industriels européens disposent encore d’un avantage par
rapport aux Japonais ou Coréens et sont sur un pied d’égalité par
rapport aux Chinois.(…)
« En
raison de cet écart de prix, certains méthaniers sont re-routés vers
l’Asie avant d’arriver en Europe. Le déficit de GNL créé des tensions
dans la zone sud de l’Europe, qui est coupée des circuits de gazoducs et
dépend donc de son approvisionnement par GNL. »
« L’Asie
sera la première bénéficiaire des exportations américaines. En effet,
le gaz produit aux États-Unis, une fois exporté, ira en priorité en
Asie, où les prix sont plus élevés. Il est donc illusoire de penser que
ce gaz pourrait permettre à l’Union européenne de diversifier ses
approvisionnements et de faire pression à la baisse sur les prix
octroyés par ses fournisseurs. »
La
situation actuelle a ouvert une période de répit, qui ne serait
cependant que temporaire, pour le secteur au point que lors de son
entretien complémentaire en février 2015, M. Olivier Appert a pu parler
de « l’été indien » du raffinage européen.
Les marges se sont rétablies comme l’indique le graphique suivant.
Source : IFP Energies nouvelles
Les marges européennes, fondées sur le brent,
se sont plus précisément rétablies en 2014 avant de se réajuster à la
baisse en fin d’année, alors que les marges américaines ont, elles,
diminué.
b. Des effets contrastés sur les autres secteurs selon leur positionnement dans la chaîne pétrolière
La
baisse du prix du brut conduit à identifier des gagnants et des
perdants non seulement au niveau des Etats, mais également des secteurs.
Ce
point sera évoqué ultérieurement, mais la diminution des recettes des
sociétés pétrolières et la modification des perspectives de rentabilité
des investissements conduit les entreprises du secteur à décaler leurs
projets d’investissements. Récemment, le total des emplois supprimés
dans le secteur pétrolier et parapétrolier a été estimé à 100.00
emplois.
Les
entreprises du secteur parapétrolier et les fournisseurs d’équipements
pour les chantiers correspondants sont particulièrement affectés. Ainsi,
les entreprises qui continuent d’investir sont tentées de profiter de
la baisse d’activité pour renégocier des coûts qui ont connu une
inflation importante au cours de la dernière décennie. Le lancement
d’une telle renégociation a été récemment annoncé par l’Aramco. Schlumberger
vient d’annoncer une nouvelle réduction de 11.000 postes à travers le
monde, après les 9.000 de début janvier ; les numéros 2 et 3 du secteur,
Halliburton et Baker Hughes, ont annoncé en début d’année des réductions respectives de 6.400 et 7.000 postes et un projet de fusion. Vallourec prévoit de supprimer 1.400 postes dans le monde.
Pour
les secteurs consommateurs à l’opposé, notamment les entreprises de
transport, en particulier de transport aérien, et des secteurs
bénéficiant du regain de pouvoir d’achat des ménages en raison de la
baisse du prix des carburants.
Dans son étude du 10 mars 2015, intitulée « Et si le prix du pétrole restait durablement bas ? », Natixis
identifie la distribution, l’agroalimentaire, également gagnant en
amont sur le prix des intrants agricoles, le BTP ainsi que le tourisme
et les loisirs.
Le
cas des Etats-Unis qui a bénéficié au point de devenir peut-être le
premier producteur mondial de pétrole en 2014, mais ce point devra être
confirmé lorsque les statistiques annuelles seront établies, est
intermédiaire.
Son
économie bénéficie clairement de la diminution du prix du brut,
notamment le consommateur américain, particulièrement sensible au prix
de l’essence.
Dans son étude précitée, Natixis
juge globalement que l’effet de la baisse actuelle neutre sur les
termes de l’échange américain et les finances publiques, et positif sur
la consommation.
Aucun effet d’ensemble n’est mentionné pour l’offre.
Sont
en revanche considérés comme affectés les secteurs qui se sont
développés grâce au gaz et au pétrole de schiste, et pour lesquels
l’avantage comparatif avec l’Europe et avec le Japon se réduit.
Vis-à-vis
de l’Europe en outre, l’économie américaine voit sa compétitivité
reculer en raison de la baisse de l’euro par rapport au dollar.
Pour
ce qui concerne le secteur pétrolier et gazier proprement dit, l’effet
de la réduction des programmes d’investissements est estimé à 0,3 à
0,4 point de PIB.
Bien
que la production pétrolière américaine soit particulièrement touchée
par la baisse des cours, l’impact global pour les Etats-Unis reste
positif, selon le FMI. Malgré un contexte mondial dégradé, l’économie
américaine est ainsi la seule des grandes économies pour laquelle les
projections de croissance ont été revues à la hausse par l’institution
en janvier 2015 (3,6 % en 2015, 3,3 % en 2016).
D.
DES DIFFICULTÉS POUR UNE GRANDE PARTIE DES PAYS PRODUCTEURS, AVEC DES
RISQUES D’INSTABILITÉ POUR LES PLUS VULNÉRABLES D’ENTRE EUX
1.
Une perte de ressources et des conséquences budgétaires importantes :
l’essentiel des pays producteurs sous le seuil de l’équilibre budgétaire
La
forte baisse des cours du pétrole induit un transfert financier
d’environ 500 milliards de dollars par an des pays producteurs vers les
pays consommateurs.
Elle
intervient au mauvais moment. De nombreux pays producteurs ont profités
du contexte de cours durablement élevés pour revoir à la hausse leurs
dépenses, que ce soit pour répondre à l’agitation sociale du Printemps
arabe ou aux aspirations de la population.
La
situation actuelle est ainsi particulièrement délicate pour ceux ayant à
faire face à ces importants engagements budgétaires, sans pour autant
disposer de réserves financières permettant d’amortir l’impact
économique (Venezuela, Nigeria, Angola, Irak, Iran).
De
manière plus précise, Les autres principaux pays producteurs, en tant
que producteurs nets, sont fragilisés au regard de la baisse de la
valeur de leurs exportations et des recettes budgétaires qu’ils peuvent
en retirer. Le pétrole occupe une place prépondérante dans les économies
de la majorité de ces pays. Le choc économique lié à la baisse des
cours est ainsi majeur, comme l’indique le graphique suivant.
Source : ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Les
équilibres budgétaires sont également fragiles, comme le montre le
tableau suivant sur l’impact de la baisse des prix du pétrole sur les
finances des pays les mieux armés pour y faire face, les pays du Golfe.
Evolution des finances des États du Golfe
Source : Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Sur le plan budgétaire, la situation des pays producteurs de pétrole est bien plus vulnérable qu’il y a quelques années.
De
nombreux pays producteurs ont en effet profité du contexte de cours
durablement élevés pour revoir à la hausse leurs dépenses, que ce soit
pour répondre à l’agitation sociale du Printemps arabe ou aux
aspirations de la population. La situation actuelle est ainsi
particulièrement délicate pour ceux ayant à faire face à ces importants
engagements budgétaires, sans pour autant disposer de réserves
financières.
Ainsi,
le royaume saoudien a fortement augmenté ses dépenses budgétaires ces
dernières années (+28 % en 2014), profitant pour cela de la manne
offerte par les cours élevés. Suite à ce programme de dépenses sociales,
un cours du Brent à 95 $/b est estimé nécessaire pour équilibrer le
budget de l’Arabie saoudite. Pour 2015, l’Arabie saoudite prévoit de
maintenir ces dépenses, stabilisant leurs montants (+0,5 %), et
utilisant les réserves accumulées pour amortir le choc budgétaire. Avec
le rythme actuel de dépense et un prix du pétrole à 65 $/b, la Banque
mondiale estime que le surplus budgétaire diminuerait fortement pour le
Koweït et se transformerait en déficit pour l’Arabie saoudite (-1,9 %)
et les Emirats arabes unis (-3,7 %) en 2015.
La situation de l’Arabie est cependant suffisamment bonne en raison des réserves accumulées, ce point étant évoqué plus bas.
Par
conséquent, on observe que saut le Koweït et aussi le Turkménistan,
aucun des pays producteur n’est à l’équilibre budgétaire avec l’actuel
cours du brut de 60 dollars le baril.
Cours du brut nécessaire pour assurer l’équilibre budgétaire (2015)
Source : Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Plusieurs pays sont ainsi régulièrement mentionnés comme en situation très difficile.
Au
Venezuela, où le pétrole correspond à environ 47 % des recettes
publiques et à 94 % des exportations, la baisse du cours a aggravé une
situation budgétaire déjà précaire, augmentant le risque d’un défaut de
paiement. L'agence Standard and Poor's a ainsi abaissé le 9 février 2015
la note de solvabilité du Venezuela à CCC, plus basse note avant la
situation de défaut.
Le
Nigeria est particulièrement fragilisé, les difficultés budgétaires
venant s’ajouter aux problématiques sécuritaires liées à l’avancée de
Boko Haram, ainsi qu’à un contexte politique agité par les élections
présidentielles programmées en mars 2015.
Malgré
les problématiques de sécurité, l’Irak a annoncé avoir porté sa
production pétrolière à 4 millions de barils jour en décembre 2015, son
plus haut niveau depuis 1980. Cependant, compte tenu de ses importants
engagements budgétaires, notamment les dépenses militaires associées à
la lutte contre l’organisation de l’Etat islamique, la Banque Mondiale
estime que le déficit budgétaire passera de 6 % du PIB en 2014 à près de
20 % en 2015.
Il
faut aussi mentionner le cas de l’Algérie, où la rente gazière a permis
d’assurer la stabilité sociale, et les pays d’Afrique producteurs de
pétrole à moindre échelle, mais pour lesquels la ressource est
stratégique, comme le Congo.
La Russie et l’Iran sont deux pays sous sanctions internationales.
Si
l’effet des sanctions a été certain, plus prononcé pour l’Iran que pour
la Russie, il est clair que c’est surtout la baisse des prix du
pétrole, avec pour la seconde ses effets sur le prix des contrats
gaziers, qui met en difficulté les économies et les finances publiques
des deux pays.
Bien
que disposant elle aussi de réserves non négligeables, la Russie est
dans une situation quelque peu différente. Son économie est également
fortement dépendante du pétrole, l’énergie représentant 25 % de son PIB,
70 % de ses exportations et 50 % de ses recettes fédérales. L’impact de
la baisse des cours est toutefois doublé par celui des sanctions
internationales. Le FMI a ainsi revu à la baisse de 3,5 points ses
prévisions de croissance pour l’année 2015, tablant désormais sur une
contraction de l’économie russe de 3 %.
Avec
un cours de 55 dollars le baril pendant un an, l’OPEP estime la perte
de la Russie à 135 milliards de dollars par an, soit 10 % du PIB.
Pour
ce qui concerne l’Iran, s’il dispose d’une économie plus diversifiée,
la chute des prix du pétrole se fera également sentir sur l’équilibre
budgétaire et l’équilibre de sa balance commerciale, déjà largement sous
pression après les sanctions de 2011, renforçant ainsi la nécessité
pour le pays de faire aboutir les discussions sur le nucléaire avec les
pays du P5+1, condition comme on l’a vu de la levée des sanctions.
La
capacité de résistance des pays producteurs à la chute des cours et à
leur maintien à un niveau inférieur au seuil nécessaire à leur équilibre
budgétaire, dépend du montant des réserves accumulées.
De
ce point de vue, la Norvège, l’Arabie saoudite, le Koweït et les
Emirats arabes unis disposent de réserves financières importantes,
permettant à ces pays d’amortir l’impact budgétaire de la baisse des
cours. A titre d’exemple, la Norvège dispose du plus grand fonds
souverain au monde (860 milliards de dollars) alimenté par les revenus
pétroliers du pays et l’Arabie saoudite a accumulé plus de 700 milliards
de dollars de réserves de change, soit près de 20 fois le montant du
déficit budgétaire envisagé pour 2015 (39 milliards de dollars).
Sans
qu’il soit possible d’être plus précis, les rapporteurs tiennent à
observer que la forte baisse des cours augmente le risque d’instabilité
sociale dans ces pays producteurs majeurs. Une crise politique dans l’un
de ces pays pourrait entraîner un renversement rapide des cours.
E.
UNE DURÉE INCERTAINE, MAIS EN TOUT ÉTAT DE CAUSE TEMPORAIRE AVEC UNE
REMONTÉE D’ICI LA FIN DE LA DÉCENNIE SOUS RÉSERVE QUE LES CAPACITÉS DE
PRODUCTION SOIENT AU RENDEZ-VOUS
1.
Le diagnostic de l’AIE sur la possibilité d’un réajustement de la
demande et de l’offre à moyen terme, mais une grande incertitude sur les
cours à très court terme, tant que la production et les stocks
augmentent
La durée du niveau des cours actuels, à raison de 62,61 dollars pour le baril de Brent et de 57,05 pour le WTI, le 28 avril, qui a surpris tous les observateurs, est très incertaine.
L’Agence
internationale de l’énergie a publié son point de vue en février. Elle a
envisagé un rééquilibrage du marché dès le second semestre 2015, en
raison de la flexibilité du développement des champs de pétrole de
schiste, qui accroît l’élasticité de la production aux prix. Un
équilibrage du marché par la production de pétrole de schiste était
alors considéré comme un scénario crédible à court terme.
A
très court terme, la rechute des cours en mars rend tout pronostic
incertain. On en peut se fonder sur des bases fiables tant que la
production et les stocks ne sont pas stabilisés, mais continuent à
augmenter.
A
moyen terme, compte tenu des perspectives d’augmentation de la
consommation, le rôle de l’OPEP reste fondamental. L’AIE considère qu’un
relèvement du niveau de production de l’OPEP sera nécessaire dès 2018
pour assurer la satisfaction de la demande.
Les cotations actuelles sur les marchés à terme sont pour le Brent
aux alentours de 70 dollars le baril pour l’échéance 2016 et d’environ
80 dollars en 2020. Ces cotations ne sont -bien entendu- pas une
prévision mais elles montrent les prix que sont prêts à payer les
acteurs pour se couvrir ainsi que les anticipations d’évolution des
cours.
Pour
l’AIE, le rééquilibrage du marché devrait intervenir assez rapidement
mais sa portée sera relativement limitée, avec des prix se stabilisant à
des niveaux plus élevés que les points bas observés récemment mais
nettement inférieurs aux sommets de ces trois dernières années.
Le
pétrole de schiste, dont la progression représente une part
significative de l’augmentation de la production mondiale de brut
nécessite un développement continu des champs par le biais de nouveaux
forages, ce qui la rend potentiellement plus élastique aux prix. Aux
Etats-Unis, le nombre de forages et les demandes de nouveaux permis
sont en baisse depuis le mois de novembre 2014. L’AIE estime que la
réduction de ces investissements dans le pétrole de schiste devrait
conduire à limiter la croissance de la production et donc à rééquilibrer
le marché à partir du second semestre. Cependant, certains experts font
remarquer que les forages sont avant tout suspendus dans les zones les
moins productives, l’impact sur le niveau de production pouvant ainsi
s’avérer au final plus faible que ne le laisse présager la baisse du
nombre de forages.
L’AIE
prévoit une baisse de la croissance de la production à moyen terme,
entraînée par la réduction des investissements dans le secteur
pétrolier. La capacité de production mondiale devrait ainsi atteindre
103,2 millions de barils jour en 2020, soit une croissance annuelle de
860.000 barils jour de 2015 à 2020, ce qui représente une baisse par
rapport aux perspectives estimées en 2014 (+1,8 million de barils jour
par an).
L’AIE
s’attend d’autre part à ce que la consommation mondiale de produits
pétroliers poursuive une croissance modérée en 2015 (+1 %), la faible
croissance de l’économie limitant l’effet de la baisse des prix. La
demande devrait passer de 92,4 millions de barils jour en 2014 à 99,1
millions de barils jour en 2020 (+6,6 millions de barils jour). Elle
augmenterait ainsi de 1,2 % par an d’ici 2020, moins fortement qu’entre
2001 et 2007 (+1,9 %).
En
supposant inchangé le niveau de production de l’OPEP, l’AIE envisage
donc un rééquilibrage du marché dès le second semestre 2015. A moyen
terme, l’AIE considère qu’un relèvement du niveau de production de
l’OPEP sera nécessaire dès 2018 pour assurer la satisfaction de la
demande.
Il
est toutefois à noter l’ampleur modérée en définitive de l’excédent de
l’offre par rapport à la demande, à l’origine des déséquilibres actuels.
Une crise dans un pays producteur pourrait ainsi remettre en cause à
tout moment cette situation. Or la baisse des cours du pétrole brut
fragilise la situation budgétaire de certains pays et augmente ainsi les
risques sur leur stabilité, cette situation étant notamment
particulièrement aiguë au Nigéria ou au Venezuela. A l’inverse, un
accord avec l’Iran assorti d’une levée rapide des sanctions ou une
stabilisation de la situation libyenne augmenterait rapidement
l’approvisionnement du marché, et entraînerait possiblement une nouvelle
situation de détente des marchés pétroliers.
2.
Des capacités de production à moyen terme cependant incertaines en
raison des annulations et reports des décisions d’investissement
L’ensemble
des entreprises pétrolières connaissent une réduction de leur
trésorerie et y répondent par des programmes de réduction de leurs
investissements.
Ce décalage
des investissements aura un impact sur les capacités disponibles à
moyen terme, mais également à court terme dans le cas particulier du
pétrole de schiste.
|
L’effet
sur les champs actuellement en production devrait être limité. La
décision d’arrêt d’une unité de production repose sur la comparaison des
coûts opératoires avec les prix, l’ensemble des dépenses réalisées en
amont pour développer l’unité étant désormais des coûts échoués qui
pèsent sur l’opérateur. Les décisions de fermeture n’interviennent
toutefois qu’avec une perspective de prix durablement inférieurs aux
coûts opératoires.
Ainsi que l’a expliqué lors de son audition M. Pierre Terzian : « La
théorie du coût marginale dit que si les prix tombent, à un moment
donné, toutes les productions qui sont plus coûteuses vont s’arrêter et
l’on arrivera à un nouvel équilibre.
« Mais
tant qu’ils peuvent payer les coûts opératoires, étant donné que le
paiement des emprunts est une phase obligée, les producteurs continuent à
produire dans l’espoir que les prix augmenteront dans un avenir proche.
Les producteurs sont piégés par les emprunts et leurs investissements.
Ils produisent même si le prix tombe en dessous de la valeur marginale.
« En
1986, il y a eu la fameuse « guerre des prix ». Les Saoudiens voyaient
leur production chuter puisqu’ailleurs, notamment en Mer du Nord, la
production a augmenté. Ils ont donc cassé leur prix pour reprendre leur
part du marché. Les Saoudiens, en se fiant à la théorie du coût
marginale, pensaient qu’en dessous de 16 dollars le baril, une bonne
partie de la production s’arrêterait en Mer du Nord. Aucun gisement n’a
pourtant fermé, car les banques devaient être remboursées. Seuls les stripper wells
(de petits puits qui produisent moins de 10 barils par jour), ont
arrêté de produire aux Etats-Unis, mais c’étaient des petits puits car
leurs coûts opératoires n’étaient plus couverts. »
Les
champs de production de sable bitumineux les plus onéreux ont
typiquement des coûts opératoires compris dans une fourchette de
30-40 dollars. Des coûts opératoires plus élevés peuvent être rencontrés
pour l’exploitation d’anciens puits ne produisant plus que quelques
barils par jour, l’ensemble de ces puits représentant une production
cumulée d’environ 400.000 barils par an aux Etats-Unis. Une nouvelle
baisse durable des prix semblent nécessaire pour enclencher l’arrêt de
ces unités de production.
Production à des coûts opératoires supérieurs à 40 dollars le baril
Les
conséquences de la chute des cours impactent donc les investissements
dans les projets non encore développés, ainsi que dans l’exploration. La
baisse des cours réduit en effet la trésorerie dont disposent les
compagnies pétrolières, alors même que nombre d’entre elles s’étaient
déjà engagées dans des programmes d’économies pour faire face à
l’inflation des coûts (les coûts d’investissement pour une usine de
liquéfaction de gaz ont été multipliés par 4 entre 2000 et 2013). Cette
inflation des coûts est mesurée par un indice établi par IHS Energy et dont l’évolution a été la suivante.
Augmentation des coûts des investissements pétroliers
Depuis le début de l’année 2015, Shell, BP, Total, Chevron et ConocoPhillips
ont d’ores et déjà annoncé des programmes de réduction de leurs
investissements supérieurs à 10 % pour l’année 2015. Il est probable que
les compagnies nationales des pays producteurs lancent également des
plans d’économie, celles-ci étant également touchées par les contraintes
de trésorerie. L’Aramco a ainsi expliqué par le contexte
économique la suspension des opérations d’exploration qu’elle menait en
Mer Rouge. A ce jour, les réductions annoncées correspondent à des
décalages d’investissement, plutôt qu’à des annulations définitives. La
plupart de ces décisions de décalage d’investissements n’auront pas de
conséquence avant 2017-2018 sur le niveau de la production, un projet
pétrolier classique nécessitant un délai de plusieurs années entre la
décision finale d’investissement et le démarrage de la production.
b.
Un impact en principe beaucoup plus rapide pour l’huile de schiste,
sous réserve du délai entre la réduction du nombre de forages et son
effet sur la production
Par
rapport à ce schéma, qui est celui des hydrocarbures conventionnels, la
production de pétrole de schiste constitue une exception fondamentale.
Le profil de production d’un puits y décroit en effet très rapidement, la production d’un puits foré dans le bassin d’Eagle Ford
étant par exemple divisée par trois entre la première et la deuxième
année contre une réduction de 9 % pour un puits classique.
L’exploitation d’un champ de pétrole de schiste nécessite donc de mettre
constamment en production de nouveaux puits. Le niveau de production de
ce type de champs est ainsi davantage sensible à l’évolution des cours.
Les données disponibles sur l’utilisation des appareils de forage
mettent en évidence une réduction de plus de 30 % par rapport à novembre
2014 du nombre de puits en cours de forage aux Etats-Unis. Le graphique
suivant illustre la réduction au fil des mois du nombre des appareils
de forage en activité aux Etats-Unis.
Source : Centre des hydrocarbures non conventionnels
La
baisse des forages concerne l’exploration et ce n’est qu’au fur et à
mesure de la réduction de la production des puits en activité et de leur
moindre remplacement que la production s’ajuste.
Par
conséquent, l’impact de la baisse des forages sur le niveau de
production n’est pas immédiat et fait actuellement l’objet de nombreuses
discussions, la localisation des forages et la réalisation des
opérations de fracturation entrant en ligne de compte. Sur la base d’un
modèle simplifié, l’IFPEN montre toutefois qu’une réduction de 40 % des
forages pourrait aboutir à un arrêt de l’augmentation de la production
de pétrole de schiste aux Etats-Unis.
Le
maintien de la production américaine, qui a même continué à augmenter,
montre une certaine invertie, et l’OPEP, dans son bulletin mensuel de
mars, n'envisage d’ailleurs pas de diminution de la production
américaine avant la fin de l’année.
La graphique suivant montre la simulation de la production américaine selon le nombre de forages.
Un
élément de moindre fluidité doit aussi être noté : l’importance de la
vente à terme de la production dans le secteur fait que de nombreux
opérateurs continuent de vendre aux Etats-Unis à des prix plus élevés
que les actuels prix de marché.
Lors des auditions menées en février 2015, tant M. Jean-Louis Schilansky que M. Olivier Appert ont mentionné ce point.
Compte-tenu
de ce contexte de réduction des investissements, l’AIE a revu à la
baisse les perspectives de capacité de production, y compris dans les
pays de l’OPEP, réduisant tout particulièrement les perspectives de
l’Angola, du Nigéria et de la Libye.
Du
fait de cette révision à la baisse des perspectives de production dans
les pays hors OPEP, l’AIE considère désormais qu’un relèvement du niveau
de production de l’OPEP sera nécessaire dès 2018 pour assurer la
satisfaction de la demande.
F.
LE PRIMAT, EN L’ÉTAT, DE L’HYPOTHÈSE ÉCONOMIQUE, SUR L’HYPOTHÈSE
POLITIQUE POUR INTERPRÉTER AVEC CERTITUDE DU REFUS DE L’ARABIE SAOUDITE
DE RÉDUIRE SA PRODUCTION LORS DU SOMMET DE L’OPEP LE 27 NOVEMBRE DERNIER
A
la suite de la crise financière de 2008, et à la chute des cours du
pétrole brut qui l’avait suivie, les pays membres de l’OPEP avaient pris
la décision de réduire de 4,8 millions de barils jour les quotas de
production de l’organisation.
Tel
n’a pas été le cas lors de la réunion des pays membres de l’OPEP du 27
novembre 2014, première depuis le début de la chute des cours du pétrole
brut en juin 2014. Celle-ci s’est soldée par la décision de laisser
inchangés les quotas de production à 30 millions de barils jour pour les
six premiers mois de 2015, soit 1 million de barils jour au-dessus du
niveau estimé par l’Organisation pour équilibrer le marché.
Celle-ci s’est ainsi alignée sur la position défendue par l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et le Koweït.
D’autres
pays membres de l’organisation au budget plus fragile, notamment le
Venezuela, l’Algérie et l’Iran, défendaient au contraire une baisse des
quotas de production afin de faire remonter les cours du brut, comme en
2008.
En
dépit des demandes répétées des pays les plus fragiles budgétairement
et de l’adoption d’un budget saoudien en déficit pour l’année 2015,
l’Arabie Saoudite continue de défendre la position décidée par l’OPEP en
novembre 2014, expliquant que la correction du déséquilibre
offre-demande doit être réalisée par le marché à travers une réduction
des productions présentant les coûts les plus élevés. Ce message de
l’Arabie Saoudite est également relayé par les Emirats Arabes Unis et le
Koweït.
L’impact
de la baisse des prix du pétrole sur les exportations saoudiennes est
très important, de l’ordre de 5 à 10 %, mais on estime que le royaume
peut tenir avec les prix actuels environ 5 ou 6 ans, c’est également le
cas pour le Koweït, le Qatar ou les Emirats.
L’Arabie
a pu d’ailleurs verser deux mois supplémentaires, soit 30 milliards de
dollars de compléments de salaires et de prestations sociales lors de
l’entrée en fonction du nouveau roi.
Cette
décision de l’OPEP a été largement commentée avec deux hypothèses
notamment éminemment politiques : l’une sur la volonté de mettre en
difficulté tant l’Iran que la Russie.
Pour
l’Iran, qui ne dispose pas de réserves financières comme l’Arabie
saoudite, l’objectif serait d’affaiblir le pays jugé menaçant et
d’interférer le plus possible pour éviter l’accord nucléaire permettant
une évolution des relations irano-américaines. Pour la seconde, comme
pour l’Iran d’ailleurs, ce serait pour punir et affaiblir le soutien à
Bachar el Assad.
La décision saoudienne est également un moyen d’affaiblir Daech qui trouve une partie de son financement dans le pétrole.
Ce
serait renouveler le « coup politique » du contre choc pétrolier de
1986, où l’asséchement des recettes d’exportation de l’URSS et de l’Iran
ont conduit à la fin de la guerre Iran-Irak en 1988 et à la chute du
Mur en 1989, l’URSS ne pouvant plus faire face.
Le
deuxième objectif serait d’ordre économique et politique : il viserait à
mettre en difficulté la production pétrolière américaine non
conventionnelle, rétablissant par la même occasion un intérêt direct des
Etats-Unis pour la région du Golfe.
En
fait, il ressort des différents entretiens que sans que l’on puisse
avoir de certitude, la stratégie saoudienne repose sur une approche
économique et commerciale, les bénéfices politiques de la décision étant
bienvenus, mais secondaire.
Si
l’OPEP avait pris le 27 novembre dernier une décision de réduction de
sa production, l’effort aurait porté sur l’Arabie saoudite.
Or, l’origine de chute de cours est une surproduction, et non une chute de la consommation. Par conséquent, l’Aramco
aurait perdu des parts de marché au bénéfice d’autres producteurs sans
possibilité pour elle de les récupérer à terme puisqu’il n’y a ni chute
brutale de la demande donnant ensuite lieu à un mouvement inverse ni non
plus de perspective de croissance du marché pétrolier mondial pour des
raisons économiques comme pour des motifs tenant à la transition
énergétique engagée pour lutter contre le changement climatique.
De plus,
lorsque l’Arabie Saoudite a déjà expérimenté cette problématique au
début des années 1980, divisant par près de trois sa production pour
compenser la montée en puissance des bassins de Mer du Nord et du Golfe
du Mexique, elle n’a pas pour autant réussi à soutenir les cours sur le
long terme.
En
complément de cette volonté de ne pas assumer seule l’équilibrage du
marché, une autre explication à la position de l’Arabie Saoudite tient à
la situation de l’OPEP. Cette organisation risque en effet d’être
prochainement confrontée à la volonté d’augmentation de la production de
certains de ses membres. L’Irak a d’ores et déjà des projets importants
de développement de sa production, qui pourrait atteindre, d'après
l'AIE, 4,6 millions de barils jour en 2020 et 6,7 en 2030 contre 3,1 en
2013. L’Iran pourrait augmenter sa production de 1 million de barils
jour en cas d’accord sur le dossier nucléaire et de levée des sanctions
internationales. A plus long terme, la production libyenne pourrait
retrouver le niveau qu’elle avait avant les troubles intérieurs survenus
en 2011. Par conséquent, une décision de réduction des quotas de
production de l’OPEP est ainsi difficilement compatible avec les
volontés d’augmentation de certains pays membres.
En
conclusion, la motivation géopolitique de la décision de l’Arabie
Saoudite est donc plus incertaine. La pression sur les prix a pour effet
d’affaiblir les revenus des pays chiites, l’Iraq et l’Iran, mais aussi
ceux de la Russie qui a manifesté son soutien au pouvoir en place en
Syrie. Ces éléments ont pu certes être bienvenus dans la prise de
décision, mais la justification de l’Arabie saoudite sur des bases
économiques paraît satisfaisante. Dans l’hypothèse où l’affaiblissement
de certains pays serait la motivation principale de l’Arabie Saoudite,
celle-ci aurait d’ailleurs pu augmenter sa production en utilisant ses
capacités excédentaires et tel n’a pas été le cas, l’Arabie Saoudite se
contentant de maintenir son niveau de production autour de 9,5 millions
de barils jour.
En
tout état de cause, on estime que les réserves font que l’Arabie
saoudite peut soutenir pendant plusieurs années des cours déprimés.
Quant
à la thèse d’une stratégie concertée entre l’Arabie saoudite et les
Etats-Unis, elle est peu crédible, car fragilisant la stratégie de plus
grande indépendance énergétique du pays. Il est à noter que les
Etats-Unis disposent également du levier de la levée des restrictions
d’exportation de pétrole brut pour agir à la baisse sur les cours
mondiaux et ne l’ont pas utilisé.
G.
L’HYPOTHÈSE D’UN ÉVENTUEL CHANGEMENT DU MODE D’AJUSTEMENT DU MARCHÉ
MONDIAL : D’UNE RÉGULATION PAR L’OPEP À UN RÉÉQUILIBRAGE SELON LE COÛT
MARGINAL ?
Parmi
les différents thèmes évoqués lors des auditions complémentaires menées
aux mois de février et de mars, la plus intéressante a été celle d’un
éventuel mode d’ajustement du marché mondial du pétrole.
En
effet, jusqu’à présent, celui-ci a été un marché de grands opérateurs
et de grandes compagnies avec un ajustement de la production cartellisé,
l’OPEP prenant régulièrement des décisions politiques sur ses quotas :
maintien, réduction ou augmentation.
Les capacités de production saoudiennes sont dans ce schéma l’élément d’appoint qui assure la stabilité de l’ensemble.
Un
autre mode de fonctionnement est envisageable, et d’ailleurs c’est
celui qui est conforme à la théorie économique, celui des coûts
marginaux.
Chaque
champ a un coût de production variable dépendant de ses conditions
propres, et les coûts sont très différents d’un type de champ à l’autre.
Les dernières données provenant de l’AIE, mentionnées dans l’étude précité de Natixis intitulée « Et si le prix du pétrole restait durablement bas ? », sont les suivantes :
Coût marginal de la production de pétrole
En dollars par baril
| |
Pétrole conventionnel
|
23
|
Offshore profond
|
52
|
Pétrole de schiste et réservoir compact
|
70
|
Brut très lourd
|
86
|
Sables et schistes bitumineux
|
115
|
Arctique
|
120
|
Source : Natixis d’après l’AIE
Tel n’a pas été pour l’instant le cas, pour trois raisons.
D’abord,
les investissements pétroliers sont très lourds, et la production d’un
puits relève d’un ensemble dont l’inertie est élevée.
Ensuite, le nombre de puits n’est pas très élevé, notamment pour les gisements en offshore.
Enfin, ce ne sont pas sur les coûts complets, mais sur les coûts opérationnels qui comptent comme on l’a vu.
La
donne est changée avec les gisements non conventionnels : ils sont
exploités par un grand nombre d’opérateurs de taille moyenne, aux
Etats-Unis ; le nombre de puits est très important ; le maintien de la
production exige un investissement permanent, en raison de la chute plus
rapide de la production.
Enfin,
contrairement aux attentes, les coûts des gisements non conventionnels
sont assez divers. Certains seraient à des coûts marginaux de l’ordre de
50 à 60 dollars, et d’autres à plus de 70 dollars.
A
l’occasion de la baisse importante du prix mondial du pétrole au cours
des mois d’octobre, novembre et décembre dernier, les niveaux de
rentabilité des gisements non conventionnels ont ainsi été revues à la
baisse et présentés dans le cadre de fourchettes.
Ainsi, un rapport du consultant américain IHS
a estimé en novembre dernier que 80 % de la production d’huile de
schiste prévue pour 2015 avait un prix de revient compris entre 50 et 70
dollars le baril. Par ailleurs, selon les informations publiées dans la
presse économique (Les Echos, 27 novembre 2014), le seuil de rentabilité des puits les moins coûteux des gisements américains de Bakken, Eagle Ford ou Permian sont à moins de 50 dollars le baril.
Par conséquent, on est face à un profil économique où l’ajustement du marché sur le coût marginal peut parfaitement opérer.
Ce
n’est que dans quelques mois cependant que les premiers éléments de
réponse à ce qui n’est encore qu’une hypothèse, seront disponibles.
On peut tout juste observe que pour la première fois, l’Agence américaine d’information sur l’énergie, l’EIA, a anticipé une baisse en mai de la production de pétrole de schiste, de l’ordre de 570.000 barils jour.
La
question est suivie avec la plus grande attention. Dès janvier, l’IFRI a
publié une note de Mme Sylvie Cornot-Gandolphe, intitulée : La révolution des pétroles de schiste aux Etats-Unis : le test du business model est en cours.
La prochaine réunion de l’OPEP en juin fait également l’objet d’importantes spéculations.
III.
LA NÉCESSITE POUR L’UNION EUROPÉENNE ET SES ETATS MEMBRES D’UNE
STRATÉGIE DE SÉCURITÉ D’ACCÈS AUX HYDROCARBURES : DIVERSIFICATION DES
FOURNISSEURS ET DES ROUTES ; EXPLORATION, VOIRE EXPLOITATION, DES
RESSOURCES PROPRES ET DU SOUS-SOL JUSQU'AU GAZ ET AU PÉTROLE DE SCHISTE
1.
La dépendance énergétique de l’Union européenne ira croissant dans les
années futures avec, en l’état, la perspective de l’épuisement du
pétrole de la Mer du Nord comme des gisements de gaz de Norvège et de
Groningue
Comparativement
à sa population, l’Europe n’a pas été bien dotée en matières premières
énergétiques, si ce n’est en charbon, lequel n’est plus utilisé qu’en
Allemagne, en Pologne et au Royaume-Uni. Actuellement, la dépendance
énergétique de l’Union européenne est caractérisée par deux types
d’indicateurs clefs.
L’indicateur global : l’Union européenne dépend à hauteur de 53 % de l’importation de produits énergétiques étrangers.
Les
indicateurs sectoriels : elle importe 88 % du pétrole brut qu’elle
consomme, 66 % de son gaz naturel, 42 % de ses combustibles solides
comme le charbon, ainsi que 95 % de son uranium.
L’Europe
est même dépendante en matière de renouvelables, puisqu’une partie
majeure des équipements, éoliennes et panneaux solaires, est fabriquée
en Chine.
Cette
dépendance énergétique soulève d’autant plus de difficultés qu’elle ira
croissant en matière d’hydrocarbures pour trois raisons.
La
première tient à l’épuisement des gisements traditionnellement
exploités, qu’il s’agisse de ceux du Royaume-Uni ou hors de l’Union
européenne, de la Norvège, qui est l’une de ses sources
d’approvisionnement essentielles.
Pour
ce qui concerne le pétrole de la Mer du Nord, l’Agence internationale
de l’énergie observe que l’actuelle production de la Norvège et du
Royaume-Uni, qui est de 3,3 millions de barils jour actuellement
pourrait baisser à 2,2 millions de barils jour à l’horizon 2040.
Récemment, la découverte d’un gisement de pétrole au Sud de Londres, près de Gatwick,
a relancé les espoirs d’une production conventionnelle britannique très
significative. Cependant, l’estimation initiale de plus de
100 milliards de barils de pétrole de réserves doit être considérée avec
prudence, car il se pourrait qu’une faible partie ne soit exploitable. UK Oil and Gas Investments (UKOG)
a en effet indiqué que la géologie ne permettrait vraisemblablement pas
d’extraire plus de 5 à 15 % du pétrole présent sous terre.
Pour
la Norvège, dont les exportations vers l’Union européenne se sont
élevées à 1,1 million de barils jour en 2013, le pic de production a été
franchi en 2000 et, pour le Royaume-Uni en 1999. L’ouverture de
nouveaux puits loin des côtes ne devrait pas renverser cette tendance.
L’exploitation du Grand Nord, de la Mer de Barents, s’annonce difficile
pour la Norvège. La mise en exploitation du premier gisement Goliath
a été retardée en 2015 et en tout état de cause le production attendue
de pétrole est de quelques 170 millions de barils sur une période de
quinze ans, soit une production attendue de 93.000 barils jours à son
pic, prévu pour la deuxième année.
Le
gaz naturel de la Mer du Nord a fait de la Norvège le septième
producteur de gaz naturel, avec 109 milliards de mètres cubes et 3,1 %
de la production mondiale, et le troisième exportateur, à raison de 103
milliards de mètres cubes en 2013. Celle-ci est le deuxième fournisseur
de l’Union européenne après la Russie. Cependant, de manière lente mais
sensible, ses gisements tendent aussi à diminuer et elle est prévue
pour atteindre 90 % de l’actuelle en 2040, selon l’Agence internationale
de l’énergie.
Le
gisement de Groningue, découvert en 1959, a permis aux Pays-Bas de
produire 86 milliards de mètres cubes de gaz en 2013, ce qui en fait le
huitième producteur mondiale, et d’en exporter 40, au septième rang
mondial. La production, qui passe par des pics et des creux depuis
plusieurs années, est estimée devoir décliner à partir de 2020.
2. La relation de l’Union européenne avec son premier fournisseur de pétrole et de gaz, la Russie, est de plus en plus complexe
Les
relations énergétiques entre la Russie et l’Union européenne sont un
héritage de la Guerre froide, mais aussi la conséquence logique de leur
complémentarité économique.
La
Russie dispose des matières premières ; l’Union européenne fabrique des
produits industriels et réalise des prestations de services dont a
besoin la Russie, et dispose également de la technologie dont elle a
besoin pour la mise en valeur de ses ressources naturelles.
D’abord, ce sont les achats de pétrole soviétique par l’ENI, avec un voyage à Moscou de son président, Enrico Mattei, en 1959.
Ensuite,
progressivement les échanges se tournent vers le gaz naturel, avec deux
pays privilégiés. Le premier importateur de gaz soviétique au-delà du
rideau de fer est l’Autriche, dès 1968, par le gazoduc Bratsvo. Le deuxième est l’Allemagne, dans le cadre de l’Ostpolitik,
avec l’accord « tuyaux contre gaz » au début des années 1970. C’est le
modèle d’échange qui va permettre de développer aussi la desserte des
pays satellites de l’Union soviétique, selon un schéma qui ne concernait
auparavant que la Pologne, depuis 1949.
Par
la suite, de nouveaux gazoducs atteignent l’Autriche pour alimenter dès
1974 l’Autriche et l’Italie, ainsi d’ailleurs que la Tchécoslovaquie,
et ensuite, les deux Allemagnes et la France entre 1974 et 1979.
Les
relations se développent ensuite malgré le refroidissement des
relations après l’invasion de l’Afghanistan et les événements de Pologne
dans les années 1980.
b. La Russie premier fournisseur d’un client européen, incontournable, pour elle, avec l’Allemagne au premier rang
La
Russie est le fournisseur privilégié de l’Union européenne en
hydrocarbures, gaz et pétrole. Or, ceux-ci représentent respectivement
34 et 23 % du bouquet énergétique européen comme l’indique le graphique
suivant.
Bouquet énergétique européen en 2012 – énergie primaire
Source : Eurostat
Pour
ce qui concerne le pétrole brut, le taux de dépendance européenne s’est
accru est passé de 73 % en 1995 à 87,8 % en 2012, selon Eurostat.
Les importations se sont élevées à 523 millions de tonnes en 2012, dont
la plus grande part venant de Russie, à raison d’un tiers (34 % plus
exactement). Les autres fournisseurs sont répartis de manière plus
homogène : 11 % pour la Norvège ; 9 % pour l’Arabie saoudite ; 8 % pour
la Libye et le Nigéria ; 5 % pour le Kazakhstan et 4 % pour l’Irak et
l’Azerbaïdjan. C’est ce qu’illustre le diagramme suivant.
Origine du pétrole brut importé par l’Union européenne en 2012
Source : Eurostat
Ce sont donc 178 millions de tonnes de brut qui sont venus de Russie en 2012.
Pour
ce qui concerne le gaz naturel, les importations totales de l’Union se
sont élevées à 12,824 millions de terajoules, soit 344 millions de
tonnes équivalent pétrole ou encore 382 milliards de mètres cubes. Les
deux principaux fournisseurs ont été la Russie, à raison de 32 % des
importations, et la Norvège, avec 31 %, puis l’Algérie (13 %) et le
Qatar (8 %).
Origine du gaz naturel importé par l’Union européenne
Source : Eurostat
Les
volumes ont été plus précisément les suivants : 122 milliards de
mètres cubes pour la Russie, 118 pour la Norvège, 50 pour l’Algérie et
30 pour le Qatar. Les livraisons russes sont celles de Gazprom.
En 2013, les quantités importées de Russie en Europe ont été un peu
supérieures, à raison de 134 milliards de mètres cubes environ, hors
Turquie, selon Gazprom. Dans l’ensemble européen, auquel on peut
ajouter la Turquie, les principaux clients de la Russie sont
l’Allemagne, à raison d’un quart, et même d’un tiers des exportations
russes vers l’Europe, hors Turquie, et l’Italie, comme le montre la
graphique suivant.
Ventilation des exportations de gaz naturel russe par pays de destination
Sur
le plan politique, la relation avec la Russie est perçue différemment
par les différents pays européens : les pays de l’ancien bloc soviétique
sont très dépendants du gaz russe, et souhaitent se défaire de cette
dépendance ; les pays d’Europe de l’Ouest le sont moins.
Le
graphique suivant fait apparaître le niveau de dépendance tant
vis-à-vis du gaz russe, que vis-à-vis du gaz naturel, avec sa part dans
le bouquet énergétique. Ce sont la Lituanie, la Lettonie et la Slovaquie
qui sont les plus dépendantes globalement de la Russie.
Dépendance des Etats membres vis-à-vis de la Russie
Source : Commission européenne
A
l’opposé, l’Union européenne est pour la Russie un client
incontournable puisqu’elle est son premier client tant pour le pétrole
que pour le gaz et que ces produits énergétiques représentent les deux
tiers de ses exportations. La moitié des exportations énergétiques
russes est en effet destinée à l’Union européenne. Cette proportion est
supérieure à celle des exportations russes vers l’Union européenne qui
est de 44 %.
Pour
ce qui concerne le pétrole, les données de l’Agence américaine
d’information sur l’énergie montrent que 79 % des exportations de brut
russe sont destinées à l’Europe au sens large, car comprenant également
les pays frontaliers de l’Union européenne.
Plus
précisément, les premiers clients de la Russie ont été en 2012
l’Allemagne et les Pays-Bas, ainsi que la Pologne. La Chine n’a été que
le troisième importateur.
Le graphique suivant récapitule ces éléments.
Exportations de brut russe par pays de destination
Source : EIA
Pour ce qui concerne le gaz, l’Union européenne est le premier client de la Russie. Selon le BP Statistical Review,
la Russie a exporté 185,9 milliards de mètres cubes de gaz naturel par
gazoduc et 14,8 sous forme de GNL, soit un total de 200,7 milliards de
mètre cubes.
Sur
ce total, l’Union européenne représente donc l’essentiel, presque les
deux-tiers, sachant que le reste, a été essentiellement destiné à la
Turquie (24,5 milliards de mètres cubes), à l’Ukraine (29,8 milliards de
mètres cubes) et au Belarus (18,3 milliards).
L’Asie
a été marginale avec 11,3 milliards de mètres cubes de GNL vers le
Japon, 3 milliards vers la Corée du Sud et un très modique 0,5 milliard
vers la Russie.
L’asymétrie
perçue par les Européens entre le pétrole, dont on parle peu dans le
cadre des relations politiques avec l’Union européenne, et le gaz, qui
est au plus haut niveau de l’agenda politique tient comme on l’a vu à ce
que le marché du pétrole est mondial, alors que celui du gaz naturel
est contraint par les infrastructures et les contrats de long terme.
Elle est cependant aussi existante du côté russe où l’Union européenne est le seul client ou presque.
c.
Une relation difficile en raison de la divergence entre l’approche
économique de l’Union européenne et l’approche politique de la Russie et
de Gazprom : la crainte de la « coupure du robinet » ; le sentiment
d’une instrumentalisation possible de l’énergie dans le conflit
ukrainien ; la difficulté russe à se plier aux règles du marché
intérieur ; la mise en avant récente par la Russie des alternatives
chinoise et turque
i. La divergence sur la nature des échanges d’hydrocarbures
Comme l’a fort bien exprimé lors de son audition M. Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut Thomas More, « les
visions qu’ont les Russes et les Européens de l’énergie divergent. Du
côté européen, la conception de l’énergie est surtout économique, ce que
l’on a cherché à faire prévaloir avec la charte de l’énergie de 1991.
Ce sont des principes de liberté, de concurrence, d’approvisionnement
sans entrave. C’est une vision dépolitisée de l’énergie. Du côté russe,
l’énergie est un moyen et un outil de puissance. Les exportations en
matière énergétique sont une matrice de puissance, selon un « triangle »
mis en place entre l’énergie, les ressources en devises assurée par les
exportations et le financement de la politique extérieure russe. Les
exportations financent le budget et par conséquent le militaire et la
politique extérieure russe. »
ii.
Les livraisons de gaz aux Etats membres de l’Union européenne : la
crainte d’une instrumentalisation politique au prisme des crises
ukrainiennes
Le
débat des années 1970 sur le risque politique des approvisionnements en
gaz russe, qui avait disparu avec la fin de la Guerre froide et la
chute du Mur de Berlin, a resurgi dans le contexte très politique des
crises ukrainiennes. L’Ukraine est en effet un pays de transit essentiel
puisqu’environ la moitié du gaz russe destiné à l’Union européenne y
passe. L’un des principaux gazoducs la traverse, comme l’indique la
carte suivante.
Source : Le Monde
Plus précisément, sur les trois gazoducs desservant l’Europe, la capacité de Nord Stream
est de 55 milliards de mètres cubes par an, celle de Yamal à travers le
Belarus, mais avec une branche vers l’Ukraine, de 33 milliards de
mètres cubes, et celle du gazoduc de la fraternité, Brotherhood, à travers l’Ukraine, de 145 milliards de mètres cubes.
Quant à South Stream, il était prévu que son gabarit permette le transport de 64 milliards de mètres cubes par an.
Lors
de la première crise ukrainienne en 2006, aucune interruption
d’approvisionnement n’est intervenue. Le débit en direction de l’Union
européenne a uniquement été réduit, mais le conflit a été rapidement
réglé entre l’Ukraine et la Russie.
En revanche, tel n’a pas été le cas en 2009. Après une réduction des flux à partir du 1er janvier 2009, la Russie a interrompu ses livraisons du 7 au 26 janvier 2009, au cœur de l’hiver.
Les
motifs ont été comme on l’a vu les difficultés sur la fixation du prix
du gaz livré à l’Ukraine et le paiement de la dette gazière ukrainienne.
En
2014, cette année, la Russie a interrompu ses livraisons de gaz à
l’Ukraine dès la mi-juin et ce n’est qu’avec la conclusion d’un accord
le 30 octobre, accord qui n’est d’ailleurs valable que jusqu’en mars
2015, ce qui impliquera alors de nouvelles négociations entre la Russie
et l’Ukraine, ainsi que l’Union européenne qui y prend part.
L’annexion
illégale de la Crimée en mars dernier puis le soutien de la Russie, en
dépit des dénégations officielles, aux séparatistes de l’Est du pays,
sont en arrière-plan.
En
dépit des déclarations russes sur la fiabilité des livraisons, l’Union
européenne et ses Etats membres se sentent pris en otage des relations
pour le moins complexes entre la Russie et l’Ukraine.
L’aspect
énergétique n’est en effet qu’un volet des relations entre les deux
pays, avec en arrière-plan le refus de la Russie de laisser l’Ukraine se
rapprocher trop fortement de l’Union européenne et encore davantage de
l’OTAN.
De
même, la logique politique prime sur la logique économique dans
relations avec la Russie, comme le montre les nouveaux tracés des
nouveaux gazoducs, visant à établir une relation directe entre la Russie
et les grands pays consommateurs de l’Ouest.
La construction du gazoduc Nord Stream
entre la Russie et l’Allemagne via la Baltique a été perçue par les
Etats d’Europe centrale et orientale, dont la Pologne, clairement
contournée, comme une opération permettant à l’Allemagne de ne pas
souffrir des éventuelles dissensions entre la Russie et les pays de
transit.
De même, South Stream,
récemment abandonné par la Russie, visait à contourner l’Ukraine via la
Mer Noire en rejoignant directement le Sud de la Russie à la Bulgarie
en passant au large de la Crimée.
iii. La difficulté réitérée et encore récemment confirmée de Gazprom à respecter les règles du marché intérieur
Comme
celui de l’électricité, le marché intérieur du gaz s’est construit
autour du principe de la libéralisation et plus précisément de
transparence et de concurrence. Trois directives sont intervenues, dans
le cadre de chacun des trois « paquets énergie » : la directive 98/30/CE
du 22 juin 1998, la directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 et la
directive 2009/73/CE du 13 juillet 2009.
Il
s’agit de mettre fin à des marchés régis par des accords bilatéraux et
des prix qui favorisent tant les pays fournisseurs, notamment la Russie
et l’Algérie, préservés de la concurrence, que les opérateurs
historiques. Le contexte y invite alors pour deux raisons : d’abord, en
1998, la mise en service de l’interconnecteur gazier de Zeebruge, entre
le Royaume-Uni et la Belgique, a permis de relier le marché insulaire,
déjà libéralisé et excédentaire, avec la cotation du gaz et un prix de
marché, au marché du continent, réglementé et soumis aux contrats de
long terme. Le choix de Zeebruge, qui dispose d’un terminal de GNL, et
qui est le point d’arrivée tant du gazoduc venant des Pays-Bas que celui
provenant de Norvège, fait du port belge le premier marché du gaz en
Europe.
L’un des principes de base est la séparation patrimoniale, l’unbundling,
avec la gestion autonome et transparente du réseau de transport, de
manière que les tiers y aient accès pour une concurrence effective entre
les distributeurs de gaz.
En
France, l’application de la réforme conduit non seulement à la fin du
monopole de l’opérateur historique Gaz de France, mais aussi à la
création des deux transporteurs sous forme de sociétés séparées : GRTgaz
et TIG F. En 2007, c’est la fusion entre l’opérateur historique GDF et
Suez, qui donne lieu à l’actuelle entreprise GDF Suez.
Pour sa part, Gazprom a éprouvé des difficultés à se plier à ce régime.
D’abord, dès 1993, Gazprom établit avec Wintershall, filiale énergétique de BASF, qui a entamé en 1990 des négociations pour contourner le monopole de Ruhrgas sur le marché allemand, une joint venture, Wingas, pour distribuer le gaz russe sur le marché allemand.
Cette entreprise partagée permet à Gazprom
de connaître les coûts de l’aval de la filière, et ainsi de se mettre
dans une position très favorable pour les négociations avec ses autres
partenaires européens, lesquels sont, eux, totalement ignorant sur les
coûts de l’amont. Cette stratégie est continue, comme l’a indiqué lors
de son audition M. Jacques Percebois : « La Russie est présente dans
l’ensemble de la chaîne gazière, ce qui permet de bien connaître les
différents coûts de la chaine qui va de l’exploration à la
commercialisation du gaz. Gazprom a pris des participations en Europe
dans des entreprises de transport et de distribution de gaz et en
appréhende ainsi très bien les différents coûts. C’est important du
point de vue stratégique dans les négociations avec les acheteurs
européens. »
C’est ainsi que s’explique la présence actuelle de Gazprom dans la production, le trading,
les contrats d’approvisionnement, la commercialisation directe et même
le stockage, avec des sites en Allemagne, notamment. La capacité de
stockage de Gazprom en Europe dépasserait les 10 milliards de mètres cubes.
La liste des différentes filiales de Gazprom serait trop longue à récapituler ici, mais il n’est pas exagéré que l’entreprise a une véritable stratégie d’aval.
Elle a eu des difficultés avec la Commission européenne sur trois éléments.
D’abord, la Commission européenne a ouvert une enquête en 2009 à propos du gazoduc OPAL (Ostsee-Pipeline-Anbindungsleitung),
d’une capacité de 36 milliards de mètres cubes, assurant la liaison
entre la Baltique et la République tchèque via l’Allemagne, et
permettant ainsi de contourner l’Ukraine par Nord Stream. Le régulateur allemand venait en effet d’accorder à l’entreprise exploitante OPAL Gastransport,
filiale de Gazprom et de la compagnie allemande Wintershall, a reçu une
exemption en 2009 permettent de conserver la capacité du gazoduc pour
son seul usage pendant 22 ans. En définitive, l’exemption a été accordée
pour la moitié, mais invoquant la sécurité d’approvisionnement de
l’Union européenne, Gazprom a demandé un meilleur accès puisqu’aucun opérateur ne s’est manifesté pour utiliser la capacité non utilisée.
L’affaire
a été close lorsque le 28 janvier dernier, dans le cadre de sa
stratégie visant à faire passer la plupart de ses livraisons de gaz à
destination de l'Europe par une nouvelle voie de transit en Turquie, Gazprom a retiré sa demande d’appliquer des règles d'accès spéciales à OPAL.
Ensuite, en 2012, la Commission européenne a ouvert une enquête contre Gazprom
pour infraction aux règles du marché intérieur et plus précisément abus
de position de dominante et entrave à la concurrence en Europe centrale
et orientale, tant en raison des clauses de destination, qui empêchent
la réexportation du gaz vers un autre pays, que des clauses d’indexation
sur le pétrole, qui imposent des prix injustifiés, et que des barrières
à « la diversification de l’approvisionnement en gaz », découlant de clauses obligeant à utiliser les infrastructures de Gazprom.
Dès
septembre 2011, des enquêtes inopinées étaient intervenues dans
certaines entreprises gazières européennes, en raison des soupçons
pesant sur Gazprom.
En
septembre dernier, le Commissaire européen Joaquin Almunia a annoncé la
suspension du dossier, dans le contexte déjà tendu de la crise
ukrainienne, des sanctions contre la Russie et aussi du gazoduc South Stream.
Le
22 avril dernier, la procédure a été relancée. La Commissaire
européenne à la Concurrence, Mme Margrethe Vestager, a demandé à Gazprom
de répondre dans les mois qui viennent aux griefs qu’elle lui a
communiqués. Il s’agit d’un abus de position dominante et de pratiques
anticoncurrentielles, avec trois éléments en cause : les clauses de
destination, qui interdisent la réexportation du gaz vers un autre Etat
membre, ou la nécessité d’une autorisation préalable pour une telle
opération ; une politique déloyale en Bulgarie, en Estonie, en Lettonie,
en Lituanie et en Pologne, avec des tarifs de facturation très élevés
aux distributeurs ou « grossistes », notamment en raison de l’indexation
pétrole, et l’obligation pour ces mêmes distributeurs ou « grossistes »
d’utiliser les infrastructures de Gazprom.
Dans l’ensemble, Gazprom
est mis en cause pour ses activités en Bulagrie, en République tchèque,
en Estonie, en Hongrie, en Lettonie, en Lituanie, en Pologne et en
Slovaquie, selon l’agence Europolitics.
L’amende encourue par Gazprom est de 10% de son chiffre d’affaires, soit 9,3 milliards d’euros, selon les éléments publiés.
Enfin, Gazprom a été en difficulté avec la Commission européenne à propos du projet South Stream
de gazoduc reliant directement le Sud de la Russie à la côte bulgare en
passant par la Mer noire, et ensuite, en sortant de la Bulgarie par la
Serbie pour atteindre ensuite la Hongrie.
Tracé du projet South Stream
D’un montant de 38 milliards de dollars, le projet South Stream a contrarié le projet européen Nabucco
d’accès aux gisements de la Caspienne par la Turquie, dont il a été
vite été perçu comme un concurrent. Il a été lancé en 2007 par Gazprom et par l’ENI. EDF y a ensuite pris une participation de 10 %.
Ce
projet a fait l’objet pour son transit à travers l’Europe central
d’accords intergouvernementaux, notamment avec la Bulgarie, dès 2008,
mais aussi avec l’Autriche, l’Italie, la Grèce, la Hongrie, la Croatie,
la Slovénie.
Ces
accords ont été jugés contraires au « troisième paquet énergie » et à
la séparation patrimoniale par la Commission européenne, qui a déclaré
qu’elle n’était pas opposée au projet, mais qu’elle demandait le respect
de la législation de l’Union européenne. C’est la position qui a été
défendue par le commissaire à l’énergie, M. Gunther Oettinger.
Au
début du mois de juin dernier, la Commission européenne a ouvert une
procédure d’infraction contre la Bulgarie pour défaut de respect des
règles de concurrence et de marchés publics. La Bulgarie a alors annoncé
suspendre les travaux dans l’attente de la décision de la Commission,
étant considéré que des discussions techniques directes entre la Russie
et la Commission était organisée depuis mars. Le 3 décembre dernier, le
président Vladimir Poutine a annoncé l’abandon du projet, avec le choix
de l’approvisionnement de l’Union européenne via la Turquie comme alternative.
Sans
aller jusqu’à suivre l’opinion de M. Jean-Sylvestre Mongrenier, qui
rappelle que le président Poutine semble pratiquer la manœuvre
de Gengis Kahn, laquelle consiste à renforcer ses appuis à l’Est pour
mieux affronter l’Ouest, il faut constater que la Russie, dont le passé
de deuxième plus grande puissance a donné une expérience réelle en
matière de grande stratégie, pratique actuellement un mouvement de
bascule vers l’Asie et plus précisément vers la Chine.
Certes,
les motifs économiques l’y conduisent. Le marché énergétique est atone
en Europe pour les hydrocarbures, non seulement en raison de la faible
croissance, mais aussi en raison de la stratégie énergie-climat.
Néanmoins,
il y a aussi dans les accords conclus avec la Chine une dimension très
politique qui consiste à montrer à l’Europe qu’elle n’est pas le seul
client.
La
stratégie de basculement de la Russie vers l’Asie a commencé en 1994
lorsqu’un accord de partage de production a été signé entre le
Gouvernement et Sakhalin Energy¸ société ad hoc créée par Shell (55 %), Mitsui (25 %) et Mitsubishi (20 %). Elle s’est concrétisée avec les deux contrats signés en 2003 avec deux entreprises gazières japonaises, Tokyo Gas et Tokyo Electric, pour l’exportation de GNL à partir de l’île de Sakhaline, vers le Japon d’abord. En 2006, Gazprom s’est réintroduite dans le jeu en devenant actionnaire majoritaire, à 50 % plus une action.
C’est
néanmoins vers la Chine que se déploie actuellement la stratégie russe.
Passé un peu inaperçu, un accord pétrolier a été conclu en juin 2013
entre Rosneft et CNPC (China National Petroleum Corp.) pour un
total de 360 millions de tonnes sur 25 ans, et un montant annoncé de 270
milliards de dollars. Il a concrétisé un accord entre les deux
gouvernements conclus au mois d’avril précédent. Pour sa part, la partie
russe n’a pas manqué d’indiquer que ce pétrole n’irait pas en Europe en
raison du marché.
En
2014, un autre contrat, qualifié de « contrat du siècle », a été conclu
dans le domaine gazier. A l’issue d’une très longue négociation, de dix
ans, la Russie et la Chine ont conclu un contrat gazier sur 25 ans,
pour 400 milliards de dollars environ et une livraison de 38 milliards
de mètres cube par an.
Ce contrat est assorti de la construction d’un gazoduc, Force de la Sibérie,
d’une longueur de 4.000 kilomètres, et d’une capacité de 61 milliards
de mètres cubes, et d’un coût de 60 à 70 milliards de dollars dont 55
pour Gazprom.
Son tracé ne met pas en concurrence l’Europe et la Chine, car il ne permet que l’exploitation des champs de Sibérie orientale.
Le 9 novembre dernier, un autre accord a été signé pour un autre projet de gazoduc, Altaï, à destination du Xinjiang,
pour une capacité de 30 milliards de mètres cubes par an, provenant des
gisements de Sibérie occidentale qui alimentent déjà l’Europe. Il
devrait encore être confirmé. Le tracé de ces deux gazoducs est
représenté par le schéma suivant.
Source : Rianovosti
Du
point de vue russe, cette diversification des clients ressemble fort à
une mise en concurrence entre l’Union européenne, et son principal
consommateur de gaz russe, l’Allemagne, et la Chine.
Du
point de vue chinois, c’est une optique de poursuite de la
diversification. Comme l’ont relevé tant M. Jean-François Di Méglio et
Mme Valérie Niquet lors de leurs auditions, la Chine a le souci d’une
diversification de ses approvisionnements énergétiques. D’abord, la
Chine reste principalement tournée vers le charbon, et si le gaz naturel
doit être développé, notamment pour des raisons de pollution,
il restera assez marginal. Ensuite, la Chine évite de se lier avec un
fournisseur et préfère la diversification. C’est très clairement dans
cette optique qu’elle a dans les années 1990 développé le secteur au
Soudan. Enfin, comme l’a précisé Mme Valérie Niquet, la confiance
politique n’est pas établie entre les deux pays, au-delà de certaines
convergences d’intérêts :
« Les
relations avec la Russie, les Chinois sont très embarrassés par la
question ukrainienne. Plusieurs opinions se sont exprimées. Certains ont
parlé d’ingérence, et la non-ingérence est une thématique importante
pour la Chine en matière de politique étrangère. Tel avait déjà été le
cas en 2008 au moment du conflit russo-géorgien. En même temps, certains
analystes proches des milieux nationalistes considèrent que la Russie
ose agir alors que tel n’est pas le cas de la Chine. Il y a débat.
« La
Russie souhaite en ce moment mettre en avant le partenariat sino-russe,
pour montrer à l’Occident qu’elle a une alternative, mais persiste un
fond de peur et méfiance réciproque, notamment sur la Sibérie orientale
et le « péril jaune » qui peut resurgir côté russe, et avec une mémoire
historique assez chargée vis-à-vis de la Russie et de l’URSS côté
chinois. L’intérêt commun est certes de s’affirmer et d’affirmer une
alliance et un partenariat face à l’Occident et aux Etats-Unis, mais les
Russes ne souhaitent pas se trouver face aux Chinois comme seul client.
Ils ont ainsi intérêt à conserver les Européens comme clients comme à
entretenir leurs relations avec le Japon, vers lequel il y a des
livraisons de gaz.
« De
même, la Russie et la Chine n’ont pas la même vision sur des enjeux
essentiels. La Russie fournit ainsi des armes au Viêt-Nam, dont les
relations avec son voisin sont tendues. L’Inde est également le premier
partenaire stratégique de la Russie. Enfin, le président Poutine refuse
de prendre position sur les îles Senkaku. L’accord stratégique entre la
Russie et la Chine est donc très limité et même l’accord gazier n’a pas
fait pour l’instant l’objet d’annonces très précises. »
C’est
ainsi une optique d’équilibre et de négociation en position favorable.
On en peut manquer d’observer que la conclusion de ces accords alors
même que les relations de la Russie avec l’Ouest en raison de la crise
ukrainienne sont au plus bas dans le contexte des sanctions, se fait en
situation favorable pour la Chine.
Récemment, le financement des infrastructures nécessaires à l’exploitation du champ de Yamal dans le grand Nord, exploité par Novatek, ainsi que Total
et l’opérateur chinois CNPC, a donné une illustration concrète de ce
jeu de bascule, bien qu’en dehors du champ des sanctions européennes
limitant les transferts de technologies. Novatek est visé par les
sanctions américaines, ce qui empêche les transferts de capitaux et
l’usage du dollar et, en l’absence de financement provenant d’Europe
également, c’est de Chine que pourraient provenir les 10 à 15 milliards
de financements nouveaux nécessaires, selon les éléments publiés, au
développement du projet.
e.
La tentative de jouer la carte de la Turquie, présentée comme le
nouveau point d’accès au gaz russe pour l’Union européenne, contre la
position, équilibrée, du Gouvernement turc
La Russie a clairement cherché à jouer la carte de la Turquie après avoir renoncé à South Stream.
D’abord, c’est lors d’un déplacement en Turquie le 1er décembre que le président Poutine a annoncé l’abandon de South Stream, évoquant la possibilité de rediriger le gazoduc en cours de construction vers la Turquie
Ensuite,
le directeur général de Gazprom, M. Alexeï Miller, a laissé entendre
que les pays européens devraient acheter du gaz à la frontière turque.
C’est le projet parfois appelé Turkish Stream.
C’est aussi à cette occasion que la Turquie a demandé à bénéficier d’un rabais sur le gaz russe, lequel pourrait être de 6 %.
Cette
position a été confirmée depuis par la Russie. Le 14 janvier, après une
réunion à Moscou avec le Commissaire européen chargé de l’énergie,
M. Marcos Sefcovic, M. Miller a indiqué que Gazprom dévierait,
d’ici quelques années, toutes les voies de transit gazier à destination
de l’Europe vers le nouveau projet de gazoduc «Turkish Stream »,
déclaré seule voie pour livrer à l’Europe les 63 milliards de milliards
de gaz russe qui transitent actuellement par l’Ukraine.
Pour
sa part, le Gouvernement turc a fait part de son option pour une
approche plus équilibrée. Le Premier ministre, M. Ahmet Davutoglu a
indiqué que « l’énergie est un grand défi pour l’économie turque,
donc si un gazoduc aboutit en Turquie au départ de n’importe où, nous
voulons obtenir le plus d’énergie possible. Mais pas comme alternative à
l’Ukraine », lors d’une conférence organisée par Friends of Europe, à Bruxelles, le 15 janvier.
Celui-ci
a aussi considéré que la politique turque à l’égard de l’Ukraine repose
sur le principe de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et que
celle-ci restera un pays de transit pour le gaz russe à destination de
l’Europe.
Très récemment, le 21 avril dernier, cette stratégie a été relancée par la visite à Athènes du directeur général de Gazprom, M. Alexeï Miller, pour évoquer notamment le raccordement de la Grèce au Turkish Stream. La
Grèce, qui dépend à 60% du gaz russe et acquitterait 16% en moyenne de
plus que la moyenne des autres pays européens est intéressée par un
rabais.
Cette
stratégie gazière russe relève aussi d’un autre volet, qui les le
rapprochement souhaité entre les deux pays à la suite de la nomination
comme Premier ministre de M. Alexis Tsipras.
3.
L’abondance mondiale des ressources énergétiques reporte toute menace
d’un pic pétrolier, mais n’élimine pas pour autant le risque politique
croissant d’instabilité et donc d’interruption des approvisionnements,
notamment venant d’Afrique, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient
a.
Des réserves énergétiques suffisantes pour démentir les tenants du pic
de ressources, notamment du pic pétrolier, et les craintes de pénurie
exprimées il y a dix ans
Depuis
les diagnostics pessimistes exprimés il y a dix ans, avec même les
discours alarmistes peu crédibles sur la « fin du pétrole » et la
« dernière goutte de pétrole », on constate un
relèvement considérable du niveau des réserves mondiales de gaz et de
pétrole qui reporte encore l’horizon pétrolier et gazier de long terme.
Chaque année les découvertes de nouveaux
gisements de pétrole et de gaz assurent le renouvellement des réserves
de gaz et de pétrole.
C’est l’origine du paradoxe apparent
suivant lequel depuis plus de quarante ans, le monde ne dispose que de
quelques décennies de réserves, mais ne se heurte toujours pas à la fin
du pétrole que certains annoncent.
Comme l’a rappelé M. Pierre Terzian,
directeur de Pétrostratégies lors de son audition, le niveau des
réserves a considérablement augmenté : « Aujourd’hui, nous avons 55
années de pétrole devant nous. Pendant plus de 40 ans, on a produit et
consommé, alors que l’on prévoyait seulement 34 ans. Actuellement, nous
en sommes pourtant à 55 années de réserves prouvées. »
C’est en partie l’effet de l’amélioration des techniques avec l’amélioration du taux de récupération des puits : « Avec
les techniques et prix actuels, on peut produire en moyenne mondiale 33
barils sur les 100. Sur certains gisements, on en arrive à 55 %. Sur
d’autres, on ne dépasse pas 10 %, c’est le cas des pétroles extra lourds
qui sont très difficiles à produire. »
Le monde du pétrole et du gaz n’est donc pas un monde fini, comme l’illustre la carte suivante des découvertes en 2012.
Source : IFRI
Le monde du gaz a connu ces dernières
années deux zones de découvertes importantes, avec, d’une part,
l’Afrique et, d’autre part, la Méditerranée orientale.
Les plus importantes sont sur le
continent africain, avec notamment les gisements de gaz de Tanzanie et
surtout du Mozambique qui sont évaluées à 1.900 milliards de mètres
cubes, dont les trois quarts pour ce dernier pays où tout est cependant à
construire.
Ainsi que l’a expliqué lors de son audition M. Francis Perrin : « S’agissant
du continent africain, le potentiel est indéniable. Certains pays
deviendront sans aucun doute importants à l’avenir sur la scène
énergétique. Les plus riches en hydrocarbures se concentrent notamment
en Afrique du Nord et dans le Golfe de Guinée. De nouveaux pays
producteurs/exportateurs sont annoncés, c’est le cas du Mozambique tout
d’abord, un pays prometteur pour son gaz liquéfié, qu’il pourra exporter
dès 2020. Les groupes italien ENI et américain Anadarko ont découvert
en mer, au large du Mozambique, des quantités considérables de gaz. La
Tanzanie, également, deviendra dans un avenir proche un exportateur de
gaz liquéfié, peut être aussi le Cameroun, mais sur une bien plus petite
proportion que la Tanzanie. »
Pour la Méditerranée orientale, le bassin
du Levant posséderait sur une superficie de 83.000 kilomètres carrés
des réserves estimées à 1,7 milliard de barils de pétrole, et 3 452
milliards de mètres cubes de gaz naturel, soit 1 % des réserves
mondiales prouvées en gaz naturel et pétrole.
Pour ce qui concerne uniquement Israël, les champs gaziers sous-marins de Tamar, exploité depuis 2013, et Leviathan sont estimés contenir respectivement 250 et 535 milliards de mètres cubes. Ils sont détenus par Nobel Energy et le groupe Delek, pour l’essentiel, mais cette situation fait l’objet d’un examen par l’autorité de la concurrence d’Israël.
L’Arctique a été évoqué en plusieurs
occasions lors des différentes auditions, mais à chaque fois les
réserves se sont exprimées. La zone cumule les handicaps, comme l’a
indiqué M. Francis Perrin : « L’Arctique est surtout constitué
d’hydrocarbures conventionnels, à la fois en zones terrestres et
maritimes. Cette région est assez risquée puisqu’il ne s’agit pas là de
mers chaudes, les impacts écologiques peuvent alors être d’une assez
grande ampleur. C’est là que le Canada puise son pétrole et son gaz.
C’est le même cas pour l’Alaska. La Russie exploite aussi pour partie
son potentiel en Arctique, de même pour la Norvège. L’exploration est en
cours au Groenland qui appartient au Danemark. Le potentiel de
l’Arctique est largement à découvrir et à exploiter mais la zone reste
fragile et peut nuire à l’équilibre écologique. L’Arctique pourrait
également devenir une zone de conflit à l’avenir. La Russie y renforce
sa présence maritime, et l’OTAN se prépare d’ailleurs aux pires
scénarios dans la région. Cela dit, l’Arctique n’est pas un Eldorado :
peu d’explorations ont été faites, et on ne peut donc pas s’aventurer à
spéculer sur les quantités présentes dans la zone. Enfin, les conditions
d’extraction du pétrole y sont très difficiles, ce qui a un coût
évidemment, la rentabilité ne sera donc pas forcément très importante. »
Dans ce contexte, la possibilité de mettre en exploitation des gisements de roches mères a encore accru la ressource.
Les quantités actuellement estimées
viennent en effet renforcer significativement les réserves
conventionnelles. Comme l’indique le tableau suivant, les réserves
potentielles doublent en pétrole et représentent ainsi quatre fois les
actuelles réserves prouvées, au total.
Réserves potentielles totales de pétrole
De même, en matière de gaz, on constate
l’importance des perspectives ouvertes par le gaz de schiste avec un
doublement potentiel des réserves, comme l’indique aussi le tableau
suivant :
Réserves potentielles totales de gaz naturel
C’est donc la garantie d’une production sans tension à l’horizon 2040.
L’Agence internationale de l’énergie
estime en effet que la production de conventionnel ne serait que de 68
millions de barils jours à l’horizon 2030 et de 66 millions à l’horizon
2040.
Sans les ressources non conventionnelles,
l’écart entre la production et la consommation spontanée serait de 40
millions de barils jour à cet horizon.
L’horizon pétrolier est donc depuis plusieurs décennies semblable à la ligne d’horizon qui s’éloigne lorsque l’on s’en approche.
Même lorsque l’on prend en considération
les hypothèses de décroissance de la production pétrolière, à terme,
comme le fait M. Pierre-René Bauquis, le maximum ou l’optimum de la
production d’hydrocarbure, est pour le moins reporté de plusieurs
décennies.
C’est ce qu’indique clairement le schéma suivant.
b. Des réserves totales d’hydrocarbures et de matières premières énergétiques pour plus d’un siècle ?
Dans son rapport 2014 World Energy Outlook,
l’Agence internationale de l’énergie montre que la simple poursuite des
tendances actuelles et les perspectives du non-conventionnel reportent
considérablement les dates estimées, si tant est qu’elles aient un sens,
pour la fin de l’extraction massive du pétrole et du gaz.
Les réserves prouvées en gaz, qui
représentent 60 ans de consommation au rythme actuelles, seraient
complétées et l’ensemble des ressources a priori exploitables
atteindrait 230 ans. Pour ce qui concerne le pétrole, l’horizon serait
moindre, mais dépasserait néanmoins le siècle. Le graphique suivant, qui
mentionne en outre l’uranium et le charbon, reprend ces éléments.
c. Un positionnement intermédiaire du gaz et du pétrole de roche mère en ce qui concerne les coûts d’exploitation
L’alimentation du marché des
hydrocarbures au-delà de la production traditionnelle a reposé depuis
1973 sur la recherche de nouvelles zones de production. Celles-ci ont
une caractéristique en commun. Les coûts d’exploitation, et donc les
coûts d’extraction y sont plus élevés que dans les gisements
conventionnels les plus favorables, ceux du Proche-Orient.
Actuellement, ces nouveaux gisements on
essentiellement cinq origines : les champs conventionnels, découverts
dans des zones encore non explorées ou insuffisamment explorées ; l’offshore
profond et notamment les grandes profondeurs ; l’ultra lourd ; les
zones arctiques ; le non conventionnel de roche mère, c’est-à-dire le
gaz de schiste et le pétrole de schiste.
Sur le plan technique, certains de ces
nouveaux horizons pétroliers ont des désavantages qui se répercutent
indéniablement sur les coûts. Le Grand Nord est encore incertain sauf en
Norvège et en Russie, car les conditions y sont très difficiles.
L’ultra-profond au-delà de 1.500 mètres de profondeur marine a donné des
résultats au Brésil, mais son développement n’est pas immédiat même si
d’autres pays sur d’autres continents sont intéressés, notamment le
Gabon. L’ultra-lourd est d’exploitation assez difficile et fait l’objet
de contestation d’ordre environnemental, car il faut utiliser beaucoup
d’énergie pour le liquéfier et le rendre exploitable.
Les hydrocarbures de schiste, gaz et
huile, se situent en situation intermédiaire, ce qui se reflète dans
leurs coûts d’exploitation.
Une étude de M. Patrick Artus publiée par Natixis dans Flash économique Recherche économique et intitulée « Que va-t-il se passer si le prix du pétrole devient encore plus faible ? » (n°
185 – 17 octobre 2014) montre en effet que l’on se situe dans des zones
de prix inférieures à l’arctique notamment, et qui supportent en tout
état de cause la comparaison avec les extractions off shore.
Ces données sont tout à fait cohérentes
avec les fourchettes communément citées sur les coûts d’extraction du
pétrole, notamment illustrées par le graphique suivant, publié par le Council on Foreign Relations, think tank américain non partisan.
Fourchette des coûts d’exploitation des hydrocarbures
Le
risque inhérent aux pays qui fournissent l’Union européenne et ses
Etats membres de la zone Afrique du Nord-Moyen-Orient, ou d’Afrique, est
d’une autre nature que celui que représente la Russie.
C’est un risque lié au développement croissant de l’instabilité de la région en raison du développement du terrorisme.
Qu’il s’agisse de l’Irak avec Daech, de la Libye, du Soudan, et même du Nigéria avec Boko Haram,
l’Arc de crise qui va de l’Atlantique jusqu’au Golfe persique en en
passant par la Mer rouge, est une menace permanente sur les
approvisionnements.
L’enjeu pétrolier est, comme on le voit avec Daech, est très présent, car les groupes terroristes voient dans le pétrole une source de financement possible.
L’insuffisance
des investissements depuis plusieurs années dans le renouvellement des
capacités de production pétrolières, déjà mentionné, est en lui-même un
facteur d’une possible instabilité future, ainsi que l’a observé
M. Christophe-Alexande Paillard : « C’est l’une des sources de ses
difficultés, lesquelles ne font d’ailleurs, peut-être, que commencer,
car la croissance démographique y est élevée, la main d’œuvre
potentielle croissante et, malgré toutes les difficultés passées et
présentes, le niveau général de formation augmente. Une classe moyenne
émerge donc, insatisfaite et qui court toujours le risque de retomber
dans la pauvreté. Il n’y a en effet pas de diversification économique
dans la plupart des pays de la région, à l’exception du Qatar et des
Emirats arabes unis, et ceux-ci restent donc dépendants d’un secteur des
hydrocarbures où les investissements d’avenir sont insuffisants. Le
risque est donc d’un plateau puis ensuite d’une chute des revenus
correspondants, et d’un appauvrissement général. La rive Sud de la
Méditerranée pourrait par conséquent être de plus en plus instable, sauf
exception. Il faut donc cerner les exceptions et leurs causes. L’Iran
en est, a priori, une. »
Comme
on l’a vu, les conséquences de cette instabilité ont été surmontées ces
dernières années au niveau mondial, grâce au renouveau de la production
américaine d’hydrocarbures.
La carte suivante établie par le CSIS américain en 2014 (New Energy, New Geopolitics, Balancing Stability and Leverage) montre les enjeux de sécurité concernant l’approvisionnement extérieur de l’Europe :
4.
La recherche de ressources alternatives d’hydrocarbures est
indépendante des objectifs climatiques : une démarche qui ne concerne
pas le niveau de la consommation, mais uniquement l’origine géographique
des produits correspondants
Il
faut éviter tout contresens dans l’interprétation la démarche visant à
sécuriser les approvisionnements de l’Union européenne et de la France
en hydrocarbures.
L’objectif
n’est pas de faire échec aux négociations climatiques internationales,
mais au contraire, indépendamment d’elles, de se pencher sur l’origine
des hydrocarbures qui seront consommés pendant la période de transition
énergétique.
Le
futur accord climat de 2015 est le principal élément d’influence sur la
structure de la consommation d’énergie et d’hydrocarbures, et vise à
réorienter l’évolution du bouquet énergétique mondial.
Celui-ci
est en effet marqué par une grande inertie. Depuis 1973, comme
permettent de le visualiser les deux graphiques suivants, il ne s’est
que peu modifié alors que la consommation d’énergie mondiale a doublé,
passant de plus de 6 à plus de 13 milliards de tonnes équivalent pétrole
par an, et que le prix du pétrole, et celui du gaz, ont été dans
l’ensemble beaucoup plus élevés qu’auparavant.
Evolution du mix énergétique mondial de 1973 à 2012
Source : Agence internationale de l’énergie – indicateurs clefs 2014
L’Agence internationale de l’énergie rappelle que dans son rapport World Energy Outlook
2014 que les politiques actuellement menées en matière d’énergie climat
ne suffiront pas à contenir l’élévation probable de la température
terrestre dans la limite des 2° Celsius (ou 450 ppm de concentration de
CO dans l’atmosphère), comme décidé lors de la conférence de Copenhague
(COP 15), mais 3,6° C.
En l’absence de signal majeur en faveur
d’investissements massifs dans les énergies décarbonées, à savoir
l’efficacité énergétique, les renouvelables, le captage et la
séquestration de CO2, mais aussi le nucléaire, le monde aura
épuisé en 2040, et non en 2100 comme cela serait souhaitable, le
« budget carbone » dont il dispose pour respecter avec suffisamment de
certitude la limite des 2° Celsius.
Néanmoins, même dans l’hypothèse où les
pays s’engageraient à faire les efforts correspondant, les travaux de
l’Agence dans le cadre du scénario intitulé 450 et alternatif au
scénario central montrent qu’il y aura encore dans les décennies à venir
une consommation mondiale d’hydrocarbures.
S’agissant du pétrole et des condensats,
la consommation mondiale à l’échéance 2040 s’établirait à 80 millions de
barils jour, soit un niveau inférieur à l’actuel d’environ 12 %, comme
l’indique le tableau suivant.
Evolution de la consommation mondiale de pétrole selon les différents scénarios
Source : Agence internationale de l’énergie
Pour ce qui concerne le gaz naturel, la
consommation serait au contraire en hausse par rapport au scénario de
référence, et atteindrait 4.232 milliards de mètres cubes par an, contre
3.438 actuellement.
Evolution de la consommation de gaz naturel selon les différents scénarios
Source : Agence internationale de l’énergie
C’est donc dans cette perspective d’une
répartition de la consommation indépendamment de son niveau, entre les
différentes sources d’approvisionnement que se situe le présent rapport.
B.
L’IMPÉRATIF D’UNE STRATÉGIE DE SÉCURITÉ ÉNERGÉTIQUE EUROPÉENNE ET
D’UNE UNION DE L’ÉNERGIE FONDÉES TANT SUR LA DIVERSIFICATION DES
FOURNISSEURS ET DES VOIES D’ACCÈS AU GAZ NATUREL QUE SUR LA MOBILISATION
DE NOUVELLES RESSOURCES INTERNES
1.
Deux objectifs majeurs : réduire le plus possible à leur dimension
commerciale les relations gazières avec la Russie ; disposer du plus
grand nombre d’éléments de négociation pour les relations fournisseur
client pour une plus grande efficacité des politiques de l’Union
a. Un fournisseur russe qui restera incontournable, mais avec lequel la relation doit donc se banaliser le plus possible
Dans son étude sur l’Union européenne publiée le 1er décembre dernier, 2014 Review, l’Agence internationale de l’énergie rappelle à juste titre que l’Union européenne ne pourra se passer du gaz russe : « L’Union européenne va continuer à dépendre des importations de gaz russe par gazoduc dans un avenir prévisible. ». Les quantités sont en effet éloquentes.
D’abord,
la consommation de gaz par l’Union européenne s’est établie à
477 milliards de mètres cubes par an entre 2008 et 2012, avec un pic de
543 milliards en 2013. Celui-ci ne devrait pas être atteint une nouvelle
fois en raison du progrès des renouvelables et de la réduction des
besoins en gaz dans l’industrie, mais l’hypothèse d’une substitution du
gaz au charbon dans la production électrique sous l’effet de la
politique climatique doit conduire à rester prudent.
Ensuite,
les alternatives sont en l’état limitées avec comme on l’a vu
l’épuisement des réserves conventionnelles des pays de l’Union sont très
faibles, avec 1.400 milliards de mètres cubes, soit trois ans de
consommation. Avec 380 milliards de mètres cube importés en 2012 et 87
milliards d’euros en 2013, l’Union européenne est le premier importateur
mondial de gaz naturel. Ses trois premiers fournisseurs sont comme on
l’a vu la Russie (122 milliards de mètres cubes), la Norvège (118
milliards) et l’Algérie (50 milliards).
Dans
les années futures, il faut prendre en compte le déclin des
importations d’Algérie, qui ont déjà chuté de 25 % depuis leur pic de
2007, l’instabilité des fournisseurs de moindre importance comme la
Libye et l’Egypte, et l’impossibilité de disposer de solutions
totalement alternatives. On peut, en effet, douter que les exportations
américaines, australiennes et africaines suffisent.
Aucun autre pays ne peut donc en l’état se substituer à la Russie comme fournisseur de l’Union européenne.
Cette
relation nécessaire ne veut pas dire qu’elle ne puisse pas perdre une
partie de son contenu politique, source de tension, pour devenir une
relation commerciale plus banale. L’exemple du pétrole est là pour le
montrer. Bien qu’elles dépendent davantage de la Russie pour le pétrole
que pour le gaz naturel : 35 % contre 32 % en 2012.
L’utilisation
de l’arme énergétique dans les relations internationales reposant sur
l’asymétrie entre le fournisseur et le client, le chantage explicite ou
implicite à la « coupure du robinet d’alimentation » suppose que les
conséquences matérielles de l’interruption d’approvisionnement seront
insupportables avant que lui-même ne souffre des conséquences de
l’absence de revenus correspondants aux livraisons annulées.
La
bonne réponse consiste donc à supprimer la menace en inversant
l’asymétrie, et en faisant en sorte que le fournisseur subisse des
dommages dissuasifs avant que son client n’encoure des conséquences
insupportables. Elle passe ainsi par un décloisonnement des marchés. On
ne peut cependant être trop optimiste sur l’émergence d’un véritable
marché mondial du gaz naturel. Contrairement au pétrole, les coûts de
transport du GNL restent en effet élevés : 2 à 2,5 dollars le Mbtu pour
la liquéfaction, 1,5 dollar le Mbtu pour le transport, 0,5 à 1 dollar
pour la regazéification, soit 6,5 à 8 dollars selon l’IFP Energies
nouvelles (in Atlas mondial des énergies, Jean-Pierre Favenec et Yves Mathieu, IFP Energies nouvelles, Armand Colin, 2014).
Cependant,
comme l’a indiqué lors de son audition M. Justin Vaïsse, l’intérêt bien
compris de la Russie et de l’Union européenne est de trouver un terrain
d’entente pour des relations normalisées de fournisseur à client : « Dans
l’absolu, la Russie étant un très grand producteur de gaz et l’Union
européenne étant un très gros consommateur de gaz russe, leur intérêt
est de s’entendre. D’abord, le gaz est un combustible fossile plus
propre que le pétrole et le charbon. Il peut être livré à l’Europe dans
des conditions de prix intéressantes et permet de soutenir les efforts
vers la transition énergétique. En outre, les tubes existent déjà.
L’intérêt de la Russie est également de s’entendre avec l’Union
européenne car 50 % de son budget et 60 % de ses exportations en
dépendent. Cette dépendance réciproque est cependant asymétrique : les
Russes ont jusqu’à un certain point la capacité de se priver de revenus
pendant quelques temps. Cela n’est naturellement pas éternel. A terme,
le pouvoir interne de Vladimir Poutine pourrait pâtir de plusieurs
années de réduction de recettes. »
b.
L’intérêt renforcé de la stratégie de sécurité énergétique de l’Union
européenne et de l’Union de l’énergie, grâce à une large gamme de
solutions alternatives dans la négociation énergétique
La crise ukrainienne a relancé l’intérêt d’une politique énergétique européenne.
C’est
ainsi qu’en avril dernier, le Premier ministre polonais, M. Donald
Tusk, a proposé une Union de l’énergie fondée sur six mesures, reprenant
une idée notamment émise par M. Jacques Delors, ancien président de la
Commission européenne, de la Communauté européenne de l’énergie, en
2010, dans le cadre de son rapport sur l’avenir de la politique
énergétique européenne.
Il s’agit des mesures suivantes :
– la
création d’une agence européenne unique qui achèterait le gaz pour les
vingt-huit membres de l’Union européenne, pour peser face à Gazprom ;
– un
« mécanisme de solidarité » dans l’éventualité où un ou plusieurs pays
membres seraient confrontés à une rupture d’approvisionnement en gaz ;
– un
financement européen, jusqu’à 75 % dans certains cas, des
investissements nécessaires (stockages, conduites) dans les pays qui
sont actuellement les plus dépendants du gaz russe ;
– une
mise en valeur totale des ressources en combustibles fossiles de
l’Union européenne, dont le charbon et le gaz de schiste ;
– la
diversification des approvisionnements, avec la signature d’un accord
prévoyant l’achat de GNL chez un fournisseur extra-européen comme les
États-Unis ou l’Australie ;
– la consolidation de la Communauté de l’énergie avec les voisins de l’Est pour élargir le marché du gaz dans cette direction.
Pour
sa part, M. Jean-Claude Juncker a repris ces éléments en y ajoutant une
dimension relative aux sources d’énergie renouvelables.
Il a en effet considéré que : « Nous
devons mettre en commun nos ressources, combiner nos infrastructures et
parler d’une seule voix lors des négociations avec des pays tiers. Nous
devons diversifier nos sources d’énergie, et réduire la dépendance
énergétique de plusieurs de nos États membres vis-à-vis des autres
pays.»
« Je
veux garder notre marché européen de l'énergie ouvert à nos voisins.
Toutefois, si le prix de l'énergie importée de l’Est devient trop cher,
politiquement ou économiquement, l'Europe doit être capable d’avoir
accès très rapidement à d'autres sources d’approvisionnement. Et nous
avons besoin de renforcer la part des énergies renouvelables sur notre
continent pour mener une politique responsable de lutte contre le
réchauffement climatique. C’est également un impératif pour la
politique industrielle, si nous voulons toujours avoir accès à une
énergie à un prix abordable disponible à moyen terme. Je veux donc que
l’Union européenne de l’énergie devienne le numéro un mondial des
énergies renouvelables. »
Depuis
lors, M. Donald Tusk a été désigné président du Conseil européen et M.
Jean-Claude Juncker a été investi comme président de la Commission
européenne.
Ces
propositions n’ont été en l’étant qu’assez peu prises en compte dans
les conclusions du Conseil européen du 23 octobre dernier, de même que
l’initiative, en parallèle, la Commission européenne a publié le 28 mai
dernier sa Stratégie européenne pour la sécurité énergétique
(document COM (2014) 330 final). Cette stratégie a été articulée autour
de trois types d’objectifs séquencés d’une manière chronologique.
D’abord,
des mesures immédiates ont été prévues pour s’assurer que l’Union
européenne passerait sans difficulté l’hiver 2014-2015.
La
principale d’entre elles a été un test de résistance, sur la base des
deux scénarios de pénurie les plus probables pour l’automne et l’hiver :
l’interruption totale des exportations de gaz russe vers l’Union
européenne et les membres de la Communauté de l'énergie (l'Ukraine, la
Moldavie et les pays des Balkans occidentaux) ; la fermeture de la seule
voie de transit du gaz par l’Ukraine.
Les
résultats ont montré que l’Union européenne abordait l’hiver avec un
niveau des stocks de gaz particulièrement élevée, de 90 % au début de
l’automne, et que grâce à un recours accru au GNL, lequel a il est vrai,
un coût, à la solidarité entre les Etats membres, à la réduction de la
demande et au recours aux énergies alternatives dans certains cas, il
n’y aurait pas de perturbation majeure, sauf en Finlande et en Estonie.
Ensuite,
à moyen terme, la stratégie de la Commission européenne recommande le
renforcement des mécanismes d’urgence et de solidarité entre Etats
membres, la coordination de l’évaluation des risques et des plans
d’urgence prévus par le règlement n° 994/2010 après l’interruption des
livraisons de gaz russe en 2009, et la protection des infrastructures
critiques.
Enfin,
de manière structurelle, la stratégie de sécurité énergétique publiée
par la Commission européenne a évoqué les trois impératifs d’une
amélioration du marché intérieur du gaz et de l’électricité, d’un
accroissement de la production des matières premières énergétiques au
sein de l’Union européenne et d’une diversification des
approvisionnements extérieurs.
Une telle stratégie est indispensable. Elle n’est cependant qu’une étape.
Au-delà
de ces éléments, en effet, les relations entre l’Union européenne et la
Russie doivent s’inscrire en contrepartie de la dépolitisation de la
relation gazière, dans une véritable stratégie d’ensemble.
Les
difficultés actuelles proviennent en effet de ce que l’Union européenne
n’a pas de politique vis-à-vis de la Russie, de politique russe, faute
d’accord entre ses Etats membres, mais faute aussi de représentation
claire de ce pays, de ses intérêts essentiels et de la nature des
relations de partenariat à établir.
Le 25 février dernier, la Commission européenne a franchi une nouvelle étape en présentant son plan pour la mise en œuvre de l’Union de l’énergie.
Celle-ci
prévoit notamment un renforcement de la transparence sur les contrats
gaziers des pays pour l’achat d’énergie ou de gaz en provenance de pays
tiers, ainsi qu’une clause de solidarité fondée sur la réduction de la
dépendance à l'égard d’un fournisseur unique et la prise en charge par
les pays voisins, surtout en cas de rupture d'approvisionnement en
énergie. Plusieurs propositions s’inscrivent aussi dans la perspective
de la décarbonation de l’économie.
Ces propositions étaient en débat au moment de la rédaction du présent rapport.
La
stratégie de sécurité énergétique présentée par la Commission
européenne le 28 mai dernier observe à juste titre que l’amélioration du
fonctionnement du marché intérieur est un élément indispensable de la
stratégie énergétique.
En
témoigne d’abord la corrélation entre les écarts du prix supposé du gaz
délivré par Gazprom dans les Etats membres de l’Union européenne et le
niveau de dépendance vis-vis du gaz russe.C’est ce qu’illustre la mise
en relation du graphique suivant publié par M. Mark Adomanis sur le site
Internet du magazine Forbes, sur les prix et les quantités livrées par Gazprom en 2012, et la carte de la dépendance russe :
Estimation des prix pratiqués par Gazprom fonction des quantités livrées
Source : Forbes.com
Plus
on est à l’Est, plus le prix est élevé, d’ailleurs assez indépendamment
de la quantité, et plus le taux de dépendance est élevé, comme le
confirme la carte suivante :
Source : Libération
Pour
la meilleure fluidité du marché intérieur, l’amélioration des
infrastructures est essentielle avec le développement notamment des
interconnexions et des flux rebours ou inversés.
Le
développement des flux rebours a été décidé après la crise ukrainienne
de 2009 où les pays d’Europe centrale n’ont pas pu être alimenté par
l’Ouest, où le gaz est, lui, resté disponible. C’est une rupture avec le
sens historique, et unique, de circulation du gaz d’Est en Ouest.
Ces flux rebours ont été étendus à l’Ukraine, qui a ainsi bénéficié cette année d’approvisionnements provenant de la Slovaquie.
La
stratégie européenne pour la sécurité énergétique a ainsi identifié
parmi ses 27 projets essentiels, les flux rebours et les interconnexions
entre la Pologne et la Lituanie, la Pologne et la Slovaquie, la Pologne
et la République tchèque, la Grèce et la Bulgarie, ainsi que la Serbie,
laquelle a adhéré comme tous les pays des Balkans au traité traité
instituant la Communauté de l'énergie, entré en vigueur en 2006, la
Bulgarie et la Hongrie, la Finlande et l’Estonie, ainsi que la France et
l’Espagne.
Compte tenu de leur intérêt, l’Union européenne finance en partie ces investissements futurs, avec le programme « Connecting Europe Facility », de financement sur crédits européens des interconnexions d’infrastructures, notamment énergétiques.
Pour
résorber le déficit de moyens de la période précédente, un peu moins de
6 milliards d’euros sont prévus pour financer des programmes d’intérêt
commun (PICs) de connexion pour l’électricité, le gaz et aussi le
pétrole. Cela représente 248 projets dont 107 pour le gaz. La France est
concernée par 9 projets gaziers, dont la connexion France/Espagne ainsi
que la réversibilité des flux avec la Suisse, la Belgique et le
Luxembourg.
L’une
des difficultés est apparue est la tarification des services
correspondants à l’accès aux flux inversés, pour lesquelles les
négociations étaient toujours en cours au moment de la rédaction du
présent rapport.
Historiquement,
les prix du gaz ont été indexés comme on l’a vu sur les prix du pétrole
ou des produits pétroliers dans le cadre des contrats de long terme
d’une durée de 20 à 25 ans.
C’est
une curiosité économique dès lors que ce sont en principe l’offre et la
demande qui équilibrent un marché, notamment un marché de matière
première.
La libéralisation du secteur a conduit à l’apparition d’un marché libre, d’un marché spot sur les échanges au jour le jour, qui et aussi à un raccourcissement des contrats à 10/15 ans.
Alors
qu’en Amérique du Nord, tous les contrats gaziers sont indexés sur le
prix de marché du gaz, et qu’en Asie le prix du pétrole reste la
référence, l’Europe se trouve dans une situation intermédiaire avec
selon les données transmises par le ministère de l’écologie, du
développement durable et de l’énergie, 60 % de clauses d’indexation sur
le marché et donc 40 % de clause d’indexation sur le pétrole.
Faut-il aller plus loin dans le découplage entre le marché du gaz et celui du pétrole ?
L’intérêt des opérateurs gaziers pour se défaire de la clause pétrole et les réticences de Gazprom et de la Sonatrach ont été soulignés par M. Edouard Sauvage, directeur de la stratégie de GDF-Suez : «
Les contrats à long terme couvrent 80 % des approvisionnements. Une
clause d’indexation sur le prix de marché du gaz, et non sur le pétrole,
est de plus en plus fréquente (environ la moitié, tous contrats
confondus). Gazprom et Sonatrach sont réticents à passer sur des
indexations sur le marché, car pour eux le marché est en Europe, et ils
disent craindre une manipulation possible par les Européens. A l’opposé,
les Européens estiment que les russes peuvent davantage orienter le
marché en raison de leur poids. Les autres opérateurs, notamment le
norvégien Statoil, n’ont pas ces réticences sur l’abandon de la
référence pétrole. Ces contrats à long terme prévoient la livraison
d’une certaine quantité, avec une fourchette de modulation qui s’est
réduite en parallèle de la bascule vers plus de référence marché, et
qui est très variable selon les contrats. »
Néanmoins,
tant que la position dominante de la Russie sur le marché du gaz est ce
qu’elle est, on peut comme le fait M. Luca Baccarini, chercheur associé
à l’Iris, considérer que la prudence est préférable : « Les marchés
gaziers se sont profondément réorganisés ces dernières années. En raison
de la crise et du fonctionnement des contrats à long terme conclus non
seulement avec Gazprom mais aussi Statoil (l’opérateur norvégien), avec
les clauses dites « take or pay », tous les fournisseurs européens de
gaz ont des quantités excédentaires par rapport aux volumes prévus. Ils
ont donc eu recours aux hubs gaziers pour se défaire de ces quantités
sur-contractées. Il en est résulté une augmentation de la liquidité sur
les places de marché et donc une baisse des prix de court terme,
lesquels sont plus bas que les prix des contrats de long terme.
« Ce
phénomène a été interprété par les grands consommateurs industriels et
par les autorités de régulation, notamment par la CRE, comme l’effet
bénéfique imputable au développement d’une place de marché, alors que la
véritable raison en est l’excédent de gaz.
« Tous
les pays veulent maintenant abandonner les références pétrolières au
sein des contrats de long terme au bénéfice des indices liés aux
transactions spot sur les hubs gaziers. C’est cependant un danger.
« Alors
que pour le pétrole il existe un indice de référence sur le marché
international, tel n’est pas le cas pour le gaz. En outre, pour
l’Europe, l’image de l’organisation d’un marché de pleine concurrence où
les écarts sont ceux des prix de transport n’est pas exacte. La
liquidité actuelle n’est due qu’à des échanges de quantités
excédentaires. Rien n’a en effet fondamentalement changé pour Europe sur
le plan des approvisionnements gaziers.
« Il
suffirait d’un incident sur une plate-forme offshore ou d’une pression
de la Russie, argumentée par des éléments techniques, pour que la
situation change.
« Pour
être clair, le basculement des prix des contrats gaziers sur des
indices de marché pourrait donner à la Russie, en raison de sa
prépondérance dans l’approvisionnement, un pouvoir considérable. Si l’on
met à part le cas de la Norvège, seuls trois pays approvisionnent
l’Europe en gaz naturel : la Russie, l’Algérie et le Qatar. »
Depuis
l’entretien avec M. Baccarini, on peut observer que la clause
indexation a permis un ajustement du prix du gaz naturel, à la baisse,
ce qui doit renforcer la prudence sur une modification éventuelle de
tous les contrats.
3. Un deuxième point d’appui : la diversification des pays fournisseurs et des voies d’approvisionnement en gaz
Comme
l’a rappelé lors de son audition M. Jean-François di Meglio, de même
que Mme Valérie Niquet, le bouquet énergétique chinois repose avant tout
sur le charbon, mais pour ce qui concerne le pétrole, qui est perçu
comme stratégique, le pays veille à diversifier ses sources
d’approvisionnement, sans ainsi dépendre d’un seul fournisseur.
« La
question clef pour la Chine est donc celle des approvisionnements
extérieurs en pétrole, à raison de 300 millions de tonnes de brut par
an, lesquelles sont raffinées sur son territoire.
« La
volonté a été de recourir à un ensemble diversifié de sources et de
routes d’approvisionnement, afin de ne dépendre ni d’un seul pays, ni
d’une seule région. L’Arabie saoudite fournit ainsi 10 % des
importations chinoises, les Emirats et Oman autour de 5 % et viennent
ensuite l’Angola, 10 % aussi, le Venezuela, l’Iran et le Soudan (5 %
chacun). »
Etant
donné que dans le futur, la Chine et l’Union européenne vont se trouver
dans la situation des deux acheteurs dominants potentiels, cet élément
doit être pris en compte par l’Union européenne qui a tout autant
intérêt elle aussi à répartir les risques.
En
2013, les importations nettes européennes de gaz ont été de
313 milliards de mètres cube dont 87 % par gazoducs et 13 % par
méthanier (GNL).
Elles
ont été en-deçà des capacités d’importation qui s’élèvent à environ 550
milliards de mètres cubes, dont 190 pour le GNL et 360 par gazoduc,
selon le tracé figurant sur la carte suivante.
Source : Le Monde
D’un point de vue exhaustif, quatre gazoducs relient l’Afrique du Nord à l’Europe, dont trois pour l’Algérie :
– le gazoduc Maghreb Europe (GME), relie l’Algérie à l’Espagne en passant par le Maroc, mais à une capacité limitée de 11 milliards de mètres cube par an ;
– le gazoduc Transmed
reliant l’Algérie à l’Italie en passant par la Tunisien, est plus
important, à raison de 29 milliards, mais l’Italie a fait savoir en mai
2013 qu’elle réduisait ses achats de gaz à Sonatrach, ce qui affecte les
capacités du gazoduc ;
– le gazoduc Medgaz,
entré en service au printemps 2011, qui relie l’Algérie et l’Espagne
sans passer par le Maroc. D’une capacité initiale de 8 milliards de
mètres cube, le gazoduc pourrait permettre l’acheminement de
16 milliards en 2020 ;
– la Libye est également reliée à l’Italie par un gazoduc sous-marin, nommé Greenstream,
d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes par an. Les livraisons
gazières ont été totalement interrompues pendant huit mois au début de
la décennie, et ont repris à compter d’octobre 2011.
Pour
ce qui la concerne, la Norvège dispose également d’un important réseau
maillé de gazoducs vers le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas, la
Belgique et la France, d’une capacité totale de 120 milliards de mètres
cube par an.
L’essentiel
des livraisons par gazoduc vient donc de Russie, principal fournisseur
de l’Union européenne via son réseau de gazoducs transitant par
l’Ukraine, d’une capacité totale de 90 milliards de mètres cubes, le
reste passant par la Biélorussie (capacité de 40 milliards de mètres
cube pour le Yamal) et sous la mer Baltique via le gazoduc Nord Stream (capacité de 55 milliards de mètres cube).
Malgré
une demande atone en 2013, les importations de gaz par gazoduc ont
augmenté de 4 % en 2013 pour atteindre environ 280 Gm3 et ainsi palier
la baisse des livraisons de GNL. La majorité des gazoducs a donc été
utilisée à plus de 80 % en 2013. Le tableau suivant récapitule ces
éléments.
Capacités et taux d’utilisation des principaux gazoducs d’importation
La mise en service de la seconde conduite du gazoduc Nord Stream permet de disposer d’une capacité d’importation de gaz russe de 55 milliards de mètres cubes comme on l’a vu. Ce gazoduc n’ayant été utilisé qu’à 43 % en 2013, l’Europe dispose ainsi d’une route alternative permettant de compenser partiellement une potentielle rupture du transit de gaz par l’Ukraine.
Néanmoins,
en dépit d’une utilisation partielle, ce réseau doit être complété par
le développement du corridor Sud, à travers la Turquie.
L’intérêt d’accéder sans passer par la Russie aux gisements de la Caspienne, notamment à celui de Shah Deniz en Azerbaidjan, et au-delà de ceux de l’Asie centrale a été matérialisé dès 2002 par le projet Nabucco,
soutenu par la Commission européenne et les Etats-Unis, partant de
l’Azerbaïdjan et passant ensuite par la Géorgie et la Turquie, et
ensuite rejoignant l’Autriche par la Bulgarie, la Roumanie et la
Hongrie.
Nabucco
a fait l’objet de plusieurs incertitudes dès l’origine, notamment en
raison de l’impossibilité de compter sur le gaz iranien nécessaire à son
équilibre, mais le projet russe South Stream, entre Gazprom et
l’ENI, d’accès direct du gaz russe à la Bulgarie par la Mer Noire,
projet auquel EDF a pris part alors que GCF Suez était dans Nabucco, lui
a fait perdre une partie, pour ne pas dire l’essentiel, de son intérêt.
L’ambiguïté
russe a été interprétée comme le fait de vouloir continuer à être le
point de passage obligé de l’Asie centrale vers l’Europe.
Pourtant, l’idée du corridor Sud a été poursuivie, car elle est intéressante pour deux raisons.
D’abord,
les livraisons de gaz par gazoduc hors de la Russie ne sont pas très
flexibles, à la hausse. Notamment pour la Norvège, les Pays-Bas et
l’Algérie, dont les gisements sont en voie d’épuisement.
C’est la Russie qui équilibre les variations des besoins en gaz européen, comme le montre le graphique suivant.
Evolution des importations européennes de gaz naturel par mode d’approvisionnement
Source : World Energy Outlook 2014
Ensuite,
parce que le corridor Sud présente l’avantage de donner par la Turquie
un accès direct aux gisements d’Asie centrale et du Moyen-Orient.
Il
le fait en outre d’une manière très flexible, car il s’agit non
seulement du gaz de Shah Denis en Azebaïdjian, mais au-delà et
éventuellement aux gisements d’Asie centrale, et aussi du Moyen-Orient,
notamment d’Irak et d’Iran si la situation de ce pays se normalise après
la conclusion d’un accord sur le nucléaire mettant fin aux activités
iranniennes susceptibles de déboucher sur le nucléaire militaire et aux
sanctions actuellement appliquées contre ce pays.
Dans une très grande perpective, c’est lui qui permettrait également d’accéder par gaozduc au gisement du Qatar North Dome partagé d’ailleurs avec l’Iran, qui l’appelle South Pars, dans sa partie sous-marine.
C’est
par ailleurs par le corridor Sud que peut venir se raccorder le gazoduc
qui permettrait à Israël et à Chypre de vendre aux Etats membres de
l’Union européenne leurs excédents futurs. Pour Chypre, la difficulté
politique était estimée pouvoir être contournée par l’Egypte lors de la
rédaction du présent rapport.
Ainsi,
en 2012, la Turquie et l’Azerbaïdjan ont décidé de lancer le
transanatolien, TANAP, ce qui a réduit le projet Nabucco à son tronçon
Ouest, à travers les Balkans et allant jusqu’en Autriche, d’une capacité
de 31 milliards de mètres cubes par an à l’Ouest.
En 2013, le consortium Shah Deniz
a choisi le projet alternatif transadriatique TAP à travers la Grèce,
l’Albanie et l’Italie, pour une première capacité de 10 milliards de
mètres cube.
En l’état, le corridor Sud correspond au tracé suivant.
Le corridor Sud : tracé
Source : Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Il sera constitué de trois tronçons :
– le Bakou-Tbilissi-Erzurum (BTE) ;
– le
transanatolien TANAP, qui est d’une capacité de 16 milliards de mètre
cubes par an, avec une extension prévue à 26 millards en 2023 et à 31
milliards en 2026 ;
– le trans-adriatique TAP, d’une capacité de 10 milliards de mètres cubes, extensible à 20 milliards, qui n’est pas réalisé.
Dans
une perspective de développement des approvisionnements alternatifs de
l’Europe, les capacités du corridor Sud devraient être accrues.
L’intérêt
géostratégique du corridor Sud ne s’est pas démenti compte tenu de
l’intérêt marqué de la Russie pour la Turquie, et de ses ambiguïtés,
comme on l’a vu.
Le
corridor Sud se trouve donc de fait au centre d’un « grand jeu » qui
montre que sa réalisation, quelle que soit son profil final, il n’est
que l’un des éléments de la diversification dont a besoin l’Union
européenne.
Les
importations de gaz naturel sous forme de GNL se sont établies en 2013 à
40,5 milliards de mètres cube, sachant que 5,43 ont été réexportées.
Or, les capacités des 24 terminaux étaient de 187 milliards de mètres
cube, dont 111 pour l’Espagne et le Royaume-Uni. Leur implantation est
donnée par la carte qui suit.
Terminaux de GNL européen et de liquéfaction pour l’Afrique du Nord
Source : Agence internationale de l’énergie.
Le
taux d’utilisation en moyenne a donc été de 23 % en moyenne, avec un
niveau plus élevé en France (31,9 %), en Italie (36 %) et au Portugal
(36,9 %), comme le montre le tableau suivant.
Niveau d’utilisation des terminaux de GNL en 2013
(en milliards de mètres cube par an)
Source : Agence internationale de l’énergie
De
nouvelles capacités sont installées ou en cours d’installation,
notamment le terminal flottant de Klaipedos en Lituanie, d’une capacité
de 3 milliards de mètres cubes, pour alimenter les Pays baltes, entré en
service cette année, et celui de Swinoujscie, en Pologne, de 4,9
milliards de mètres cubes, dont l’entrée en service est prévue pour
2015.
Le 28 février dernier, la Litgas,
opérateur lituanien, a signé un accord sans engagement d’achat
permettant d’acquérir 540.000 mètres cubes par an, le cas échéant, pour
le terminal précité.
Dans
ce contexte, l’Union européenne peut parfaitement par mesure de
sécurité sans coût d’infrastructure supplémentaire, si nécessaire.
Elle peut donc importer lorsque les conditions techniques et commerciales en seront réunies du GNL des Etats-Unis.
La
seule question est celle du coût de l’arrivée de ce gaz supplémentaire.
Les échanges ultimes se faisant au prix asiatique, dont le niveau est
comme on l’a vu supérieur au prix européen.
Selon les éléments communiqués par l’IFP Energies nouvelles
en février dernier, ce ne serait qu’en état avec un prix du gaz
américain très bas, de 3 dollars le Mbtu que l’opération serait rentable
avec un prix du pétrole à 60 dollars le baril.
Coûts des exportations de GNL américain
Source : IFP Energies nouvelles
Au moment de la rédaction du présent rapport, le prix du Henry Hub était inférieur à ce seul, de quelques cents, et ce niveau était tenu depuis le mois de janvier 2015.
d. Développer davantage le stockage gazier dans le cadre de la future stratégie européenne de stockage de l’énergie
La communication précitée sur l’Union de l’énergie place le stockage de l’énergie dans le domaine des énergies renouvelables.
Il serait dommage de ne pas avoir une approche plus globale concernant aussi le stockage de gaz.
D’une
part, celui-ci est indispensable pour optimiser le réseau en permettant
de faire face aux pointes de consommation sans nécessairement avoir des
gabarits trop importants.
D’autre
part, il a montré toute son utilité pendant la crise ukrainienne de
2009. L’Union européenne a pu en effet faire face grâce aux mesures de
mobilisation des stocks en Allemagne, Italie, Autriche et Royaume-Uni, à
un déficit d’approvisionnement de 5 milliards de mètres cubes. Le
développement des flux alternatifs a joué un moindre rôle comme le
montre le graphique suivant.
Comment l’Union européenne a fait face en 2009 pour 5 milliards de mètres cubes de gaz naturel
Source : Agence internationale de l’énergie
En
2013, la capacité de stockage souterrain de gaz naturel a été de
93 milliards de mètres cubes de gaz, soit 20 % de la consommation de
l’Union européenne, selon les données de l’Agence internationale de
l’énergie.
L’essentiel des capacités se trouvent comme le montre le graphique suivant en Allemagne, en Italie et en France.
Capacités de stockage de gaz
Source : Agence internationale de l’énergie
Au
début de l’automne 2014, la capacité utilisée était de 90 %, ce qui
représentait ainsi les deux-tiers environ de la livraison de gaz russe.
Le
stockage reste une activité stratégique relevant de la règlementation
nationale, mais le droit communautaire s’y applique, notamment les
règles relatives à la séparation patrimoniale et à l’accès des tiers aux
infrastructures s’y appliquent.
Les
entreprises de stockage ont en propre le gaz dit coussin, nécessaire au
fonctionnement des cavités naturelles ou artificielles de stockage,
mais elles stockent le reste pour le compte des entreprises
consommatrices ou de distribution, contre rémunération.
Le fonctionnement de ce dispositif a été exposé lors de son audition par M. Jean-Marc Leroy, directeur général de Storengy.
Les obligations de stockage des distributeurs de gaz sont définies au niveau national.
C’est
à ce niveau-là mais aussi au niveau européen, qu’il convient de les
renforcer de manière qu’elles suivent parfaitement le risque de rupture
d’approvisionnement.
L’exemple de la France est, en effet, éclairant.
L’ensemble
des sites de stockage français sont détenus par Storengy, filiale de
GDF-Suez (pour 78 %) et par TIGF, fournisseur historique dans le
sud-ouest (pour 22 %). Ils permettent au total de stocker un volume
utile de 11,7 milliards de mètres cube avec un débit de pointe pouvant
atteindre 200 millions de mètres cubes par jour. Ces capacités de
stockage de gaz représentent 26 % de la consommation annuelle française.
La France peut ainsi faire face à une éventuelle rupture
d’approvisionnement, puisque le gaz russe ne représente que 15 % du gaz
naturel consommé en France.
Cependant,
la règlementation a dû être modifiée cette année, car plusieurs
opérateurs s’exonéraient de leur obligation de stockage, coûteuse, ce
qui a conduit à des pertes de capacités de stockage sur quelques sites.
En outre, tout site qui n’est pas utilisé ne pourra plus l’être et, même
sans aller jusqu’à la fermeture, tout site sous-utilisé perd en
capacité.
Dans
le contexte de risque sur les approvisionnements, ces pertes de
capacités sont un non-sens complet. C’est pourquoi il convient de
piloter le stockage de manière telle que toute perte soit évitée dans le
futur, puisqu’en tout état de cause, l’augmentation de la dépendance
gazière de l’Union européenne devrait logiquement conduire à une
augmentation corrélative du niveau du stock de sécurité.
4.
Un levier essentiel : mettre fin à la frilosité ou au refus paradoxal
des Etats en Europe, compte-tenu de sa dépendance, comme de la France,
de valoriser leurs ressources propres notamment en gaz et en pétrole non
conventionnels
a.
Un moyen de réduire la facture énergétique et de défendre l’industrie
européenne menacée par la concurrence américaine et la prochaine
concurrence asiatique
i. L’enjeu macroéconomique : la croissance et l’emploi
Comme
l’observe la Commission européenne dans le cadre de sa stratégie pour
la sécurité énergétique, l’Union européenne a importé dans les années
récentes plus d’un milliard d’euro par jour pour ses importations
énergétiques (400 milliards d’euros). C’est globalement 800 euros par
habitant.
La
réduction de cette facture énergétique présente clairement un intérêt
essentiel dans le contexte économique atone de l’Union européenne.
Elle
concerne en effet des secteurs économiques d’un poids tel qu’ils sont
en lien direct avec le niveau du PNB et la croissance.
Il
y a en outre comme on l’a vu un enjeu industriel qui consiste à sauver
l’industrie européenne dans le raffinage, la pétrochimie et les
électro-intensifs.
ii.
Un impératif géopolitique : éviter de compliquer la question
énergétique en surajoutant la question de l’accès aux produits finis à
celle, déjà suffisamment difficile, de l’accès à la matière première
Le
déplacement de l’industrie pétrochimique, du raffinage et à terme des
électro-intensifs ailleurs qu’en Europe aurait au-delà de ses
conséquences économiques des incidences géopolitiques graves : une part
des produits finis en question sont des produits stratégiques, notamment
les carburants.
Le
risque est donc de voir se développer une géopolitique du produit fini
qui compliquerait encore davantage la situation de l’Europe.
b. Trois voies techniquement possibles : le gaz et l’huile de schiste ; le gaz de houille ; le biogaz
i. Une question de choix politique
Sur
le plan technique, deux voies nouvelles sont possibles pour valoriser
les ressources énergétiques du sous-sol européen : le pétrole et le gaz
de roche mère ; le gaz de houille.
Comme
l’ont montré les rapports de MM. Jean-Claude Lenoir, sénateur, et
Christian Bataille, député, fait au nom de l'Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, rapport d’étape
n° 1115 du 5 juin 2013, puis rapport n° 1581 déposé l 27 novembre 2013
sur Les
techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour
l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels, la difficulté n’est pas d’ordre technique, mais uniquement politique pour ce qui concerne tant le gaz et le pétrole .
Dans le réseau de GRTgaz, à l’heure actuelle, 50 millions de mètres cube/an de gaz de houille sont injectés par un producteur, Gazonor.
Le 11 mars dernier, la rapport final sur le projet Sustaingas d’évaluation du potentiel de biogaz a été publié et a jugé le potentiel insuffisamment exploité.
L’une
des questions de fond est cependant celle des surfaces agricoles
dédiées à cette production, comme c’est le cas en Allemagne.
En
France, le biogaz fait l’objet d’un intérêt marqué. Lors de son
audition, M. Olivier Aubert, directeur de l’Offre, direction générale de
GRTgaz, a présenté l’intérêt de le production de biométhane à
partir de déchets agricoles, comme par exemple des pulpes de betterave,
ce qui évite de créer une concurrence sur l’usage des terres agricole,
entre la destination alimentaire et la destination énergétique.
GRTgaz a
fait réaliser une étude qui montre qu’en France, le potentiel va
jusqu’à 220 térawatt/heure, c'est-à-dire 220 milliards de kilowatt/heure
de gaz naturel qui pourraient être injectés dans les réseaux,
uniquement à partir des déchets agricoles, y compris le biométhane dit
de deuxième génération, avec l’utilisation d’une filière bois.
Il
y a actuellement quelques unités pilotes. Le biométhane est
aujourd’hui acheté par un tarif de rachat qui s’échelonne entre 45 et
120 euros le mégawatt/heure, suivant la taille de l’usine, l’endroit où
il se situe et le type de déchets, qui va donc jusqu’à trois fois le
coût de production à partir du GNL.
c. Des réserves jugées substantielles dans le sous-sol européen pour une production de gaz et de pétrole non conventionnels
Faute d’avoir été explorées, les réserves européennes de gaz et de pétrole non conventionnelles ne sont encore que supposées.
Les
estimations de l’Agence américaine d’information sur l’énergie, dans le
cadre de son deuxième rapport d’évaluation des ressources mondiales en
gaz et en pétrole non conventionnels (Technically Recoverable Shale
Oil and Shale Gas Resources: An Assessment of 137 Shale Formations in 41
Countries Outside the United States - juin 2013) sont de l’ordre
de 13.500 milliards de mètres cubes pour le gaz de schiste, dont
4.290 pour la Pologne et 3.780 pour la France, ainsi que 3.700 pour
l’Ukraine, 1.470 pour la Roumanie, 900 pour le Danemark et 750 pour le
Royaume-Uni.
En
matière d’huile de schiste, les quantités sont de 13.000 millions de
barils dont l’essentiel se trouverait en France (4.700 millions) et en
Pologne (3.300 millions), ainsi qu’aux Pays-Bas (2.900 millions).
Ce
rapport, actualisé en juin 2013 est très exhaustif et se fonde sur les
données géologiques disponibles, notamment les résultats des forages
faits lorsque la France cherchait du pétrole conventionnel après la
Seconde Guerre mondiale. Elles sont considérées par le DoE comme le plus fiable possible.
Pour sa part, l’Agence internationale de l’énergie rappelle dans son étude précitée spécifique sur l’Europe (Energie Policies of IEA Countries : European Union 2014 Review)
que son sous-sol contiendrait 13.000 milliards de mètres cubes de gaz,
alors que la Commission européenne estime à 16.000 milliards le total
récupérable, soit plus de trente ans de consommation.
L’AIE a estimé dans son étude générale de 2012 (World Energy Outlook) que la production pourrait atteindre 80 milliards de barils jour. Elle estime
maintenant que les réticences des pays pourraient faire que ce niveau
ne soit pas atteignable. Elle rappelle cependant dans l’étude 2014 World Energy Outlook
que dans les conditions les moins favorables, 17 milliards de mètres
cubes de gaz pourraient être produits d’ici 2040, chaque année. Pour la
production d’huile de schiste, le dernier rapport de l’AIE n’avance
aucun chiffre pour l’Europe.
On
constate donc que l’Europe n’est pas parmi les continents les mieux
dotés, mais qu’elle pourrait disposer cependant de ressources qui
pourraient s’avérer appréciables.
d.
Des engagements trop frileux des Etats membres de l’Union européenne
pour l’instant, vis-à-vis du gaz et du pétrole non conventionnels
i. La Pologne : une exploration qui se poursuit avec les compagnies nationales
La
Pologne est dans une phase compliquée à la suite du retrait de certains
de ses plus gros investisseurs et des difficultés à adapter sa
législation aux normes environnementales européennes. Elle est encore en
phase d’exploration.
En
2011, un rapport de l’Agence américaine d’information sur l’énergie
l’avait classée comme l’un des pays ayant les plus importantes réserves
de gaz de schiste en Europe avec près de 3 milliards de mètres cubes de
gaz. Plusieurs sociétés, dont Total, ont alors participé à des appels
d’offres pour l’obtention de licences d’exploration du gaz de schiste
polonais. Depuis, un autre rapport, publié par l’Institut Polonais de
Géologie, a réévalué les réserves polonaises au dixième de ce qui avait
été communiqué.
Dernièrement,
les compagnies principalement américaines et canadiennes qui avaient
investi en Pologne et dont les contrats arrivent ou sont arrivés à
expiration, ont décidé de ne pas les renouveler puisque sur près de 40
puits, un seul s’est avéré économiquement viable, selon la BBC. Il y a
peu, Total a annoncé le non-renouvellement de son unique permis
dans le pays. En effet la géologie du sous-sol polonais ne permet pas
d’utiliser les mêmes technologies qu’aux États Unis, car elle est jugée
trop complexe pour en rendre l’exploitation rentable. En l’état, la
roche ne répond pas à la fracturation et le flux de gaz n’est pas
suffisant.
Chevron a annoncé en février l’arrêt des opérations.
Restent actives outre une entreprise irlandaise, San Leon, deux opérateurs polonais : PGNiC et PKN Orlen.
L’exploitation
du gaz de schiste en Pologne doit faire face à la profondeur des
réserves, entre 1000 mètres et 4500 mètres. Afin d’en permettre l’accès,
le gouvernement a en effet délivré des permis d’exploration allant
jusqu’à 5000 mètres de profondeur.
Selon
les éléments communiqués par l’Ambassade de Pologne, les entreprises
utilisent presque toujours une méthode d’exploration par vibrations, qui
est autorisée par la loi polonaise. Les entreprises qui souhaitent
utiliser la méthode par détonation doivent se conformer à des règles
supplémentaires prévues par la loi géologique et minière, y compris
élaborer et soumettre à l'approbation « des plans de circulation » (les
documents qui présentent les règles encadrant l'activité prévue).
Pour
la fracturation hydraulique, la loi polonaise impose des dispositions
spécifiques, d’ailleurs applicables à toutes les activités minières
menées par forage, assorties de certaines restrictions supplémentaires,
telles que l’exécution de l'étude d'impact sur l'environnement complète,
laquelle est obligatoire pour les travaux réalisés dans les terrains
avec des valeurs environnementales fortes.
Conformément
aux règles européennes, la Cour de justice de l’Union Européenne a jugé
que la Pologne violait les lois européennes en octroyant des permis
d’exploration et d’extraction d’hydrocarbures sans présenter d’étude
d’impact environnementale préalable. La Cour est actuellement en train
d’examiner la nouvelle législation polonaise adaptée à la suite de la
plainte.
Dans l’ensemble, les perspectives sont jugées plus prometteuses aux abords de la Baltique.
ii. Le Danemark : un moyen de la transition énergétique
Le Danemark est sur le point de commencer la phase d’exploration qui sera réalisée par Total en partenariat avec une compagnie locale.
Depuis
2011, le nouveau gouvernement a une politique très attentive à
l’environnement, avec l’objectif de développer les renouvelables, mais
il ne bannit pas pour autant les renouvelables.
Le
gaz de schiste est vu comme une énergie de transition. Le pays étant
très préoccupé par le taux d’émission de carbone, il est essentiel pour
lui de limiter dans un premier temps la consommation de charbon.
Le
recours au gaz de schiste permet non seulement de palier l’épuisement
progressif des gisements de la Mer du Nord, mais aussi d’utiliser les
infrastructures gazières existantes.
C’est dans cette perspective que des permis d’exploration permettant d’aller à une profondeur de 4000 mètres ont été donnés à Total en partenariat avec le Danish North Sea Fund. Les premières productions ne verront pas le jour avant 2020, vraisemblablement.
iii.
Le Royaume Uni : une pièce essentielle d’une stratégie énergétique
d’ensemble, dont la portée vient d’être récemment restreinte
Bien
que l’EIA ait estimé ses réserves moins importantes que celles de la
France, avec 750 milliards de mètres cubes, le Royaume-Uni mène
désormais une politique favorable à l’exploitation du gaz de schiste,
censé compenser le déclin de la production de la Mer du Nord et assurer
la transition vers un recours plus massif aux « énergies vertes », le
gaz étant considéré comme l’énergie fossile la plus propre. Le Premier
ministre britannique a estimé, pour sa part, que la fracturation
hydraulique sera « bonne pour le pays », le développement de la
production de gaz de schiste pouvant de son point de vue aider l’Union
Européenne à réduire sa dépendance au gaz russe. Un rapport d’Ernst and Young
fait par ailleurs valoir que plusieurs dizaines de milliers d’emplois
pourraient être créés grâce au développement du gaz de schiste, ce qui
permettrait par ailleurs d’injecter plus de 55 milliards d’euros dans
l’économie britannique.
L’objectif
d’ensemble du Royaume-Uni est une stratégie énergétique de long terme
jouant sur un bouquet diversifié recourant également au nucléaire, de
manière pragmatique.
Le
développement du gaz de schiste au Royaume-Uni n’en est encore qu’à un
stade précoce, aucun puits de test de production ni même de forage
horizontal n’ayant été réalisé, même si des mesures fiscales ont été
prévues pour favoriser le secteur.
En effet, la politique gouvernementale en faveur du gaz de schiste s’est heurtée à des difficultés.
C’est ainsi qu’après un séisme début 2011, causé par la mise en œuvre
de la fracturation hydraulique, le gouvernement britannique a imposé un
moratoire entre mai 2011 et décembre 2012 afin de déterminer les causes
de ce séisme et plus généralement d’élaborer les règles de mise en œuvre
du développement des ressources d’hydrocarbures de schiste. Ce
moratoire a été levé fin 2012 sur la base d’un rapport d’experts
indépendants, qui ont recommandé un certain nombre de mesures pour
atténuer les risques de secousses sismiques.
Plus
récemment, des mesures ont été prises ces dernières semaines pour
interdire la fracturation hydraulique dans les parcs nationaux et autres
sites protégés, et le Pays de Galles comme l’Ecosse ont adopté un
moratoire pour leur territoire. Enfin, un projet est menacé en raison de
la contestation des populations locales.
iv. L’Allemagne : une longue hésitation avant d’opter très récemment pour un encadrement très strict
La fracturation hydraulique a rencontré en Allemagne des oppositions, notamment celle des producteurs de bière et des Länder.
La
législation allemande a donc été prévue pour être révisée dans un sens
plus strict afin d’interdire jusqu’en 2021 le recours à la fracturation
hydraulique pour l’extraction du gaz de schiste ou du gaz de houille à
des profondeurs au-dessus de 3000 mètres.
Ainsi,
le ministère de l’environnement et le ministère de l’économie et de
l’énergie ont conjointement annoncé le 4 juillet 2014 les principes
directeurs du futur paquet législatif sur le gaz de schiste et le gaz de
houille :
– la protection de la santé et de l’eau, priorité absolue ;
– l’interdiction a priori
des procédés fracturation hydraulique pour l'extraction de gaz de
schiste ou de gaz de houille au-dessus de 3000 mètres de profondeur ;
– la
possibilité de mesures d'expérimentation à titre scientifique pour
l'étude des conséquences sur l'environnement et le sous-sol, dès lors
que les liquides introduits pour la fracturation hydraulique ne sont pas
dangereux pour la qualité de l'eau. Sera évaluée en 2021 la
proportionnalité de la règle d'interdiction sur la base d'un rapport du
gouvernement allemand, compte tenu de l'état de la science et de la
technique ;
– les
procédés de fracturation pour le gaz de réservoir compact (« tight
gas ») demeurent possibles par principe. Des règles complémentaires
seront introduites : les liquides utilisés pour la fracturation devront
présenter un degré de dangerosité pour la qualité de l'eau le plus
faible possible ;
– les prescriptions applicables aux procédés autorisés seront renforcées ;
– les Länder peuvent prendre des mesures complémentaires.
Dans
les faits, tous les projets de fracturation ont été au point mort en
Allemagne, aucune nouvelle autorisation n’ayant été accordée ces
dernières années, du fait de la polémique.
Le dossier a connu les étapes suivantes.
Une
première étude de l’administration fédérale en charge de
l’environnement avait été publiée dès 2012, les experts y recommandant
déjà de ne pas appliquer cette technique de façon étendue. En janvier
2014, cette administration a présenté les résultats préliminaires de la
seconde étude, à partir de laquelle le paquet législatif a été élaboré.
Au-delà
des aspects environnementaux, cette même administration a d’abord
évalué de façon critique le boom du gaz de schiste aux Etats-Unis,
notamment pour des raisons climatiques : « la technique du fracking
n’est pas le sauveur du changement climatique, qui nous faciliterait le
passage aux énergies renouvelables. Il serait mieux que notre pays se
concentre sur des sources énergétiques dont le caractère durable est
avéré, comme les énergies renouvelables. De plus, nous devrions
augmenter l’efficacité énergétique des bâtiments, dans lesquels le gaz
issu du fracking pourrait être utilisé pour le chauffage, afin d’en
diminuer la consommation gazière. »
Ensuite, un nouveau rapport publié le 12 décembre dernier par cette même administration a été moins critique.
En
définitive, au début du mois d’avril 2012, un équilibre politique a été
trouvé. Il est fondé des interdictions dans certaines régions précises
uniquement, pour la protection de l'eau potable, de la santé et de la
nature, ainsi qu’à moins de 3 000 mètres de profondeur et dans certaines
couches géologiques comme les couches de charbon ou les marnes.
Il
ne donne cependant pas satisfaction aux exploitants, comme l’a exprimé
M. Markus Kerber, directeur général de la fédération de l'industrie BDI : « C’est
un signal positif que l'exploitation du gaz de schiste en Allemagne ne
soit pas totalement exclue, mais les obligations pour l'extraction de
gaz naturel dans leur ensemble sont totalement exagérées ».
v. La recommandation de la Commission européenne
La Commission européenne n’a pas proposé de législation européenne en matière de gaz et pétrole non conventionnels.
Elle
a adopté le 21 janvier 2014 une recommandation visant à garantir la
mise en place de mesures appropriées en matière de protection de
l'environnement et du climat en ce qui concerne la technique de
fracturation hydraulique à grand volume utilisée notamment dans
l'exploitation du gaz de schiste.
L’objectif
est de favoriser les bonnes pratiques et d’aider les Etats membres
désireux de recourir à cette technique à gérer les risques
environnementaux et sanitaires et à accroître la transparence à l'égard
des citoyens. Elle introduit également des règles du jeu pour le secteur
et offre un cadre plus clair aux investisseurs. Elle s’accompagne d’une
communication qui examine les possibilités et les problèmes associés à
la fracturation hydraulique à grand volume appliquée à l’extraction des
hydrocarbures.
e.
Un élément qui serait pourtant aussi essentiel que décisif dans les
négociations énergétiques avec les grands pays fournisseurs dès le stade
de l’exploration
Qu’elle
soit menée par des Etats ou par de grandes entreprises privées, sans
d’ailleurs que les Etats concernés ne puissent en aucune manière s’en
désintéresser, une négociation de fourniture d’un produit énergétique
aussi essentiel que le gaz est toujours difficile.
En
l’absence de solution alternative développée sur son propre sol, tout
Etat ou tout opérateur de l’Union européenne est en effet position peu
favorable, d’entrée de jeu, avant même la négociation, face à un pays ou
à une entreprise nationale qui se sait en position diamétralement
opposée.
La simple perspective d’une exploration permettrait de rétablir le bon équilibre.
Il
est très regrettable que ce paradoxe d’une Union européenne qui craint
de manière tout à fait justifiée son extrême dépendance gazière, soit
bloquée par une crainte non justifiée quant à elle, vis-à-vis de l’un
des instruments majeurs permettant d’en sortir.
5.
Pour la France, trois raisons supplémentaires d’explorer voire même
d’exploiter gaz et pétrole non conventionnels, sans avoir même à
insister sur l’impératif géopolitique de conserver à la première
puissance militaire du continent ses capacités d’action
En Europe, la France partage avec la Bulgarie la particularité d’avoir interdit la fracturation hydraulique.
Pour la Bulgarie, cette interdiction est interprétée comme le résultat d’une proximité traditionnelle avec la Russie.
Pour
notre pays, c’est totalement incompréhensible. Son image, associée à
Decartes, aux Lumières et à la pensée rationnelle, en pâtit largement.
La
loi visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines
d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à
abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant
recours à cette technique (n° 2011-835 du 13 juillet 2011) est issue
d’un proposition de loi présentée par M. Christian Jacob, UMP, adoptée
par l’ancienne majorité, mais qui n’a pas été remise en cause lors de
l’actuelle législature, en l’état.
De
manière inexplicable, la circulaire du 21 septembre 2012, de la
ministre de l’environnement, du développement durable et de l’énergie,
relative aux permise de recherche d’hydrocarbures et aux travaux
d’exploration, a été au-delà de la loi en interdisant tous les travaux
de recherche susceptibles de porter sur les roches mères.
Elle repose sur une présomption de recours à la fracturation hydraulique qui n’a pas de sens.
En
outre, sans qu’il soit besoin ici d’entrer dans le détail,
l’impossibilité d’utiliser les permis antérieurement attribués a porté
atteinte à la crédibilité de la France vis-à-vis des investisseurs de
dimension internationale.
b. L’exploration : une mesure de bon sens pour s’assurer au moins de la ressource et négocier en meilleure position
Comme
l’a rappelé dans son rapport précité M. Frédéric Barbier, les premières
estimations des ressources non conventionnelles en France
représenteraient 85 ans de consommation domestique, ou encore 15
gisements de Lacq.
Comme
l’ont confirmé plusieurs intervenants, le bassin Sud-Est contiendrait
des gaz de schiste tandis que l’Île-de-France serait riche en huiles de
schiste, selon la carte suivant.
En
réalité, ces estimations théoriques n’auront une valeur que lorsqu’un
nombre suffisant de forages exploratoires aura été effectué pour
connaître notamment les données techniques et ainsi économiques, de
coût, de la ressource.
Il
conviendrait notamment de confirmer les estimations actuelles qui sont
de l’ordre de 10 dollars le Mbtu pour l’extraction du gaz en région
parisienne, selon une première approche de M. Pierre René Bauquis.
Par
rapport aux Etats-Unis, le surcoût couvre notamment des précautions
environnementales que les Etats-Unis n’ont pas prises d’emblée.
La
confirmation de ces éléments serait certainement de nature à permettre
de fixer d’entrée de jeu, pour les négociations gazières, une indication
du niveau de prix auquel la France peut toujours au moins partiellement
se fournir elle-même.
c.
L’exploitation : une mesure probablement indispensable pour le
rétablissement économique de notre pays, au-delà de l’intérêt
géopolitique évident d’une France sans fragilité
i.
L’impératif commercial : résorber en partie le déficit extérieur
(65 milliards en 2013 de déficit sur les produits énergétiques)
En
2013, la France a importé 56 millions de tonnes de pétrole brut. La
carte des pays fournisseurs a été redistribuée : les importations de
pétrole en provenance des pays de l’ex-URSS ont encore reculé alors que
la part des pays du Moyen-Orient augmente. L’Arabie Saoudite devient le
premier fournisseur de la France devant le Kazakhstan et la Russie.
Sa
production stagne à moins d’un million de tonne (0,8 million selon
Eurostat) pour 2012. L’INSEE l’estime à 1 % de la consommation totale de
pétrole.
Pour
ce qui concerne le gaz naturel, le rapport a été le même, avec selon
Eurostat, 0,5 million de tonnes équivalent pétrole contre 36,9 pour les
importations.
En conséquence, la facture énergétique de la France a été en 2013 de 66 milliards d’euros.
Elle représente l’essentiel du déficit commercial qui s’est établi à 61,3 milliards d’euros.
En
2015, avec l’hypothèse d’un prix du baril à 60 dollars, la facture
énergétique serait de l’ordre de 40 milliards d’euros, ce qui reste
substantiel.
Toute production de pétrole et de gaz issue de notre sous-sol serait donc appréciable.
ii.
L’impératif de compétitivité : sauver l’industrie chimique et le
raffinage et assurer le renouveau des activités et des emplois sur le
territoire
L’exploitation
du gaz de schiste et de l’huile de schiste sur notre territoire serait
sans aucun doute un facteur de rétablissement de notre compétitivité.
La
présence de l’industrie chimique et du raffinage serait en effet la
garantie du maintien d’une activité industrielle sur notre territoire.
Dans son rapport précité, M. Frédéric Barbier rappelle que les études
disponibles font état de plusieurs dizaines de millier d’emplois créés,
pour une production allant sur trente ans de 500 à 4.400 milliards de
mètres cubes.
IMPACT D’UNE EXPLOITATION DES HYDROCARBURES DE SCHISTE EN EUROPE ET EN FRANCE
Nombre de puits
|
Production totale
|
Emplois créés
|
Effet sur la balance commerciale
| |
Pöyry | Estimation des effets macroéconomiques d’une production de gaz de schiste à l’échelle européenne en 2035 (année de pic de production) | |||
« Some shale gas » |
Entre 1 800 et 3 500 puits par an en 2035
|
2 500 Gm3 sur 30 ans
|
400 000 emplois
|
+ 25 Mds€/an
|
« Shale gas boom » |
4 400 Gm3 sur 30 ans
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800 000 emplois
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+ 59 Mds€/an
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IFP Énergies nouvelles |
Estimation sommaire de l’impact macroéconomique d’une exploitation des hydrocarbures de schiste en France
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Gaz |
Total de 4 000 drains sur 200 plateformes
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504 Gm3 sur 30 ans (*)
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75 000 emplois
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+ 5 Mds€/an
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Pétrole |
1 à 2Gb sur 30 ans (**)
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75 000 emplois
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+ 3 à 5 Mds€/an
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(*) Soit 50 % de la consommation actuelle (**) Soit 5-10 % de la consommation actuelle
iii.
L’impératif budgétaire : garantir la crédibilité et la solvabilité de
la France vis-à-vis de ses créanciers internationaux alors que la dette
publique pourrait bientôt atteindre 100 % du PIB
La dette française s’est considérablement accrue depuis 2008 et le début de la crise financière.
Elle
est passée de 63,9 % du PIB fin 2007 à 95,1 % à la fin du deuxième
trimestre 2014, soit 32 points d’augmentation en sept ans. Elle pourrait
atteindre les 100 % du PIB dès 2016.
A
partir d’un certain seuil qui relève de l’appréciation des
investisseurs, de leurs conseils et des opérateurs de marché, la
perception du risque souverain de notre pays pourrait changer.
Dans
ce cas, la prime de risque demandée pour l’achat des titres souverains
français s’élèverait, ce qui se traduirait par un relèvement des taux
d’intérêt et une aggravation du déficit.
Une
telle situation n’est pas envisageable pour notre pays et il est clair
qu’un tel scénario aurait d’autant moins de risque de se produire en
présence avérée d’hydrocarbures non conventionnels : les financiers ne
dégradent ni ne négligent un Etat qui dispose de matières premières
aussi essentielles que le gaz et le pétrole.
A l’issue de plus d’un an de travaux,
plusieurs éléments s’imposent clairement comme des fondamentaux de la
géopolitique de l’énergie.
D’une part, le sujet est très évolutif et mouvant, et il peut varier de façon spectaculaire et rapide.
Il est aussi clair que l’on ne pouvait
traiter la question du gaz et des huiles de schiste sans aborder
globalement le sujet du gaz et du pétrole.
L’exploitation de cette ressource non
conventionnelle, abordée aux Etats-Unis dans des délais très courts et
avec une grande virtuosité technique, a remis ce pays au premier rang
des pays producteurs d’hydrocarbures.
Les idées des pics de production et de fin du pétrole s’éloignent en banalisant un peu plus les hydrocarbures.
Les ressources non conventionnelles ont
contribué au fort recul actuel des cours. Ce recul représente une chance
pour certains pays développés, en premier lieu pour l’Europe et le
Japon. Par contre, il met en difficulté des producteurs de premier rang,
comme la Russie et l’Iran.
Le rôle de l’Arabie saoudite et du
Moyen-Orient reste pourtant majeur. Les rapporteurs n’ont pas perçu la
volonté de désengagement des Etats-Unis de cette région du monde. Il
serait prématuré de tirer des conclusions trop affirmatives, mais il est
clair que l’apport des énergies non conventionnelles a permis de
surmonter sans à-coup des accidents politiques graves autour de la
Méditerranée ou des séismes géologiques ou techniques comme au Japon.
Cette nouvelle donnée contribue par ailleurs à fluidifier et à améliorer
les échanges mondiaux.
La commission des affaires étrangères a examiné le présent rapport d’information au cours de sa séance du mercredi 6 mai 2015.
M. Christian Bataille, co-rapporteur. Fondée
sur le charbon, la Révolution industrielle a montré que la maîtrise de
l’énergie commande les rapports entre les puissances. Cet élément s’est
renforcé avec le pétrole, l’un des éléments du passage au premier rang
des Etats-Unis dès la fin du XIXe siècle, et ensuite avec le gaz
naturel.
Ce
constat ne s’est pas démenti depuis. Les hydrocarbures ont conservé
leur prééminence dans le bouquet énergétique mondial, acquise dès les
années 1960. Ils en représentent actuellement 53%, dont un peu plus de
31% pour le pétrole et de 21% pour le gaz naturel, alors que, pour
mémoire, l’autre grande source d’énergie, le charbon, est à 29%.
La
France est une exception dans le monde pour avoir substitué l’énergie
nucléaire à son déficit en ressources propres en matière
d’hydrocarbures.
Le
pétrole est peut-être une arme de combat, d’une efficacité d’ailleurs
supérieure à la force militaire. La Russie, puissance impériale, l’a
compris.
Les
Etats-Unis voudront peut-être de la même façon et par les mêmes
méthodes affirmer une suprématie en Asie et en Amérique du Sud. La
Révolution du gaz et du pétrole de schiste les propulse au premier rang
pour le gaz et peut-être même pour le pétrole. Elle leur en donne la
faculté.
D’autres
puissances émergentes, si leur sous-sol révèle des richesses, seront
dans l’avenir tentées d’agir de la même façon. Il leur faudra cependant
la durée.
Bien peu de pays, notamment les pays européens, auront la capacité de desserrer le nœud coulant du pétrole comme viennent de le faire magistralement les Etats-Unis.
Pour
ce qui concerne les échanges de produits énergétiques, il faut d’abord
remarquer que l’on assiste, depuis 2005, à la montée en puissance des
hydrocarbures non conventionnels, gaz et pétrole de schiste. Leur
exploitation est pour l’instant cantonnée aux Etats-Unis, et concerne un
peu le Canada, mais les volumes sont cependant déjà significatifs au
regard de la production mondiale : de l’ordre de 4 à 5% pour le pétrole,
et plus de 8% pour le gaz naturel. Ils sont appelés à se développer.
Une petite production est déjà constatée pour le pétrole en Argentine et
pour le gaz en Chine.
Ensuite,
il faut observer que non seulement la production, mais aussi et surtout
les exportations et les réserves actuellement prouvées de pétrole et de
gaz naturel sont concentrées sur un assez petit nombre de pays. Les
grands pays importateurs, notamment des pays européens, sont ainsi en
situation de dépendance potentielle vis-à-vis de ces Etats.
La situation n’est cependant pas la même pour le pétrole et pour le gaz naturel.
Pour
le pétrole, les grands exportateurs sont, d’après les chiffres de
l’Agence internationale de l’énergie, l’Arabie saoudite, 18,7% du total,
la Russie, 12% et ensuite autour de 5à 6% chacun, d’autres pays du
Moyen-Orient : Irak, Koweït et Emirats arabes unis.
Les
réserves prouvées sont tout aussi concentrées avec 48% du total mondial
pour le Moyen-Orient, dont 15,5% en Arabie, 28% pour la Russie et les
pays d’Asie centrale de l’ex-Union soviétique, et un peu plus de 17%
pour le Venezuela.
A
l’opposé, si l’on excepte les Etats-Unis, très grand producteur de
pétrole avec une production comparable à celle de l’Arabie saoudite et
de la Russie, mais qui restent un grand importateur de pétrole, avec
plus de 20% encore du total mondial en 2012, les grands importateurs
pétroliers nets sont les grandes puissances économiques, la Chine, avec
13% du total, l’Inde, avec 9%, le Japon, la Corée du Sud et ensuite les
pays européens.
Pour
compléter ce panorama, il faut rappeler qu’une large partie de la
production de pétrole, environ 40%, est contrôlée par les pays de
l’OPEP. L’OPEP fixe à ses membres des quotas de production. Ceux-ci
détiennent, selon les estimations, entre 75% et 80% des réserves
prouvées. En outre, le paysage pétrolier n’est pas tant dominé par les
grandes compagnies multinationales issues des mégafusions des années
1990 et 2000, les Supermajors, dont Total, que par les compagnies nationales des pays producteurs, dont celles des membres de l’OPEP naturellement.
La
situation de dépendance politique qui pourrait en résulter est
cependant tempérée par le fait que, sous réserve de quelques contraintes
dues aux différences de qualité, les barils de pétrole sont
interchangeables les uns les autres. Il y a donc un véritable marché
mondial du pétrole avec des prix qui évoluent de manière coordonnée pour
les différents bruts de référence, parmi lesquels le Brent de la Mer du Nord.
Mais,
le rôle très politique du pétrole est quand même rappelé par le fait
que c’est l’Arabie saoudite, grâce à ses capacités de production
aisément mobilisables, principal pays de l’OPEP, qui peut jouer le rôle
le producteur d’appoint permettant la régulation du marché, ce qu’elle a
en général fait jusqu’à ces derniers mois.
S’agissant
du gaz naturel, la situation n’est comparable à celle du pétrole que
pour ce qui concerne la concentration de la production, des exportations
et aussi des importations.
Grâce
à la révolution du gaz de schiste, les Etats-Unis sont maintenant le
premier producteur mondial, à raison de 20% du total, mais ils ne sont
pas encore exportateurs. L’Iran, qui est le quatrième producteur
mondial, n’est pas non plus exportateur, en raison , pour l’essentiel,
du volume de sa consommation intérieure.
Les
échanges internationaux sont donc dominés par trois grands
exportateurs : la Russie, avec 24% du total mondial, le Qatar, 14%, et
la Norvège, 12%. Les autres exportateurs sont de moindre importance :
Canada, Algérie, Turkménistan et Pays-Bas.
Pour
l’avenir, et c’est un élément important, l’essentiel des réserves
mondiales actuelles se trouvent, en l’état, en Iran (18,2%), en Russie
(16,8%), au Qatar (12,3%) et au Turkménistan (9,4%).
Face
à ces pays, les grands importateurs de gaz naturel sont le Japon (14,7%
du total), puis l’Allemagne (9,1%), l’Italie (7,4%), la Corée du Sud
(6,3%) et la Chine (5,9%).
Contrairement
au pétrole, les échanges internationaux de gaz naturel manquent de
souplesse, car le méthane ne se transporte que dans des conditions très
particulières de pression ou de température. Ces échanges sont donc très
contraints par les infrastructures, gazoducs ou bien terminaux de
liquéfaction et de regazéification du GNL transporté par navire
méthanier.
Pour
l’Europe, les deux tiers de l’approvisionnement se font par gazoduc, et
dans le cadre de contrats de long terme, lesquels restent d’ailleurs
pour plus de la moitié d’entre eux indexés sur le prix du pétrole, et
pour un tiers par GNL. Pour l’Asie, c’est en quasi-totalité par
méthanier. En 2012, 71% du GNL mondial a été destiné à l’Asie.
Si
la Russie domine les exportations par gazoduc, et reste le producteur
d’appoint du gaz naturel, le Qatar domine l’offre de GNL au niveau
mondial.
Il
en résulte qu’il n’y a pas de marché mondial du gaz naturel, mais trois
grands compartiments de marché avec des prix différents : l’Amérique du
Nord, avec un prix très bas, actuellement de 3 dollars par million
d’unités thermiques britanniques, le Mbtu, qui est la référence ;
l’Europe, avec un prix qui était encore autour de 10 dollars il y a
quelques semaines ; et l’Asie qui était autour de 15 à 16 dollars,
depuis que le Japon a arrêté toutes ses centrales nucléaires.
Pour
être tout à fait exhaustif, les pays importateurs sont dépendants, mais
dans le cadre d’une interdépendance ou d’une dépendance réciproque avec
les pays exportateurs. La plupart des pays exportateurs sont dépendants
des importateurs pour leur balance commerciale, ainsi que pour leur
budget, et aussi pour le niveau de vie de leurs populations, qui
bénéficient d’une énergie largement subventionnée. Dans l’ensemble du
monde, l’Agence internationale de l’énergie recense ainsi environ 550
milliards de dollars d’aides à la consommation d’énergie principalement
d’ailleurs au Moyen-Orient et en Asie centrale, en Amérique latine
(Venezuela et Argentine) et en Russie.
En
l’état, il n’y a pas de géopolitique des autres sources d’énergies
semblable à celle des hydrocarbures. Ni les échanges de charbon, ni ceux
d’uranium, ni naturellement les renouvelables n’en ont la teneur. Il
faut cependant être vigilant sur les équipements de production des
renouvelables, notamment sur les terres rares qui sont utilisées pour
certains de leurs composants, et sur lesquelles travaille d’ailleurs en
ce moment l’Office parlementaire des choix scientifiques et
technologiques : la Chine a un quasi-monopole de fait.
Dans un tel contexte, plusieurs enjeux diplomatiques ou de sécurité sont clairement perceptibles, à différents niveaux.
D’abord, la région du Moyen-Orient a été identifiée comme stratégique depuis l’accord du Quincy dit pétrole contre sécurité, entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, en 1945.
Ensuite,
les échanges de pétrole, mais aussi de gaz naturel par méthanier,
reposant sur la liberté des mers, la sécurité de quelques points de
passage très difficiles à contourner, en l’état, est essentielle aux
marchés mondiaux et à la stabilité. Le premier d’entre eux est
naturellement le détroit d’Ormuz, où passent chaque jour 17 millions de
barils, ce qui représente 20% de la consommation et 35% des échanges
internationaux de pétrole. Cette « veine jugulaire », selon la formule
de Cyrus Vance, a pu faire l’objet de menaces de minage par l’Iran, à
certains moments, depuis 1979. L’utilité des différentes bases
américaines dans le Golfe a donc été démontrée. La France aussi a une
base dans le Golfe, à Abou Dhabi.
Les
autres points de passage névralgiques sont Suez, Bab el Mandeb, au
sortir de la Mer rouge, dont l’accès a dû être libéré à partir de 2008
de la piraterie maritime, ainsi que Malacca et Panama, de même que, dans
une moindre mesure le Bosphore et les Dardanelles, et les détroits
danois.
Le
deuxième enjeu diplomatique est aussi bien connu, c’est celui de
l’utilisation des hydrocarbures et du pétrole comme arme politique. Il y
a les exemples d’embargo unilatéral, comme celui des Etats-Unis
vis-à-vis du Japon en 1940 et 1941, ou celui de l’Arabie saoudite contre
le Royaume-Uni et la France au moment de Suez, et naturellement celui
des pays arabes contre certains pays occidentaux au moment de la guerre
du Kippour, à l’origine du premier choc pétrolier en 1973.
Il
y a aussi l’utilisation de l’instrument qu’est le pétrole par la
communauté internationale ou certains pays, au titre des sanctions. Que
ce soit pour empêcher le ravitaillement de la Rhodésie ou de l’Afrique
du Sud en raison de leur politique de discrimination raciale alors en
cours, ou pour empêcher l’Irak de Saddam Hussein de mener une politique
contraire à la stabilité régionale grâce aux recettes pétrolières, la
communauté internationale a eu recours aux hydrocarbures.
Enfin,
selon un point de vue plus large, il faut considérer que l’exploitation
des hydrocarbures donne aux pays qui en tirent profit un poids
politique accru. Le rapport retient deux exemples de pays forts
différents.
Le premier est naturellement la Russie, pour laquelle, par l’intermédiaire de Gazprom,
le gaz naturel est un instrument de politique extérieure. Son accès à
prix favorable est l’une des contreparties d’une proximité avec la
Russie et un élément clef de l’adhésion au projet eurasiatique. A
l’opposé, comme le montre le cas de l’Ukraine, tout éloignement
vis-à-vis de la Russie, ou en l’espèce, tout rapprochement avec l’Union
européenne et l’OTAN, entraîne de ce fait des difficultés gazières. Le
gaz a aussi été l’un des éléments de la crise ukrainienne qui a débuté
l’an dernier avec l’annexion de la Crimée et s’est poursuivie par le
volet non encore clos du séparatisme armé dans l’Est de l’Ukraine.
Un
élément particulièrement significatif du rôle des hydrocarbures dans la
grande stratégie russe est la politique déployée vis-à-vis des pays de
l’Asie centrale. L’objectif est de conserver le bénéfice du transit de
leur gaz et de leur pétrole par la Russie. C’est une partie complexe, un
nouveau « grand jeu », dont l’accord de l’automne dernier sur le statut
de la Mer Caspienne est l’un des éléments.
Le
deuxième exemple de pays dont le rôle international doit beaucoup aux
hydrocarbures, et dans son cas au GNL, est le Qatar. Ce pays de 2
millions d’habitants, dont 200.000 nationaux, dispose, à la fois sur le
plan diplomatique, sur le plan militaire, depuis sa participation aux
opérations en Libye, mais aussi sur le plan économique et culturel, d’un
rôle, d’une influence et d’une visibilité internationales sans commune
mesure avec sa très faible population.
Ces
fondamentaux étant rappelés, l’exploitation aussi surprenante que
spectaculaire d’une quantité aussi importante de gaz et de pétrole de
schiste aux Etats-Unis a eu trois effets majeurs.
Le
premier, particulièrement appréciable, est que les marchés pétroliers
et gaziers ont été correctement alimentés depuis le milieu des années
2000, malgré plusieurs événements majeurs qui ont pesé sur la
production, alors même que la demande énergétique allait croissant au
niveau mondial, notamment en gaz et en pétrole.
Pour
le pétrole, plusieurs événements politiques majeurs ont perturbé la
production, notamment dans la zone stratégique de l’Afrique du Nord et
du Moyen-Orient, en Libye, en Irak, au Yémen, mais aussi au Nigéria et
au Soudan. De même, il faut rappeler que le renforcement des sanctions
contre l’Iran en 2012, a entraîné le retrait d’environ un million de
barils jour du marché mondial. Pourtant, aucune crise mondiale
consécutive à ces ruptures d’approvisionnement n’est intervenue.
La
production d’huile de schiste américaine est donc venue à point nommé
pour renforcer les capacités de production mondiales, qui sont passées
de 82 à plus 91 millions de barils jour de 2000 à 2013.
Pourtant,
on a assisté à une augmentation des prix spectaculaire, passant de
24 dollars le baril en 2002 à un maximum de plus de 140 dollars en
juillet 2008. Ensuite, après un effondrement temporaire au moment de la
crise financière, le niveau des prix a été contenu autour de 100 dollars
le baril jusqu’à l’effondrement imprévu de ces derniers mois, lequel
fait l’objet de développements ultérieurs.
Globalement,
une marge de capacité de production a été restaurée grâce aux nouveaux
puits américains et on note aussi qu’à partir de 2007, l’indicateur
qu’est la consommation chinoise de pétrole par rapport à la production
américaine de pétrole, qui n’avait cessé d’augmenter, s’est mis à
diminuer, réduisant ainsi la tension éventuelle sur la ressource entre
les deux plus grandes puissances mondiales.
Pour
ce qui concerne le gaz naturel, la production américaine de gaz de
schiste a permis aussi de surmonter sans autre difficulté qu’un prix
plus élevé du GNL sur le marché asiatique, les conséquences de Fukushima
et de l’appel du Japon aux ressources du marché mondial. Sans cette
production, les Etats-Unis seraient restés des importateurs majeurs de
gaz naturel, et notamment du GNL russe qu’ils avaient prévu d’importer
au début des années 2000 à partir des terminaux du Grand Nord.
La deuxième conséquence majeure de l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste concerne les Etats-Unis.
Il
ne faut pas hésiter à parler de révolution, notamment pour le gaz, car
on assiste à un retour de la puissance américaine, ce qui dément
d’ailleurs au passage le pronostic ou le diagnostic récurrent sur son
déclin.
Il
faut aussi remarquer que la mise au point de la technique d’extraction,
fracturation de la roche et forage horizontal, est le résultat d’une
politique de recherche publique de long terme, qui a son origine dès les
années 1970.
Les résultats sont en tout état de cause là.
D’abord,
les Etats-Unis sont le premier producteur mondial de gaz naturel, mais
ils ont aussi retrouvé en matière pétrolière une production comparable à
celle de l’Arabie saoudite et de la Russie. La question de savoir s’ils
sont ou non le premier producteur mondial de pétrole reste encore en
suspens tant que les statistiques annuelles 2014 et les premières
statistiques pour 2015 ne sont pas publiées.
Ensuite,
sur le plan économique, le boom du gaz de schiste a eu un impact très
impressionnant. Il a permis une abondance à faible coût. Les puits non
conventionnels sont de plus en plus rentabilisés par le seul pétrole, ce
qui fait du gaz un produit joint dont le bénéfice est très proche du
prix de vente. Par conséquent, l’industrie américaine a bénéficié d’une
production croissante d’électricité à partir du gaz à bas prix, et d’une
énergie et de matières premières très avantageuses pour son raffinage
et son industrie chimique. Ces deux banches ont atteint une
compétitivité telle qu’elles ont menacé non seulement le raffinage et la
chimie européenne, mais aussi ces mêmes branches en Asie. Par
conséquent, de nombreux projets industriels ont été prévus pour être
créés ou délocalisés aux Etats-Unis.
Il
faut aussi constater de manière globale que le déficit commercial
américain s’est réduit, en raison non seulement de la très forte baisse
des importations gazières et pétrolières, mais aussi par exemple de
l’accroissement des exportations de charbon, pour le plus grand bénéfice
des Etats-Unis qui réduisent ainsi leurs émissions de gaz à effet de
serre, pendant que celles de l’Allemagne ont recommencé à augmenter,
puisque produire de l’électricité à partir du charbon est devenu en
Europe plus intéressant qu’à partir du gaz naturel. Le gaz naturel émet
en effet beaucoup moins de CO2 que le charbon.
Contrairement
à ce qui a pu être dit, la ressource est durable, et non éphémère, et
son exploitation va se maintenir dès lors que les conditions de prix
assureront la rentabilité des nouveaux puits qui remplaceront les plus
anciens. A la différence des gisements traditionnels qui exigent un
investissement initial très important, mais sont ensuite exploités sur
le simple engagement des coûts opérationnels, les gisements non
conventionnels sont fondés sur un grand nombre de puits dont le
renouvellement est plus fréquent.
Enfin,
les Etats-Unis sont autosuffisants en gaz naturel et vont être en
mesure d’exporter du GNL dès l’année prochaine puisque les premiers
terminaux d’exportation de GNL, en Louisiane, vont être opératoires, et
d’autres le seront dans les mois et les années qui suivront. Les
Etats-Unis ont aussi la perspective de s’approcher de l’autosuffisance
en pétrole. Le taux de dépendance actuel qui est d’un tiers, contre 60%
au début des années 2000, devrait se réduire autour de 25%, voire moins,
vers 2020. D’ailleurs, les Etats-Unis sont déjà excédentaires en
produits raffinés : une partie du brut qu’ils importent est donc, de
fait, destinée aux exportations de produits raffinés.
Plusieurs
éléments sont à l’origine de ce succès, notamment des entreprises
souvent moyennes, nombreuses et très dynamiques dans la finance et
l’ingénierie, et, aussi, le droit civil américain qui reconnaît à celui
qui possède le sol, la propriété du sous-sol.
Sur un plan plus international, le gaz et le pétrole de schiste pourraient avoir plusieurs conséquences majeures.
En
effet, la carte des gisements possibles établie par l’US EIA, l’Agence
américaine d’information sur l’énergie, et les évaluations qui en
résultent, mettent en évidence des facultés nouvelles de production de
gaz et de pétrole en dehors des zones de production traditionnelles, et
aussi des possibilités de prolongation ou de renouvellement de la
production dans les zones traditionnelles.
C’est
donc une nouvelle donne de la géographie des hydrocarbures au niveau
mondial. Pour le pétrole, l’huile de schiste, les principaux pays sont
la Russie, les Etats-Unis, la Chine, l’Argentine, et la Lybie, mais
l’Europe n’est pas absente notamment la France.
Pour
le gaz, ce sont la Chine, l’Argentine, l’Algérie, les Etats-Unis, le
Canada, le Mexique, l’Australie et l’Afrique du Sud qui sont a priori les pays les mieux dotés, mais l’Europe n’est pas non plus absente.
Hors
de l’Union européenne, l’intérêt manifesté pour cette nouvelle
ressource est d’ailleurs significatif, notamment en Argentine, en Chine,
en Australie, pour l’après-gaz de houille, et même en Russie, en Arabie
saoudite et en Algérie. Pour les pays qui entament les recherches ou
qui débutent l’exploitation, il faut bien mesurer qu’un délai de dix
ans, considéré comme incompressible, s’écoule entre le début de
l’exploration et les premières conséquences industrielles. En outre, les
conditions américaines sont jugées par les professionnels comme
spécifiques, et l’impossibilité de les répliquer pourrait se traduire
par des coûts plus élevés.
Le
deuxième enseignement global de la révolution du gaz de schiste, lequel
est largement illustré par les projections à long terme de l’Agence
internationale de l’énergie, est que les grands équilibres énergétiques
mondiaux sont en train de se reconfigurer et qu’ils vont en l’état se
traduire par un face-à-face entre l’Europe et les très grandes
puissances asiatiques pour l’accès aux ressources des pays tiers
exportateurs, tant en pétrole qu’en gaz naturel. Et cela va intervenir
dans un contexte incertain où les capacités des grands exportateurs
actuels du Moyen-Orient dépendront tant du niveau des investissements
qui seront faits pour maintenir la production, que de l’évolution de la
démographie et de leur capacité concernés à mener les réformes pour
changer leur mode de consommation énergétique actuel, qui est très peu
économe, et obère donc les facultés d’exportation.
M. André Schneider.
La troisième partie du rapport concerne donc les enseignements à tirer
de cette nouvelle géographie de l’énergie sur le plan des relations
internationales.
Le premier d’entre eux concerne les Etats-Unis, avec deux éléments essentiels.
D’abord,
la nouvelle perspective de leur indépendance énergétique modifie les
termes de leur implication dans le monde, notamment au Proche et au
Moyen-Orient, dont ils assurent la sécurité. Leur premier engagement a
été celui pris dans le cadre du Pacte dit pétrole contre sécurité, du Quincy,
conclu en 1945 entre le président Roosevelt au retour de Yalta et le
Roi Ibn Séoud, accord renouvelé en 2005 sous la présidence de George W.
Bush. Cet engagement régional américain a été renforcé au fur et à
mesure que le Royaume-Uni s’est retiré du Golfe, notamment à partir de
1967, et avec l’indépendance ensuite des pays du Golfe.
Néanmoins, et cela a été observé non seulement lors des entretiens aux Etats-Unis, notamment au département d’Etat (DoS) et au département de la Défense (DoD),
mais aussi à Paris, quatre éléments font que l’on ne devrait pas
assister à un désengagement américain du Proche et Moyen-Orient.
Le
premier est d’ordre économique. La région est trop importante pour
l’équilibre du marché mondial du pétrole. Sa brusque déstabilisation
aurait des conséquences qui affecteraient également les Etats-Unis, car
le marché du pétrole est mondial, mais aussi leurs Alliés, notamment
leurs alliés européens et asiatiques, d’une manière trop périlleuse.
Les
trois autres éléments sont d’ordre politique. D’abord, les Etats-Unis
ne peuvent s’abstraire de toute implication dans la stabilité régionale.
Leur désengagement d’Irak n’a que peu duré, car les événements les y
sont rappelés avec Daech. Ensuite, la sécurité d’Israël leur impose
d’être présents. Enfin, il y a la lutte contre le terrorisme qui est une
menace beaucoup trop importante pour la sécurité non seulement
régionale mais aussi globale pour qu’elle puisse être ignorée.
Evidemment,
les termes de cette implication de nature davantage politique
qu’économique des Etats-Unis au Proche-Orient sont d’autant plus
complexes que les relations avec l’allié traditionnel qu’est l’Arabie
saoudite se sont compliquées ces dernières années, notamment en raison
de la possibilité d’un éventuel accord nucléaire avec l’Iran, même si
certains signes récents montrent une certaine évolution.
Cet
accord avec l’Iran, dont le principe a fait l’objet d’un compromis
difficile entre le Congrès et le président Obama, à la suite de
l’accord cadre du 2 avril, pourrait permettre une première normalisation
des relations avec l’Iran, mais il est clair qu’il faudrait beaucoup
d’autres conditions que cet accord et la convergence d’intérêts dans la
lutte contre Daech, pour que l’Iran cesse d’être une source de
préoccupations pour les Etats-Unis.
Le
deuxième élément politique majeur qu’apportent aux Etats-Unis la
révolution du gaz de schiste sur le plan international concerne les
exportations. A terme, une fois les projets en cours de terminaux de GNL
autorisés et achevés, les Etats-Unis devraient disposer d’une capacité
d’exportation du même ordre que celle du Qatar, ce qui leur permettrait
de jouer un rôle majeur sur le marché très politique des échanges
internationaux de gaz naturel, surtout en Asie.
Tous
les aspects de la question ne sont pas tranchés, notamment la question
juridique qui soumet à autorisation les exportations, sauf en présence
d’un accord de libre-échange, auquel cas la procédure est automatique.
Le débat interne est entre les partisans des exportations, notamment
pour des motifs de politique étrangère, et ceux qui souhaitent conserver
les avantages d’un marché intérieur très abondant, garant de la
compétitivité économique de l’industrie comme par ailleurs du confort du
consommateur américain, très sensible au prix de l’énergie.
La
question de la doctrine d’exportation fait aussi l’objet d’un examen.
Actuellement, elle est celle d’une alimentation du marché mondial, donc
d’une livraison vers l’Asie, où les prix sont les plus élevés. Elle est
moins strictement commerciale qu’il n’apparaît. En effet, la simple
détente du marché mondial libère des capacités d’exportation venant
d’autres pays producteurs, au profit de l’Europe, et, d’ailleurs, les
contrats conclus avec des opérateurs français et lituaniens montrent que
les exportations de gaz américains peuvent déjà intervenir au bénéfice
du lien transatlantique.
Le
deuxième enseignement majeur des nouvelles données de la géopolitique
de l’énergie est que la baisse de l’ordre de 50% des cours du pétrole
depuis juillet 2014 et l’actuel niveau des cours, de l’ordre de 60
dollars pour le Brent, doivent continuer à être interprétés avec prudence.
Une
telle évolution a en effet surpris, et même pris de cours, les marchés,
c’est-à-dire les professionnels, et elle s’explique non pas par une
baisse de la demande, mais par un excès d’offre au demeurant assez
léger, dans un contexte de moindre croissance de la demande.
Elle
s’accompagne de transferts de l’ordre de 500 milliards de dollars des
pays producteurs vers les pays consommateurs. Cette situation est très
favorable à la France, dont la facture pétrolière serait allégée de 17
milliards d’euros pour un baril au cours actuel. La facture pétrolière
et gazière passerait ainsi avec ce cours de 62,5 milliards d’euros en
2013 à 41 milliards en 2015.
Sur
le plan sectoriel, c’est un effet favorable, même s’il est fragile, un
« été indien », pour le raffinage, et c’est aussi favorable aux secteurs
économiques autres que ceux liés au pétrole.
A la fois producteur et consommateur, les Etats-Unis sont dans une situation intermédiaire.
En
revanche, les pays producteurs sont en grande difficulté, notamment
ceux sous sanctions, la Russie et l’Iran, mais aussi les très nombreux
pays dont l’équilibre budgétaire est fondé sur un prix du pétrole élevé,
parmi lesquels l’Algérie, le Venezuela, et le Nigéria. Les pays
disposant d’importantes réserves financières accumulées grâce aux
exportations passées, notamment ceux du Golfe, ont en revanche
d’importantes capacités de résistance et peuvent attendre.
Les
pays producteurs sont d’autant plus préoccupés qu’il n’y pas de
certitude sur la durée des cours actuels. L’Agence internationale de
l’énergie estime que le réajustement de l’offre et de la demande se fera
d’ici la fin de la décennie, mais pense même à un certain rééquilbrage
du marché dès la fin du second semestre. Il est très difficile de faire
des prévisions car la première conséquence de la baisse des cours a été
d’affecter la trésorerie des entreprises pétrolières, ce qui a conduit à
un report des investissements qui sont la clef des capacités de
production futures. Tout élément nouveau est examiné et évalué
soigneusement. Après l’accord cadre du 2 avril avec l’Iran, l’Agence
américaine d’information sur l’énergie a évalué à 600.000 barils jour le
supplément de production sur le marché d’ici fin 2015, mais cela dépend
du calendrier de la levée des sanctions.
L’incertitude est d’autant plus importante que l’on a des interrogations sur deux éléments essentiels de l’ajustement du marché.
Le
premier concerne l’Arabie saoudite. Contrairement à ce qu’elle avait
fait au moment de l’effondrement des cours consécutifs à la crise
financière de 2008, celle-ci n’a pas réduit sa production et n’a pas non
plus souhaité que l’OPEP prenne un décision de réduction des quotas, le
27 novembre dernier.
Il
y a deux explications à cela. L’une est d’ordre économique et
commercial, et semble devoir être privilégiée. Comme il n’y pas baisse
de la demande, mais excédent de production, toute diminution de sa
propre production entraînerait celle des parts de marché de l’Arabie,
sans aucune perspective de les reprendre en l’absence d’une demande
ultérieure suffisamment dynamique. L’autre explication, d’ordre
politique, est fondée sur le constat que les pays les plus en
difficulté, l’Iran d’abord, et la Russie ensuite, sont pour le premier
le concurrent régional de l’Arabie, et perçu par elle comme une menace,
et par ailleurs les deux principaux soutiens de Bachar el Assad. En
outre, ce serait aussi un moyen d’affirmer, par rapport aux producteurs
américains, la capacité de l’Arabie, qui dispose de réserves financières
très larges lui permettant de surmonter pendant plusieurs années des
cours déprimés, à conserver la maîtrise du marché.
Il
y a, en effet, une interrogation majeure qui concerne le mode
d’ajustement du marché mondial du pétrole. Celui-ci fonctionne-t-il
encore avec l’Arabie saoudite comme producteur d’appoint ou est-il en
train de changer en s’ajustant dorénavant sur le coût d’exploitation du
producteur marginal, comme la théorie économique le voudrait ? En
d’autres termes, le rôle de régulateur n’est-il pas en train d’être
repris par le pétrole américain ?
C’est
une question à laquelle il est encore trop tôt pour apporter une
réponse, mais qui mérite d’être posée. L’exploitation des gisements de
gaz et de pétrole de schiste repose sur un très grand nombre de puits
dont la durée de production optimale en début de cycle, est moins longue
que celle des puits classiques. Par conséquent, le maintien de la
production exige des investissements fréquents pour ouvrir de nouveaux
puits. Ainsi, toute augmentation des cours relance l’investissement et
la production, ou bien, à l’opposé toute baisse des cours diminue
l’investissement et la production, non pas de manière instantanée
certes, mais avec des délais beaucoup plus brefs que dans le cas de
figure du champ conventionnel.
C’est
dans quelques mois que nous aurons les premiers éléments de réponse à
cette question essentielle. On peut tout juste observe que pour la
première fois, l’Agence américaine d’information sur l’énergie, l’EIA, a anticipé une baisse en mai de la production de pétrole de schiste, de l’ordre de 570.000 barils jour.
Dans
un tel contexte d’ensemble, il est possible de tirer un certain nombre
de conséquences pour l’Europe, étant au préalable rappelé quatre
éléments.
Le
premier est la dépendance énergétique de l’Union européenne. Celle-ci
est actuellement très élevée à raison de 88% pour le pétrole et brut et
de 66% pour le gaz naturel, et elle est, en l’état, destinée à
augmenter, en raison de l’épuisement des gisements pétroliers de la Mer
du Nord, et des gisements gazier de cette même Mer du Nord et de
Groningue.
Le
deuxième élément, sur lequel l’actualité complète presque chaque jour
notre information, est la relation de l’Union européenne avec son
principal fournisseur non seulement de gaz naturel, à raison de 32%,
mais aussi de pétrole, à raison de 34%, qu’est la Russie. Cette relation
est de plus en plus difficile.
On constate que Gazprom
se plie difficilement aux règles du marché intérieur, notamment du
troisième paquet « énergie » sur la séparation patrimoniale, et que la
Russie cherche clairement à mettre l’Union européenne en concurrence
ouverte non seulement avec la Chine, mais aussi avec la Turquie, ce que
d’ailleurs le Premier ministre turc a décliné lorsqu’après l’annonce de
l’abandon de South Stream, Gazprom a proposé de livrer le gaz qui transite actuellement par l’Ukraine par la Turquie uniquement.
La Commissaire européenne à la concurrence, Mme Margrethe Vestager, vient d’ailleurs d’adresser trois griefs à Gazprom, au titre des pratiques anticoncurrentielles et abus de position dominante soupçonnés.
Le
troisième constat est de long terme. Les perspectives d’abondance de la
ressource en gaz et en pétrole que l’on constate au niveau mondial,
grâce au non conventionnel, repoussent à très loin tout scénario de type
« pic pétrolier », ou « dernière goutte de pétrole », mais elles ne
garantissent pas pour autant l’approvisionnement de l’Europe, compte
tenu des facteurs d’instabilité croissante dans l’Arc de crise qui va de
l’Atlantique à l’Océan indien, et où se trouve une majeure partie de la
production et des réserves.
Le
quatrième élément de réflexion concerne la recherche de nouvelles
sources d’approvisionnements en hydrocarbures, différentes des sources
actuelles. Cette recherche est indépendante de la question climatique et
des négociations en cours : elle ne concerne pas le niveau de la
ressource, mais son origine. En outre, il faut relever que dans le cadre
de son scénario dit 450 compatible avec l’hypothèse d’une modification
du mix énergétique mondial permettant de contenir à 2° le niveau de la
température terrestre, l’Agence internationale de l’énergie prévoit le
maintien d’un certain niveau de consommation d’hydrocarbures dans les
prochaines décennies, à l’horizon 2040.
Dans
cette perspective et comme le propose la Commission européenne dans le
cadre de sa stratégie, il appartient à l’Europe de fonder sa sécurité
énergétique, tant sur le renforcement du marché intérieur, que sur la
diversification des fournisseurs et des voies d’accès au gaz naturel et
sur la valorisation de ses propres ressources, en allant jusqu’à
l’exploration voire l’exploitation du gaz et du pétrole non
conventionnels qu’apparaît contenir son sous-sol.
Lorsque
l’on évoque la diversification des fournisseurs, il ne s’agit pas de
cesser toute relation avec la Russie, qui reste incontournable en raison
de l’importance des volumes, avec selon les années de 120 à 150
milliards de mètres cubes, mais de banaliser d’une certaine manière la
relation en la réduisant à un aspect commercial, tout en ayant
naturellement, par ailleurs, une politique russe, celle que les
circonstances permettront, sur le plan politique.
Le
renforcement du marché intérieur est déjà en cours, avec notamment les
flux inversés ou flux rebours, progressivement installés, et qui
permettent de ravitailler en gaz les pays d’Europe orientale, d’Ouest en
Est. L’objectif est de décloisonner l’Europe de l’Est où les
négociations avec Gazprom sont moins avantageuses qu’avec les opérateurs
gaziers des grands pays consommateurs de l’Ouest.
Pour
sa part, la diversification des fournisseurs passe en partie par
l’accès au GNL, notamment américain, car il faut tenir compte des
perspectives limitées qu’offrent les alternatives du gaz norvégien et
aussi du gaz algérien, tant que le gaz de schiste n’y est pas exploité.
De ce point de vue, l’Europe est bien équipée en terminaux, notamment
sur la façade atlantique, et là où l’on en manquait, à l’Est, deux
projets sont venus combler ce manque dans la Baltique : l’un en Lituanie
pour les Pays Baltes ; l’autre en Pologne.
Mais
cette diversification passe aussi par les tubes, par les gazoducs du
Corridor Sud, pour avoir accès via la Turquie, aux gisements
d’Azerbaïdjan, et au-delà de la Caspienne et d’Asie centrale. C’est
aussi une voie d’accès aux gisements sous-marins de Méditerranée
orientale, situés entre Chypre, la Syrie, le Liban, Israël et l’Egypte.
Il convient donc que les infrastructures montent en puissance pour que
les capacités, actuellement réduites, soient à terme au rendez-vous.
Au
passage, on observe que pour le gaz comme pour le pétrole, la
diversification est la stratégie suivie par la Chine, qui évite toujours
de trop se lier avec un fournisseur.
Il
convient enfin de développer, pour qu’elles soient toujours adaptées
aux besoins, les installations de stockage de gaz naturel. L’Agence
internationale de l’énergie prévoit l’augmentation du recours au gaz,
qui émet beaucoup moins de CO2 que le charbon pour la même quantité d’énergie.
Enfin,
le dernier volet d’une stratégie européenne de sécurité énergétique qui
serait complète, concerne la valorisation des ressources propres.
Il
faut mentionner le gaz de houille et le biogaz, qui suivent leurs
cours, même si le premier pourrait d’ores et déjà être davantage
développé.
Le
rapport évoque aussi sur le gaz et le pétrole de schiste pour lesquels
les pays européens sont encore frileux, sauf la Pologne, où les
résultats ne sont pas au rendez-vous pour l’instant, le Royaume-Uni et
le Danemark, lequel veut en faire l’un des instruments de sa transition
énergétique.
Cette frilosité donne l’impression que l’Europe manque une étape essentielle du progrès, ce qui est regrettable.
D’abord,
ses ressources en hydrocarbures non conventionnels ne sont pas
négligeables, selon l’EIA, l’Agence américaine d’information sur
l’énergie.
Ensuite,
c’est d’un intérêt économique et industriel majeur pour assurer le
maintien sur nos territoires d’une industrie chimique et du raffinage,
comme l’a remarqué notre collègue Frédéric Barbier dans le cadre d’un
rapport d’information de la commission des affaires économiques en avril
2014.
L’enjeu
est naturellement essentiel en termes d’emplois et en termes
économiques. Il l’est aussi d’un point de vue géopolitique, car en
l’absence de filière d’aval des hydrocarbures en Europe, l’actuelle
géopolitique des matières premières, déjà suffisamment complexe, ne
manquera pas de se doubler d’une géopolitique des produits finis.
Enfin,
il est clair, dès lors que la simple présence d’hydrocarbures de
schiste sera avérée, que les pays correspondants de l’Union européenne,
et les entreprises qui les fournissent, auront dans les négociations
avec les fournisseurs une carte supplémentaire à jouer. Ce n’est pas à
négliger.
Pour
la France, cette question de l’exploration d’abord, avant même
d’envisager l’exploitation, est très sensible puisque notre pays a
interdit jusqu’à la recherche, et il est avec la Bulgarie le seul Etat
membre de l’Union à avoir pris une mesure de prohibition.
Néanmoins, nous jugeons indispensable de la poser.
D’abord,
ce serait inutilement tronquer les conclusions auxquelles conduit
logiquement l’examen objectif des données de la géopolitique de
l’énergie. Ensuite, trois impératifs recommandent à notre pays
d’exploiter les importantes ressources que les données publiées et
confirmées par la géologie, selon les experts américains du département
de l’énergie, invitent à prendre en considération : d’abord, le
rétablissement de sa balance commerciale, en substituant des produits
nationaux à des produits importés ; ensuite, la compétitivité et
l’emploi dans un secteur pétrochimique et du raffinage qui a été
particulièrement mis à mal, sans même évoquer l’activité directe issue
de l’extraction ; enfin, la solvabilité de notre pays dans les relations
avec les détenteurs internationaux de dette publique, dès lors que
l’évolution actuelle du déficit n’exclut pas que celle-ci atteigne de
l’ordre de 100% du PIB. Les producteurs de matières premières sont
toujours considérés comme des pays financièrement plus sûrs.
M. Bataille. A
l’issue de plus d’un an de travaux, plusieurs éléments s’imposent
clairement comme des fondamentaux de la géopolitique de l’énergie.
D’une part, le sujet est très évolutif et mouvant, et il peut varier de façon spectaculaire et rapide.
Il
est aussi clair que l’on ne pouvait traiter la question du gaz et des
huiles de schiste sans aborder globalement le sujet du gaz et du
pétrole.
L’exploitation
de cette ressource non conventionnelle, abordée aux Etats-Unis dans des
délais très courts et avec une grande virtuosité technique, a remis ce
pays au premier rang des pays producteurs d’hydrocarbures.
Les idées des pics de production et de fin du pétrole s’éloignent en banalisant un peu plus les hydrocarbures.
Les ressources non conventionnelles ont contribué au fort recul actuel
des cours. Ce recul représente une chance pour certains pays développés,
en premier lieu pour l’Europe et le Japon. Par contre, il met en
difficulté des producteurs de premier rang, comme la Russie et l’Iran.
Le
rôle de l’Arabie saoudite et du Moyen-Orient reste pourtant majeur.
Nous n’avons pas perçu une volonté de désengagement des Etats-Unis de
cette région du monde. Il serait prématuré de tirer des conclusions trop
affirmatives, mais il est clair que l’apport des énergies non
conventionnelles a permis de surmonter sans à-coup des accidents
politiques graves autour de la Méditerranée ou des séismes géologiques
ou techniques comme au Japon. Cette nouvelle donnée contribue par
ailleurs à fluidifier et à améliorer les échanges mondiaux.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je
vous remercie pour ce très bon rapport, précieux pour notre réflexion,
qui montre bien les enjeux diplomatiques, militaires, fiscaux ou
économiques. Vous insistez à juste titre sur le bouleversement induit
par l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste depuis une dizaine
d’années et la nouvelle donne que cela introduit au niveau mondial.
Votre analyse permet aussi d’évacuer quelques lieux communs.
Vous avez aussi raison d’insister sur la
situation de l’Europe, dont les ressources sont insuffisantes et en voie
d’épuisement, ainsi que sur les grands pays émergents d’Asie. Vous
invitez à prendre en considération des questions comme la modification
de l’implication des Etats-Unis au Proche-Orient et votre vision est
nuancée sur cet aspect. La deuxième observation est que l’Europe doit
avoir une stratégie de sécurité énergétique, pour éviter une dépendance
vis-à-vis de la Russie ou d’autres pays producteurs.
Nous aurons sans doute un débat sur votre
proposition de recourir au gaz et au pétrole de schiste, présents dans
notre sous-sol, question sur laquelle le gouvernement et la majorité
sont d’un avis opposé au vôtre, tant pour la recherche que pour
l’exploitation. On peut se demander si le gaz et le pétrole de schiste
n’arrivent pas trop tard, dès lors que nous sommes, désormais,
résolument engagés dans une politique de transition énergétique. Je
rappelle aussi que c’est la loi de 2011, proposée par l’ancienne
majorité, qui a interdit la fracturation hydraulique.
Enfin, il faut garder en tête l’exemple
de la Pologne dont les pétroliers étrangers se sont retirés, déçus par
rapport aux perspectives initialement annoncées. Il reste une dimension
aléatoire. Je dois m’absenter mais vous indique d'ores et déjà que je
suis favorable à la publication de votre rapport.
M. Jean-Jacques Guillet. Ce
rapport est très intéressant et de très grande qualité, et j’en partage
les conclusions. J’avais présenté un rapport sur le même sujet en 2006,
et je constate des constantes, même si, à l’époque, on ne parlait pas de
gaz et de pétrole de schiste. Je voudrais insister sur un point
essentiel, à savoir le fait que les pays producteurs sont aussi des plus
en plus des pays consommateurs.
C’est le cas de la Russie, qui consomme
les deux-tiers du gaz qu’elle produit. L’un des problèmes auxquels elle
fait face est celui de réduire sa consommation interne pour pouvoir
exporter plus. Sauf à améliorer son efficacité énergétique, ses
capacités d’exportation rencontreront de grands problèmes à l’avenir.
Cela suppose des investissements extrêmement lourds, et dans le contexte
actuel de sanctions, notamment, cela pose de grandes difficultés au
pays. L’Arabie saoudite a une population aujourd'hui de presque 30
millions d’habitants, dont beaucoup d’immigrés, et sa consommation
intérieure croît fortement. Elle a des capacités de production très
importantes, mais elle envisage néanmoins déjà de se doter d’une
industrie nucléaire pour sa production d’électricité. C’est la même
chose en Iran : son choix, il y a longtemps, d’une industrie nucléaire
civile, s’explique par sa consommation intérieure. L’Iran est
importateur net de gaz. Il n’est pas en capacité aujourd'hui de
développer sa production, même s’il sera peut-être à terme le deuxième
producteur mondial, et sa consommation va continuer à lui poser des
problèmes. Enfin, il y a le cas de l’Indonésie, dont la production de
gaz est de plus en plus destinée au marché intérieur et qui diminue ses
exportations vers l’Asie, notamment la Chine et le Japon. Je crois qu’il
est nécessaire de prendre en compte ces aspects.
M. Noël Mamère. Nous ne serons pas
d’accord sur les orientations de ce rapport quant à la question du gaz
et du pétrole de schiste. Nous sommes à la veille de la très importante
conférence Paris Climat 2015 dont on espère qu’elle se traduira par un
engagement international permettant de limiter le réchauffement
climatique à 2°C dans le futur. Nous sommes loin de cette perspective,
qui appelle des mesures contraignantes. Les experts du GIEC sont
unanimes et s’accordent à dire qu’il est indispensable de définir des
politiques énergétiques décarbonées. Il y a donc une certaine
contradiction à persister à vouloir exploiter le gaz de schiste,
producteur d’effet de serre et de CO2. Je regrette donc que
la question de la géopolitique de l’énergie soit abordée uniquement sous
l’angle du pétrole et du gaz, car il y a d’autres voies à explorer.
Comme dans ce rapport, au sein de l’Office parlementaire des choix
scientifiques et technologiques, notre collègue Bataille insiste sur
cette question. C’est une erreur. Il nous faut changer de logiciel.
Lorsque l’Homme est passé de l’âge de pierre à l’âge de fer, ce n’est
pas parce qu’il a manqué de pierres, mais parce qu’il a changé de
rapport à la nature et aux ressources naturelles. Aujourd'hui, dans
certains pays, comme le Canada, la Pologne, les Etats-Unis,
l’exploitation du gaz de schiste montre les problèmes qu’elle soulève et
qu’il s’agit d’une illusion à court terme.
Quant aux aspects géopolitiques, les
Etats-Unis ne se désintéressent pas du Proche-Orient, tout au contraire,
en témoigne l’accord qu’ils sont en train de négocier avec l’Iran, qui
exerce un contrôle sur le détroit d’Ormuz, en compétition avec l’Arabie
saoudite. C’est la même chose en ce qui nous concerne, le déplacement du
Président de la République dans les pays du Golfe ces jours-ci le
confirme. Notre pays est le seul en Europe à vendre des armes et du
matériel aux pétromonarchies sunnites qui combattent l’Iran chiite. Nous
nous mettons dans la dépendance de ces pays qui ne brillent pas par
leur démocratie. Plutôt que de travailler en direction des énergies
renouvelables, malgré les rapports comme celui de l’ADEME, plutôt que
d’inciter les autres pays à une révolution énergétique, nous restons
dans cette dépendance qui peut avoir des conséquences graves en termes
géopolitiques. Je ne peux donc pas être d’accord avec ce rapport et je
voterai contre. L’idée récurrente selon laquelle l’avenir de la planète
passe par les gaz de schiste est dangereuse et doit être combattue.
M. Jean-Pierre Dufau. Je veux
féliciter les rapporteurs pour la qualité de leurs travaux, en
particulier pour les précisions qu’ils apportent sur ce que l’on croît
confusément connaître. Ils répondent à des idées fausses, dressent un
état objectif des lieux et de la situation et permettent de mieux
comprendre aussi la politique actuelle. Le rapport a le mérite de ne pas
aboutir à des conclusions définitives, mais de poser les bonnes
questions me semble-t-il.
Il pose bien le problème auquel l’Europe
sera confrontée et le défi actuel pour la France. Il faut commencer par
faire les bonnes analyses, poser les bonnes questions et ensuite chacun
réfléchira aux réponses qui lui paraissent les plus appropriées.
M. Paul Giacobbi, président. Il
s’agit d’un rapport exhaustif, lucide et courageux. J’aurais seulement
une petite remarque concernant, ce qui me semble manquer, l’incidence de
la spéculation financière sur le prix du pétrole. De nombreuses études,
souvent américaines, ont été publiées et presque toutes concluent que
l’irruption de la spéculation, surtout au New York Mercantile Exchange
(NYMEX), joue à court terme. Cela peut se traduire par un différentiel
de 30 à 40 dollars le baril, ce qui est énorme, mais au bout de deux ans
le prix finit par s’ajuster à la réalité du rapport entre l’offre et la
demande. La baisse brutale des prix que l’on a récemment observée ne
traduisait d’ailleurs pas un changement brutal de ce rapport, mais sa
prise de conscience. La spéculation n’a pas d’incidence géopolitique car
elle n’influe pas à long terme.
Je vous remercie d’avoir dénoncé la fable
du pic du pétrole que l’on nous ressort tous les cinq ans et que la
réalité dément à chaque fois. Noel Mamère a cité le Cheikh Ahmed Zaki
Yamani, dont je rappelle qu’il fut fondateur de l’OPEP, qui a dit
exactement : « L'âge de pierre ne s'est pas terminé par manque de
pierres. L'âge du pétrole ne s'achèvera pas avec le manque de pétrole »,
le pétrole n’étant pas appelé à disparaître rapidement.
M. Jean-Paul Bacquet. Les
rapporteurs ont réalisé un excellent travail qui me laisse pantois. Il
nous engage à un effort de modestie et de scepticisme à l’égard des
affirmations des économistes et des politiques. En 1973, à la suite du
choc pétrolier, on affirmait la fin du pétrole et comme nous n’en avions
pas, on mit au point la formule « nous n’avons pas de pétrole mais nous
avons des idées ». Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie et
des finances, expliquait en 1997 sur un ton assez définitif, alors que
le baril du pétrole était coté autour de 55 dollars, qu’il était de
l’intérêt des Etats-Unis que le prix du pétrole excède 40 dollars.
La question du commerce extérieur est
intéressante. Si l’euro et le prix du pétrole baissent, l’enjeu du
commerce extérieur est très différent. Vous parlez de 20 milliards
d’économies annuelles, mais je ne vois pas une amélioration de notre
commerce extérieur de cette ampleur.
Enfin, les développements sur le gaz de
schiste sont intéressants. D’un point de vue géopolitique, on a
longtemps considéré que les Etats-Unis deviendraient dépendants sur le
plan énergétique et que cela provoquerait leur abaissement. C’est le
contraire que l’on observe.
M. Christian Bataille, co-rapporteur. Je
suis souvent sceptique, vous le savez, à l’égard des Etats-Unis, mais
j’ai été très admiratif de leur vitalité et de leur énergie pour se
sortir du nœud coulant du pétrole avec rapidité et efficacité. Beaucoup
ont souri au début, mais les Etats-Unis sont revenus au niveau de
l’Arabie Saoudite et de la Russie en termes de production, quasiment au
premier rang et cela leur donne autant de puissance que les tanks. Les
Etats-Unis ont fait ce que l’Europe ne fait pas. Nous avançons
timidement l’idée dans ce rapport que l’on pourrait au moins faire des
recherches. Le département de l’Energie américain, manifestement très
bien documenté sur les gisements européens, a été très affirmatif sur
les gisements français dans le sud-est et le pétrole de schiste sous le
bassin parisien. Il existe des techniques permettant l’extraction à des
milliers de mètres en sous-sol.
Nous évaluons effectivement les économies
à 20 milliards d’euros. Même si des paramètres financiers nous
échappent, le prix du pétrole aujourd’hui, autour de 60 dollars le
baril, devrait se stabiliser. J’ajoute que cela peut avoir aussi des
effets induits redoutables. Dans ma circonscription, Vallourec est
affecté, comme d’ailleurs aussi Schlumberger, par les baisses de
commandes de tubes car la recherche en profondeur devient moins rentable
avec la baisse des prix. Ces entreprises vont licencier des milliers de
personnes. Emmanuel Macron participait ce matin à une table-ronde pour
aborder l’avenir du site Saint-Saulvien de Vallourec.
M. André Schneider, co-rapporteur.
Je veux souligner le vrai bonheur qu’aura été ce travail commun. En
2002 l’incertitude sur la fin du pétrole régnait. Certains de nos
partenaires juraient la main sur le cœur qu’ils ne se tourneraient pas
vers les énergies non conventionnelles puis ont fait tout le contraire,
car ils ont senti l’opportunité. Il est important de poser cette
question en France, sinon il ne faudra pas avoir des regrets lorsque
nous serons distancés. Dans ce rapport, nous avons essayé de traiter les
questions en profondeur, c’était passionnant et j’en finirai par une
remarque : nous aurions intérêt à partager certaines idées avec d’autres
pays plutôt que de les sous-estimer.
La commission autorise la publication du rapport d’information.
1) à Paris
– M.
Olivier Appert, président d’IFP Energies nouvelles, accompagné de M.
Daniel Champlon, directeur des relations internationales
– M. Pierre-René Bauquis, géologue et économiste, IFP-School
– M. Jean-Louis Schilansky, président de
l’UFIP, accompagné de Mme Isabelle Muller, déléguée générale, et de M.
Bruno Ageorge, directeur des relations institutionnelles et des affaires
juridiques
– M. Bastien Alex, IRIS France
– Mme Cécile Maisonneuve, Conseillère
auprès du Centre énergie de l’IFRI, et Mme Marie-Claire Aoun, directeur
du Centre énergie de l’IFRI
– M. Patrick Romeo, président de Shell en
France, accompagné de M. Olivier Gantois, directeur des affaires
publiques de Shell France, et de M. Guillaume Labbez, directeur de Boury
Tallon & associés
– Mme Céline Bayou, analyste-rédactrice à la Documentation française
– MM. Jean-Marie Chevalier, professeur
émérite, et Patrice Geoffron, directeur du Centre de la géopolitique de
l’énergie et des matières premières de l’Université de Paris-Dauphine
– M. Thomas Spencer, directeur du programme Climat de l’IDDRI, et Mme Mathilde Mathieu
– M. Nicolas Mazzuchi, IRIS
– M. Jean-François Di Meglio, président d’Asia Center
– M. Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques énergétiques
– M. Sami Andoura, Institut Jacques Delors, Notre Europe
– Dr Peter B. Lyons, sous-secrétaire
d’Etat pour l’énergie nucléaire des Etats-Unis, accompagné de Mme
Florence Radovic, ainsi que Mme Maureen Clapper, attachée pour l’énergie
à l’Ambassade des Etats-Unis à Paris
– M. Edouard Sauvage, directeur de la
stratégie, GDF-Suez, accompagné de Mme Adeline Duterque, directrice du
service économie et marchés, et Mme Valérie Alain, directeur des
relations institutionnelles
– M. Jean-Marc Leroy, directeur général
de Storengy, accompagné Mme Valérie Alain, ainsi que de M. Philippe
Meynard, directeur de la stratégie de Storengy
– M. Jean-Sylvestre Mongrenier, Institut Thomas More
– M. Jean-François Dussoulier, directeur
des affaires générales d’ExxonMobil France, accompagné de M. Benoît de
Saint-Sernin, directeur des relations institutionnelles
– M. Pierre Sigonney, Economiste en chef
de Total, accompagné de M. François Tribot-Laspierre, adjoint au
directeur des affaires publiques
– M. Remy Delphin, Président-Directeur général de BP France
– M. Pierre Terzian, directeur de Pétrostratégies
– M. Claude Mandil, ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie
– M. Christophe Alexandre Paillard, adjoint au directeur, délégation aux affaires stratégiques du ministère de la défense
– M. Olivier Aubert, directeur de
l’offre, direction générale de GRT Gaz, accompagné de Mme Agnès Boulard,
responsable des relations institutionnelles
– M. Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
– M. Fatih Birol, économiste en chef de l’Agence internationale de l’énergie
– M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères
– Mme Anne Lauvergeon, ingénieure en chef des mines, présidente de société
– Mme Valérie Niquet, Fondation pour la recherche stratégique
– M. Justin Vaïsse, directeur du Centre
d'Analyse, de Prévision et de Stratégie, ministère des affaires
étrangères et du développement international
– M. Jacques Percebois, Professeur à l’Université Montpellier I, Directeur du Creden
– Mme Anne-Marie Descôtes, directrice
générale de la mondialisation, ministère des affaires étrangères et du
développement international
– Son Exc. Mme María del Carmen Squeff,
ambassadrice de la République d’Argentine, accompagnée de M. Leonardo
Costantino, conseiller
– Son Exc. M. Chris Barrett, ambassadeur d’Australie auprès de l’OCDE
– Mme Karina Kostrzewa-Dowgielewicz, chef du service économique de l’Ambassade de Pologne
– Son Exc. M. Zhai Jun, ambassadeur de Chine en France
– M. Olivier Appert, président d’IFP Energies nouvelles, et Mme Armelle Sanière, responsable des relations institutionnelles
– M. Jean-Louis Schilansky, président du
Centre hydrocarbures non conventionnels (CHNC) et Mme France Thiesselin,
chargée de communication
– M. Didier Chabert, sous-directeur,
sous-direction du Moyen-Orient, ministère des affaires étrangères et du
développement international
– Mme Virginie Schwarz, directeur de
l’énergie, au ministère de l’écologie, du développement durable et de
l’énergie, accompagnée de Mme Sophie Rémont, sous-directrice sécurité
d’approvisionnement et nouveaux produits énergétiques.
2) à Bruxelles (le 23 septembre 2014)
– M. Brendan Devlin, conseiller auprès de la direction en charge du marché intérieur de l’énergie, Commission européenne
– Mme Caroline Vinot, conseillère Europe orientale, Asie centrale ? et M. Antonin Ferri, conseiller pour la politique de l'énergie auprès de la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne
– M. Gunnar Wiegand, directeur chargé de la Russie, du partenariat oriental et de la coopération régionale, Service européen d'action extérieure
– M. Dominique Ristori, directeur général, direction générale de l'énergie, Commission européenne
3) à Washington (du 13 au 18 juillet 2014)
– M. Jacques Besnainou, consultant
– Mme Rachel Halpern, Industrial Analyst, et M. Nicholas Sherman, International relations specialist, Office of Fossil Fuels, Department of Energy
– Dr Peter B. Lyons, assistant secretary, Office of Nuclear Energy Department of Energy, ainsi que M. Edward McGinnis, Deputy Assistant Secretary, International Nuclear Energy Policy, et Mme Colette Brown, Department of Energy
– M. Jonathan Elkind, Assistant Secretary, Office of International Affairs, Department of Energy, et Mme Phyllis Yoshida, Deputy Assistant Secretary for Asia and the Americas
– Mme Frances Burwell, Vice-president and Director, Transatlantic Relations à l'Atlantic Council
– M. Gene Green, Membre de la Chambre des Représentants (Dem.- Texas)
– M. Paul Bledsoe, senior fellow, Climate & Energy Program, German Marshall Fund of the US (GMFUS)
– M. Guy Caruso, Senior Advisor, Energy and National Security Program ; Center for Strategy & International Studies (CSIS)
– M. Robert Latta, Membre de la Chambre des Représentants (Rep.-Ohio)
– M. Ed Whitfield, Membre de la Chambre des Représentants (Rep.-Kentucky), président de la sous-commission de l’énergie et de l’électricité
– M. Jerry McNerney, Membre de la Chambre des Représentants (Dem.-Californie)
– M. Greg Dotson, Vice President for Energy Policy, Center for American Progress
– M. Amos Hochstein, Deputy Assistant Secretary for Energy Diplomacy, Department of State
– Mr Don Cravins Jr, Chief of Staff, du Sénateur Mary Landrieu (Dem.-Louisiane, et Ms Liz Craddock, Staff Director, Senate Energy and Natural Resources Committee
– M. Thomas Edward Morehouse, Assistant Secretary of Defense, Operational Energy Plans and Programs, Department of Defense
– M. Pete Domenici, ancien sénateur (Rep.-Arizona), Bipartisan Policy Center (BPC), et M. David Rosner, Associate Director for Energy Security
– M. Christopher Guith, Senior Vice-President for Policy, U.S. Chamber of Commerce's Institute for 21st Century Energy (Energy Institute)
– Mme Majida Mourad, Vice-President, Government Relations, et M. Albert Nahas, Vice President, International Government Affairs, Cheniere Energy
– M. Philippe Castenet, président & CEO, EDF Inc.
– M. Bob McNally, président du Rapidan Group
– M. Adam Sieminski, Administrator of the U.S. Energy Information Administration (EIA) Department of Energy.
– Dr Monica Regalbuto, Deputy Assistant Secretary for Fuel Cycle Technologies.
1 () La composition de la mission figure au dos de cette page
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